«Il a été le dernier des chefs d’État occidentaux à jeter un défi à l’Amérique, avec son refus de participer à la guerre contre l’Irak. [...] C’est un dernier témoignage aussi du fait que la France pouvait avoir dans des circonstances exceptionnelles et graves une politique indépendante.»
Des douze années qu’il passa à la tête de l’exécutif, son opposition à la Guerre du Golfe de 2003, est sans conteste le premier élément qui vient à l’esprit des Français, mais aussi des Étrangers, interrogés à son sujet. Un rayonnement international «largement» acquis par ce refus d’emboîter le pas à Georges W. Bush dans un conflit qui perdure, ce que «les Français ne soupçonnent pas toujours», estime Roland Hureaux.
Un coup d’éclat qui a éclipsé dans la mémoire collective le précédent alignement de Jacques Chirac sur les positions américaines, durant la guerre de Yougoslavie à la fin des années 90. Une position «désastreuse» aux yeux de notre intervenant, «où la France s’est liée aux États-Unis contre un ami historique qu’était la Serbie», rappelant l’engagement de Paris aux côtés des forces de l’Otan. Roland Hureaux souligne qu’à l’époque, le fils et le petit-fils du Général de Gaulle, respectivement au Sénat et à l’Assemblée nationale, s’étaient opposés à cette intervention militaire de la France.
«Je pense que si la France avait refusé de participer, cette guerre n’aurait pas eu lieu. […] François Mitterrand, qui pourtant n’était pas gaulliste, avait dit de son vivant “Tant que je serais Président, je ne ferai pas la guerre à la Serbie”, c’est un engagement que Chirac n’a pas tenu.»
«Sous ses allures cheveux courts, “fana mili” autoritaire, il masquait un radical-socialiste prêt à tous les compromis, qui voulait rester proche des syndicats, même proche d’une certaine gauche et qui n’a pas voulu remettre en cause l’héritage social –il faut bien dire– un petit peu lourd de la France.»
Roland Hureaux dresse ainsi le parallèle entre ceux qui estiment que Jacques Chirac a permis au gaullisme de se survivre et ceux qui estiment qu’il a été le «liquidateur» de l’héritage gaullien. Un dernier point de vue qu’il estime «sans doute exagéré».
«Il y avait au moins dans son allure physique, sa manière de parler de la France, des échos de ce qu’avait été ce qu’avait voulu le Général de Gaulle.»
Quoi qu’il en soit, Jacques Chirac fut un «Président de transition» dans la Ve République, entre ceux de l’ère gaullienne (de Gaulle et Pompidou) et ses successeurs qui ont «incontestablement tourné le dos» à l’héritage du Général de Gaulle.
Un héritage auquel Jacques Chirac tourna parfois lui-même le dos, «d’abord par rapport à l’Europe», estime Roland Hureaux. Il rappelle son «ménagement» à l’égard des centristes «attachés à la construction européenne», Jacques Chirac prenant position en faveur du «Oui» aux référendums de 1992 puis de 2005 –respectivement pour le traité de Maastricht instaurant l’euro et pour le traité établissant une Constitution pour l’Europe. Ce dernier sera toutefois rejeté à plus de 54,6% par les Français.
«On pourrait dire que lui croyait en toute sincérité que les Français étaient acquis à l’Europe et qu’il y aurait un vote massif, ce qui témoignait d’un certain décalage avec l’opinion publique, qu’il avait très, très bien ressentie en début de carrière et qu’il ressentait moins bien en fin de carrière.»
«Paradoxalement, le passage du septennat au quinquennat a aussi abouti –ce que Chirac n’avait pas du tout prévu– à l’abaissement du rôle du Parlement, puisque depuis, il est toujours élu dans la foulée de l’élection présidentielle, donc il a très peu d’autonomie par rapport au Président de la République élu, qui obtient généralement une majorité», développe l’ancien haut fonctionnaire.
Pour autant, Jacques Chirac conserve auprès de nos concitoyens une image «très française», notamment par ses origines qu’il ne trahira jamais, conservant une gouaille et un style qui le rendaient très attachant pour de nombreux Français:
«Il aimait la bière, il aimait les femmes, il avait tout un côté conforme à l’image qu’on se fait généralement de la France et puis il avait une présence physique qui faisait que quand il était là, le représentant de la France ne passait pas inaperçu.»
Roland Hureaux rappelle enfin qu’au premier rang de ceux qui regrettent le plus l’ancien Président de la République figurent les agriculteurs, soulignant son tact et sa bonhomie quand il s’adressait à eux et surtout
«En tout début de carrière, il s’était taillé une grande popularité chez les éleveurs du Massif central, en obtenant de Bruxelles, par des coups d’éclat, dont beaucoup ont encore la mémoire, des avantages tout à fait considérables.»