La disparition actée des chrétiens d'Orient est un sujet tabou. Nombre d'entre eux sont partis sous des cieux plus cléments, d'autres sont restés, attachés à leurs terres et leur patrimoine deux fois millénaire. Le génocide arménien a porté le premier coup à ces minorités religieuses, l'apparition de l'État islamique* leur aurait-elle porté le coup de grâce? Nous avons rencontré un témoin de l'histoire de ces communautés en danger, Jean-Claude Chabrier, qui depuis les années 1950, sillonne les routes du Moyen-Orient.
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Oubliez les associations humanitaires SOS Chrétiens d'Orient, l'œuvre d'Orient, Jean-Claude Chabrier se targue d'en savoir davantage sur le sujet. Imaginez-vous, plus d'une cinquantaine de voyages à son actif dans la région. L'histoire commence en 1957. Parti de Paris en vadrouille avec sa femme à bord d'une Renault 4 CV, le plan de départ était se rendre à Téhéran. Arrivé en Turquie, dans le sud-est, entre le Tigre et l'Euphrate, il se heurte à une zone interdite, à cause de l'instabilité chronique qui y règne. Il y pénètre néanmoins et tombe nez à nez avec les nombreuses communautés chrétiennes rendues invisibles à la fois par la Turquie kémaliste et l'accroissement démographique kurde. Il y croise Chaldéens, Syriaques orthodoxes, Arméniens survivants, certains parlant encore le turoyo, dialecte dérivé de l'araméen, langue du Christ. Des populations qui depuis, n'y sont plus.
«Nous avons rétroactivement compris que nous étions tombés dans un bastion, dans un fief qui n'existe plus maintenant. C'était à l'époque 98% chrétien, maintenant c'est 98% kurde. En général, là où il y avait des chrétiens, les Kurdes s'installent parce que les chrétiens ont été chassés par le massacre ou parce qu'ils sont partis travailler en Allemagne, en Hollande, en France ou en Belgique, donc les Kurdes prennent leurs maisons. Je connais des centaines de villages qui furent chrétiens et qui sont maintenant Kurdes.»
«Les chrétiens ont passé leur temps à être massacrés. Et ça continue, les massacreurs se relaient. Le destin d'un chrétien d'Orient, c'est d'être massacré. Et s'il ne l'est pas, c'est qu'il a trouvé une bonne combine.»
Mais alors qu'en est-il de Daech? Le «califat» entre l'Irak et la Syrie, qui en janvier 2015, s'étendait sur plus de 90.000 km2, a perpétré des horreurs contre l'ensemble des populations sur place, en particulier les chiites, les chrétiens, les yézidis et les Kurdes.
«Les chrétiens ont vu arriver l'État islamique avec terreur. À Maaloula, ils sont arrivés, ceux qui ont refusé de devenir musulmans, qui n'avaient pas fui, ils les ont crucifiés. […] Cela étant, il y en a qui sont devenus musulmans. D'ailleurs, je crois que le patriarche chaldéen que je connais, on se tutoyait, Louis Sako, m'a dit qu'il avait donné l'absolution à tous ceux qui se sont convertis à l'islam pour ne pas être massacrés.»
«Petit à petit s'est développée en Syrie une sorte de favoritisme en faveur des chrétiens d'Orient, ça c'est la dynastie el-Assad, le père comme le fils. Évidemment, le fils en rajoute encore. Il est allé à Maaloula quand Maaloula a été libéré de l'invasion islamique […] Évidemment, les chrétiens de Syrie adorent Bachar […] Saddam Hussein favorisait énormément et de façon outrageante les chrétiens. Les Chaldéens se sont offert toutes les faveurs de Saddam Hussein.»
Le cas iranien est différent. Sous les shahs, les minorités religieuses étaient relativement protégées à cause de Farah Diba, impératrice ayant fait sa scolarité à l'école Jeanne d'Arc à Téhéran. La Révolution islamique de 1979 n'a pas foncièrement changé la donne.
«De tout temps, l'endroit où les chrétiens d'Orient avaient le plus de chances de bien vivre est l'Iran.»
Chabrier connaît parfaitement l'Iran, il y était encore en novembre dernier. En 1957, ce voyage initiatique les conduit enfin à Téhéran, munis d'une lettre de l'association France-Iran et ils parviennent à être présentés au couple impérial:
«On a dû donner nos appareils photographiques, parce que le shah avait été victime d'un attentat, quelqu'un était venu avec un appareil photo, il appuyait sur le déclencheur et ça envoyait une balle. Le shah était méfiant, Sorayah était très belle.»
Il précise également avoir bien connu Farah Diba, la troisième épouse du shah, rencontrée à l'École spéciale d'architecture de Paris.
L'œuvre de toute une vie, qui n'a pas été reconnue à sa juste valeur. Débouté du CNRS et de France Culture, l'homme n'est pas facile, il se revendique anarchiste de droite. Lui qui regrette avoir toujours été «censuré» s'est même agacé de mes «questions de journaliste», accusées de ne pas suffisamment contextualiser. Sa priorité, son obsession devrais-je dire, est dorénavant de pouvoir transmettre un trésor inestimable, le fonds C.H.R.I.S.T.O.S. (centre pour l'histoire, la recherche, l'illustration, la sauvegarde des traditions de l'orient spirituel), comprenant 80.000 photos et 500 vidéos de liturgies ou de cultes chrétiens. Une œuvre qui retranscrit ainsi l'histoire de ces minorités en voie de disparition.
*Organisation terroriste interdite en Russie