« La crise dans les régions anglophones du Cameroun est la crise humanitaire et de déplacement de personnes la plus négligée au monde », révèle le classement annuel de l’ONG Conseil Norvégien pour les Réfugiés (NRC), consulté par Sputnik.
Le classement du NRC se base sur trois critères: le manque de financement pour répondre aux besoins humanitaires, le manque de couverture médiatique et la négligence politique.
Sur ce dernier point, il convient de souligner que le gouvernement de Yaoundé a annoncé un dialogue pour mettre un terme au conflit séparatiste dans ces zones anglophones, mais il tarde à être mis en œuvre.
« Cette situation est due au fait que ces trente dernières années, on a assisté à un déclassement diplomatique du Cameroun sur la scène internationale ; ce déclassement diplomatique s’est accompagné d’un déclassement médiatique. Je ne sais pas si c’est voulu ou si ça rentrait dans le cadre de la stratégie des autorités camerounaises, mais jusque récemment, on parlait très peu du Cameroun et des crises majeures qui touchaient ce pays. Conséquence, les drames se nouaient à huis clos, la communauté internationale n’était pas nécessairement au courant de ce qui se passait au pays », estime-t-il.
« Nous devons en finir avec cette paralysie de la communauté internationale. Chaque jour que dure ce conflit, la rancœur se renforce et la région se rapproche dangereusement d’une guerre sans merci […] Tandis que la crise dans les régions anglophones du Cameroun se poursuit, la communauté internationale demeure passive», a déclaré Jan Egeland, secrétaire général du NRC, cité dans le rapport obtenu par Sputnik.
Alors que ce conflit séparatiste a déjà fait 1.850 morts en 20 mois de combats, selon un récent rapport d’International Crisis Group, la faible implication des acteurs internationaux fait craindre un pourrissement de la situation humanitaire.
« La violence est de plus en plus ordinaire dans les régions anglophones. On constate même une certaine mutation des actes terroristes, avec notamment des actions plus spectaculaires et plus sanglantes. On se souvient de l’enseignant décapité dans la région du Nord-Ouest. De plus, les espaces concernés par ce conflit connaissent une extension », analyse pour Sputnik Éric Yombi, spécialiste des relations internationales.
« Il faut déjà que les médias nationaux et internationaux s’y intéressent et assurent la fonction d’information qui est la leur. Ils doivent le faire sans alarmisme et sans complaisance. Les médias doivent se donner des moyens humains, matériel pour aller sur le terrain et observer eux-mêmes. Il ne faut plus se limiter à des safaris organisés par le service de communication du régime de Défense. Ne plus se limiter au simple monitoring des réseaux sociaux, avec tous les risques de manipulation que cela comporte.
Il faut également que l’Etat et les organisations internationales spécialisées, telles que le Haut commissariat des Nations unies pour les réfugiés (HCR), l’Organisation internationale pour les migration communiquent davantage sur cette crise sécuritaire », commente l’universitaire au micro de Sputnik.
Si la négligence politique, financière et médiatique, soulignée dans le rapport, affaiblit l'assistance humanitaire et la pression politique, Eric Yombi pense pour sa part que tous les acteurs doivent se mobiliser, à tous les niveaux.
« Jusqu’ici, les pressions amicales n’ont pas permis de sortir de l’ornière. Il faut une concertation et un consensus avec tous les soutiens internationaux du Cameroun. Ce rapport de forces doit être redéfini par des partenaires bilatéraux, comme les États-Unis », explique le chercheur en relations internationales.
Longtemps inexistantes, les pressions internationales se sont néanmoins intensifiées ces derniers mois. Le Parlement européen a adopté mi-avril une résolution invitant les autorités camerounaises à mettre un terme de façon urgente à ce conflit.
à l’initiative des États-Unis, une première réunion informelle du Conseil de sécurité de l’Onu sur la situation humanitaire au Cameroun s’est tenue mi-mai à New-York, alors que des grandes puissances avaient privilégié jusqu’alors les pressions bilatérales sur le Président Paul Biya pour tenter d’inverser le cours des choses.
Fin mai, le leader séparatiste Julius Ayuk Tabe, écroué à la prison de Yaoundé où il est poursuivi pour «terrorisme et sécession», s'est néanmoins dit disposé à participer à des pourparlers, mais uniquement à l'étranger. Il a aussi posé comme préalable sa libération, ainsi que celle de toutes les personnes détenues dans le cadre de la crise anglophone, le retrait des autorités et des troupes déployées dans les régions anglophones, mais le gouvernement s’y est opposé.