Les États-Unis sont farouchement opposés à la construction du gazoduc Nord Stream 2 au point que l'ambassadeur américain en Allemagne, Richard Grenell, a évoqué de possibles sanctions contre les participants au projet. Sputnik a demandé l'avis de plusieurs experts sur la question.
Francis Perrin, spécialiste des questions énergétiques à l'Institut de Relations Internationales et Stratégiques (IRIS), a évoqué les moyens de Washington pour exprimer son opposition à «ce projet extrêmement important».
«Cette forte opposition américaine sous l'administration Trump s'est manifestée d'une part par des pressions sur les pays membres de l'Union européenne et également par des pressions, explicites ou implicites, sur des entreprises qui pourraient être impliquées dans ce projet soit en termes d'exploitation, soit en termes de construction et par des institutions qui pourraient être amenées à financer une partie du coût de ce projet», a-t-il indiqué.
«C'est la seule condition politique posée par le gouvernement allemand qui pour l'instant résiste aux pressions américaines qui sont extrêmement fortes […] Les pressions américaines ne se sont pas traduites par l'opposition de l'ensemble de pays européens face au projet du Nord Stream 2. Mais il y a une division au sein de l'UE sur ce projet. Et les autorités US espèrent compter sur ces divisions pour retarder l'avancement du Nord Stream 2», a encore noté Francis Perrin.
Graziani Tiberio, politologue et président de la plateforme internationale Vision & Global Trends à Rome, a affirmé de son côté que les États-Unis ciblaient des objectifs géostratégiques pour une perspective à long terme.
«La réalisation du projet Nord Stream 2 n'est qu'une partie de ce grand jeu. L'objectif numéro un en est de rompre tous les liens dans les infrastructures de livraison des ressources entre l'Europe continentale et la Russie. Pour les États-Unis, tous les moyens sont bons pour morceler l'Europe, la rendant plus faible et la contraignant à s'adresser à son allié, les USA. L'autre objectif des États-Unis, pour une perspective à moyen terme, est de vendre à l'Europe leur gaz de schiste, bien qu'ils ne réfléchissent pas aux difficultés de son transport», a-t-il expliqué.
Christian Wipperfürth, membre associé du Conseil allemand des relations internationales, a pour sa part dit ne pas croire que les États-Unis s'élèvent contre le projet pour la seule raison qu'ils veulent vendre eux-mêmes du gaz, car le pays ne pourra jamais fournir à l'Europe les quantités nécessaires à un prix concurrentiel.
Le politologue allemand Erhard Crome a émis pour sa part une autre hypothèse.
«D'ici à 2025, les États-Unis veulent dominer au moins 50% du marché gazier européen. Mais ils ne peuvent pas le faire sans évincer la Russie d'une grande partie de ce marché», a-t-il affirmé.
Nicolas Bay, député RN au Parlement européen, estime pour sa part que la pierre d'achoppement dans le projet Nord Stream 2 est le gaz américain.
«Les Américains veulent que les Européens achètent leur gaz de schiste plutôt que le gaz naturel russe, pourtant moins cher, plus sûr, plus facile à acheminer et plus respectueux de l'environnement», a-t-il indiqué.
«En l'occurrence, ce sont nos intérêts, notamment ceux de l'entreprise française Engie, qui sont menacés par cette guerre juridique que nous mènent les États-Unis», a rappelé Nicolas Bay.
Pour Konrad Renkas, journaliste indépendant et politologue polonais, la raison principale du lobbying contre le projet Nord Stream 2 est cachée aux Polonais.
«Les actions des Américains sont moins antirusses qu'antieuropéennes», a-t-il souligné, affirmant que les États-Unis cherchaient à contrecarrer tout ce qui pourrait amener l'Europe à ne plus dépendre des États-Unis.
«D'où l'opposition au renforcement d'une coopération énergétique mutuellement avantageuse entre l'Europe et la Russie, d'où une forte pression américaine contre la collaboration avec l'Iran, d'où, enfin, la lutte contre la Nouvelle route de la soie», a-t-il noté.
Le projet Nord Stream 2 est réalisé par la société russe Gazprom, en coopération avec les entreprises européennes Engie, OMV, Shell, Uniper et Wintershall. Le gazoduc reliant la Russie à l'Allemagne via la mer Baltique devrait être mis en service d'ici à la fin 2019. Les États-Unis s'opposent énergiquement à ce projet.
La Russie a déclaré plusieurs fois qu'il s'agissait d'un gazoduc absolument commercial et compétitif. Par ailleurs, Vladimir Poutine a souligné que l'élaboration du Nord Stream 2 ne signifiait pas pour autant l'arrêt du transit de gaz russe via l'Ukraine.