L’engouement pour la langue de Shakespeare prend de plus en plus d’ampleur au royaume chérifien au détriment de celle de Molière. Dans un entretien accordé au journal Le Monde, la sociolinguiste Karima Ziamari, chercheuse à l’Université de Meknès, dans le nord-ouest du Maroc, explique la politique de son pays en matière d’ouverture aux langues étrangères et les causes de la ruée des étudiants marocains et de leurs parents vers l’anglais.
«L’éducation nationale s’ouvre, et pas uniquement au français», assure-t-elle, précisant que la nouvelle loi-cadre relative à l’éducation instaure cette «alternance linguistique» qui permet d’enseigner dans une autre langue que l’arabe classique.
«Ce sont des étudiants issus de la classe moyenne, qui ne peuvent pas payer d’école privée et qui ont subi l’arabisation de l’enseignement», explique-t-elle. Elle ajoute que «souvent, ils ne maîtrisent pas le français». «Aller vers l’anglais est plus facile, c’est une langue sans jugement négatif [lié à l’histoire coloniale, ndlr]», soutient-elle.
Depuis 2014, date à laquelle le ministère marocain de l’Éducation a lancé la section internationale du baccalauréat marocain option anglais, neuf lycées — dont six publics —enseignent les matières scientifiques dans cette langue.
L’augmentation des frais d’inscription en France
«Poursuivre ses études en France devient inaccessible, surtout avec l’augmentation des frais d’inscription à l’université pour les étudiants étrangers», fait valoir la chercheuse qui souligne que «les parents préféraient donc envoyer leurs enfants dans des pays anglophones, où ils espèrent les diriger vers un métier de prestige». Et d’ajouter que le système anglo-saxon offre une approche pédagogique différente du système français.
Le facteur historique
Pour Karima Ziamari, l’anglais est une «langue neutre, ni identitaire ni liée à un passé colonial», contrairement à l’espagnol ou au français, rejetés par certains Marocains.
Selon Le Monde, des écoles américaines et anglaises se sont installées dans les villes de Rabat, Tanger et Casablanca. Parmi ces écoles figurent la British International School, la London Academy, le Cambridge Assessment et l’International Baccalauréat.
L’Algérie est sur la même voie
Ces mesures ont créé la polémique en France, notamment dans la presse. Mais elle a été mise à mal par l’étendue de la présence de l’anglais dans les universités françaises. En effet, depuis 2015, la loi sur l'enseignement supérieur et la recherche autorise l'ensemble des établissements d'enseignement supérieur, universités comprises, à proposer des formations en anglais.
Selon le site de l’agence Campus France, les formations suivies entièrement ou partiellement en anglais «ont augmenté de plus de 50% depuis 2014: elles sont aujourd'hui 1.328». «Et les universités sont de plus en plus nombreuses à proposer des formations enseignées en anglais; elles suivent progressivement le chemin déjà pris, avant 2015, par les grandes écoles et les établissements privés», informe la même source.