«Il y a l’application au journalisme d’une idéologie néolibérale, autoritaire à bas bruit»

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Olivier Goujon - Sputnik Afrique
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Précarisée, dénoncée de tous, son indépendance mise en cause, aux mains de milliardaires et subventionnée par l’État, la profession de journaliste est décriée au point de se faire lyncher par les Gilets jaunes. À tort? Entretien avec Olivier Goujon, photoreporteur et auteur de «Ces cons de journalistes».

On connaissait les «journalopes», les «presstituées» et les «Merdias», les «éditocrates», autant de qualificatifs éminemment fleuris sur les réseaux sociaux pour caractériser les médias et les journalistes en France. À l'heure où la défiance envers ceux-ci n'en finit pas de grandir, comme en témoigne le baromètre annuel de La Croix, publié le 24 janvier où certains de ses représentants se font lyncher dans les manifestations, de nombreuses questions se posent sur la profession. Sputnik a interrogé à ce sujet, Olivier Goujon, photoreporter et auteur de Ces cons de journalistes (Éd. MaxMilo).

Retrouvez les meilleurs moments de l'entretien en vidéo:

Pourquoi un tel titre? «Évidemment, c'est ironique et provocant», me répond l'auteur, qui dresse dans son ouvrage un panorama peu reluisant de la profession, des journalistes d'en bas, des «trimeurs» sans aucun rapport avec les journalistes en vue, à la télévision.

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Tout le monde a remarqué dans les manifestations des Gilets jaunes une aversion, voire une détestation vis-à-vis des journalistes des médias mainstream, en particulier de BFMTV. Accusés de connivence avec le pouvoir, de déconnexion avec le terrain, d'appartenir à des milliardaires qui les instrumentalisent pour servir leurs intérêts, les journalistes vivent une situation catastrophique. Ne niant pas ces problématiques, le journaliste Olivier Goujon évoque cette défiance chronique, mais la nuance:

«L'important, ce n'est pas que tel journal appartienne à tel milliardaire, vous savez il y a toujours eu des financiers dans la presse et il y a toujours eu de l'argent dans la presse, l'important c'est de savoir d'où on parle. C'est ça la vraie question. Là, je suis à Sputnik, je sais d'où parle Sputnik. Si je vais au Média, je sais d'où parle le Média. Si je vais à France Inter, je sais d'où parle France Inter. Je connais son histoire, je connais les gens qui y travaillent, je sais s'il y a éventuellement une idéologie ou un positionnement politique derrière.»

Le photoreporteur, qui a voyagé dans plus de 160 pays, évoque également les différences entre journalistes, l'écart entre les «éditocrates parisiens» qui mènent grand train, qui font l'opinion dans leurs médias et souvent sur les réseaux sociaux, mais qui ne représenteraient pas la profession tout entière:

«Quand on parle des journalistes, bien souvent on désigne deux cents éditorialistes, et 200 je suis généreux, c'est peut-être que 80 ou 100. […] De la même manière, quand des hommes politiques s'en prennent aux journalistes en général, ils désignent ces éditorialistes-là et ces gens-là décrédibilisent la profession, puisqu'ils ne représentent rien, ils ne représentent pas les journalistes.
En tout cas, certainement pas la variété du paysage journalistique qui existe en France. Il y a 35.000 journalistes en France, ce n'est pas eux. Eux ils sont commentateurs sur certaines antennes et ils ont un accès presque permanent à des tribunes. Je ne veux pas citer de noms en particulier, ils sont souvent en place depuis trente-cinq, quarante ans, connivents, paresseux. Forcément, eux participent de cette décrédibilisation qui se manifeste dans le public.»

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Conspué et réduit à peau de chagrin par les logiques de rentabilité à tout prix, le métier de Joseph Kessel, Lucien Bodard, Hemingway et Albert Londres est malgré tout, paradoxalement, auréolé de prestige, car il suscite de nombreuses vocations. En témoigne le succès des écoles de journalisme. L'auteur décrit dans l'ouvrage les réductions d'effectifs, les fusions, les rachats expliquant la précarisation progressive de la plupart des journalistes:

«Il y a l'application au secteur économique du journalisme d'une idéologie néolibérale, en l'occurrence autoritaire à bas bruit […] La réalité des faits, en bas, c'est qu'il y a des journalistes crevards (dans le sens ou l'utilisait Varlam Chalamov, de celui qui se bat pour survivre) et puis en haut il y a des journalistes qui ont des prérogatives, qui vivent dans une tour d'ivoire et qui eux sont réellement déconnectés du terrain.»

Quand les journalistes sortant de l'école n'ont d'autre choix que de devenir pigiste, autoentrepreneur ou fournisseur de contenus, il est certain qu'ils sont affaiblis, en termes de rapport de force, face au rédacteur en chef et à l'actionnaire:

«La précarisation, c'est le premier outil de la mainmise sur l'information. Quand on gagne 500 ou 800 euros par mois, on ne résiste à personne. Et quand vous gagnez 500 ou 800 euros par mois, la qualité de l'information, ce n'est pas le souci.»

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