Pour atteindre les camps de déplacés de la localité de Mémé, à plus de 60 km de Maroua, la capitale régionale de l'Extrême-Nord, il faut littéralement déchirer un nuage de poussière, omniprésent sur une route difficilement carrossable. À l'approche du village, un premier camp des déplacés accueille le visiteur. Ce matin-là, le soleil cogne déjà sur la plaine et sur des centaines d'abris de fortune. À l'intérieur comme à l'air libre, des familles ayant fui les exactions de la secte terroriste Boko Haram.
«Ce jour-là, les Boko Haram sont entrés chez moi et ont mis le feu à ma case. Ils ont tué mon père, mon beau-frère, mon petit frère aussi est mort. Ils ont coupé les mains de mon beau père et mon mari a fui de son côté. Tout a brûlé, mes affaires, mes récoltes de céréales. Heureusement ce jour-là j'étais au marché avec mes enfants, nous avons réussi à nous enfuir», raconte-t-elle, encore choquée.
Aissa n'a plus revu son mari depuis lors. Sans nouvelles de lui, elle assume seule la charge de sa famille.
«C'est très dur de nourrir les enfants. Au début, on [les ONG, ndlr] nous aidait avec la nourriture, mais maintenant rien. On nous a oubliés. Pour l'école ici, les enfants vont sans chaussures et sans livres» souligne la dame au micro de Sputnik.
Pourtant, malgré ces difficultés, Aissa n'envisage pas la possibilité de retourner dans son village. D'ici, elle reçoit souvent de très tristes nouvelles venant de Amchidé.
«Dernièrement encore, j'ai appris qu'ils [Boko Haram, ndlr] ont tué les gens là-bas. Je ne peux pas rentrer là-bas. Ici, on n'a rien, mais on est un peu en sécurité», rajoute Aissa.
«Ça fait cinq ans que je vis comme un mendiant, pourtant j'avais une vie, du bétail et des champs. Ici, je ramasse du bois pour le revendre. Je ne peux même pas me soigner sans me faire aider, même pour manger, il faut attendre de l'aide.»
Après une incursion dévastatrice de Boko Haram dans son village, Gadji a tout abandonné derrière lui. Il est installé ici, dans un abri de fortune, avec sa famille constituée de 12 personnes.
«Nous avons eu la chance d'être encore vie. Certains ont été tués et je ne compte plus retourner là-bas. Je préfère mourir ici. Je suis toujours au Cameroun n'est-ce pas?» Lance le vieil homme.
La seule localité de Mémé, dans ce coin du pays, compte six camps de déplacés pour plus de 2.000 âmes. Des populations venues d'environ 30 villages de la région. Au lieu dit Igawa Mémé, deux camps des déplacés partagent des sites voisins. Ici, le quotidien est tout aussi difficile et les histoires similaires.
«Nous n'avons rien. On a faim, même l'eau souvent il n'y en a pas. Se soigner, c'est difficile. Avant on nous aidait, ça fait un an qu'on n'a plus rien. On lève la main vers le ciel en comptant sur Dieu», raconte Boukar Ahmadou.
Le vieil homme et les siens scrutent le firmament au quotidien, dans l'espoir d'une manne venue du ciel. Malgré les appels au retour lancés par les autorités, Boukar craint encore de rentrer dans son village.
«Avec ce qu'on a vu là, non, on ne peut pas rentrer. On est des hommes, mais on a peur. Ce qu'on veut, c'est l'aide pour vivre ici» dit-il.
Cependant, les aides humanitaires se font de plus en plus rares dans cette localité et la situation des déplacés reste précaire, nous affirme Lougouman, le Lamido (chef local) de Mémé et adjoint au maire de l'arrondissement Mora, que Sputnik a rencontré à son domicile, à un vol d'oiseau des camps des déplacés.
«Depuis un an, les aides humanitaires ne sont plus régulières ici. Les déplacés sont abandonnés. Moi-même, en tant que chef, je me bats pour venir en aide aux familles. Souvent, les familles viennent s'aligner là devant ma porte et on leur distribue le mil», témoigne le Lamido.
En dépit de l'affaiblissement de Boko Haram au Cameroun, la situation humanitaire ne s'améliore pas dans l'Extrême-Nord. En mai 2018, la région comptait, selon International Crisis Group (ICG), 238.000 déplacés camerounais. Certains d'entre eux, dont la plupart viennent des zones frontalières avec le Nigéria, souhaitent s'installer dans leurs nouvelles localités.