La région du lac Tchad connaît une recrudescence d’attaques de la secte Boko Haram. Au moins sept soldats camerounais ont été tués pendant une incursion du groupe nigérian Boko Haram dans la nuit de dimanche à lundi 10 juin à Darak, département du Logone et Chari, une localité de l’extrême nord du Cameroun proche du lac Tchad où opèrent des djihadistes, a appris Sputnik de sources locales.
Les assaillants ont visé un les positions de l’armée camerounaise au petit matin du lundi 10 juin. L’attaque menée par le groupe djihadiste Boko Haram a été suivie de violents combats avec l’armée, jusqu’à l’arrivée des renforts qui ont permis de les repousser.
Selon des témoins, les assaillants, positionnés sur l’une des routes du village, agressaient et dérobaient des villageois de passage à motocyclette. Informée, l’armée camerounaise s’est rendue sur les lieux. Les échanges de coups de feu entre les deux parties ont duré une vingtaine de minutes et se sont achevés par la retraite des assaillants de Boko Haram.
«Les habitants ont entendu de violents combats vers 20 h. Beaucoup ont commencé à fuir pour se cacher dans les champs. C’était la confusion totale, parce que les assaillants étaient également lourdement armés. Quelques roquettes ont été lancées», a relaté une source dans la région, jointe au téléphone par Sputnik.
Cette même nuit du 8 juin, une incursion de terroristes dans la localité de Kolofata-Guidi, toujours à l’Extrême Nord du Cameroun, a conduit à la mort d’une femme. Cette dernière aurait lancé l’alerte à leur passage avant de se faire tuer par les djihadistes.
Interrogé par Sputnik sur la fréquence et la facilité avec laquelle les assaillants de Boko Haram réussissent des incursions ces dernières semaines, Joseph Lea Ngoula, analyste des questions sécuritaires et géopolitiques pour le cabinet Orin consulting, spécialisé dans la gestion des conflits en Afrique, invoque les dissensions qui se sont instaurées entre les factions de Boko Haram qui sévissent dans la région en plus de l’arrivée de la saison sèche, plus propice aux attaques.
«La reprise des attaques enregistrées ces derniers mois peut trouver une explication dans les conditions climatiques qui prévalent, la saison sèche donnant souvent lieu à des attaques, tandis que la saison de pluies est un moment de retrait stratégique. Ensuite, les divisions profondes qui traversent les factions du mouvement islamiste peuvent aussi apporter quelques éclairages sur cette dynamique.
Le groupe de l’État Islamique en Afrique de l’Ouest (ISWAP), faction de Boko Haram désormais placée sous l’autorité d’Abu Abdullah Ibn Umar al-barnawi, tente de prouver que son mouvement a survécu à la décapitation après le renversement de Khalid al-barnawi et Mamman Nur, deux figures emblématiques. Tandis que la faction de Shekau, la moins nombreuse et très affaiblie depuis le schisme, essaye de démontrer qu’elle conserve ses capacités de nuisance, malgré les rumeurs sur son déclin», explique-t-il au micro de Sputnik.
«Certes, la secte Boko Haram a été affaiblie par les guerres de leadership et les campagnes militaires lancées contre ses positions par la coalition des pays du bassin du Lac Tchad. Elle n’en a pas moins multiplié, depuis août 2018, des raids sur les camps militaires localisés dans la région afin de reconstituer sa puissance de feu en pillant l’arsenal militaire. Le problème, c’est que la réponse militaro-centrée des États de la région, en ne s’attaquant pas aux racines profondes de cette crise, a poussé les populations locales dans les bras de Boko Haram. Les factions du groupuscule djihadiste continuent de mener des campagnes de recrutement à succès en exploitant les frustrations des populations, le ressentiment de certains contre les armées et, plus récemment, les tensions historiques qui opposent les communautés du Lac Tchad», commente pour Sputnik Joseph Lea Ngoula.
Depuis 2009, au Nord-est du Nigéria, dans la région du Diffa au Niger, à l’Extrême-Nord du Cameroun et à l’Est du Tchad, des millions de personnes sont victimes de déplacements, massacres, malnutrition aiguë et maladies. Selon l’Onu, 10,7 millions de personnes ont besoin d’une aide humanitaire dans cette partie du continent.
Selon le Haut-commissariat des Nations unies pour les réfugiés (HCR) le Cameroun héberge actuellement plus de 370.000 réfugiés, y compris 100.000 originaires du Nigéria. Des mouvements de populations qui génèrent des problèmes supplémentaires pour des économies déjà fragilisées, comme l’indique à Sputnik notre analyste des conflits.
«Le flux croissant de réfugiés alourdit le fardeau humanitaire dans les pays d’accueil, pourtant ces derniers n’arrivent déjà pas à subvenir aux besoins de leurs propres populations déplacées à l’intérieur du pays. Au Cameroun par exemple, 40% des réfugiés qui vivent en dehors du camp de Minawao, à l’extrême nord, exercent une forte pression sur les ressources locales et génèrent des tensions qui peuvent provoquer des conflits locaux», estime-t-il.
Le Cameroun n’est pas le seul pays à être affecté par la secte islamiste. L’Onu vient de tirer la sonnette d’alarme en ce qui concerne le Niger, en proie lui aussi à une violente crise sécuritaire. Depuis le mois de janvier, plus de 100.000 nouveaux réfugiés et déplacés ont été recensés, alors que le pays en abritait déjà quelque 300.000.
À Diffa notamment, dans le sud-est, région frontalière avec l’État nigérian de Borno, des groupes armés tels que Boko Haram ont provoqué le déplacement d’environ 25.000 personnes. Plus à l’ouest, toujours à la frontière nigériane, dans la région de Maradi, environ 20.000 Nigérians ont fui les violences de leur pays.
Alors que l’insurrection se poursuit, le HCR a lancé en janvier dernier, en collaboration avec le PNUD (Programme des Nations Unies pour le développement) et d’autres partenaires, un appel de fonds d’un montant de 135 millions de dollars pour aider les centaines de milliers de personnes déracinées par l’insurrection croissante de Boko Haram dans la région du bassin du lac Tchad. Une insurrection djihadiste qui a déjà fait plus de 27.000 morts.
La capacité de résilience de Boko Haram, dans une région en proie à l’une des plus violentes crises humanitaires au monde, n’a donc pas fini de faire des morts et des déplacés.