Les autorités nigériennes ont beau avoir parlé, il y a quelques mois, de «résidus de Boko Haram», la région de Diffa continue de faire les frais des incursions meurtrières du groupe terroriste nigérian.
Jeudi 22 novembre, la cible était une entreprise française implantée dans le village de Tourmou, dans cette région méridionale du Niger. Bilan: 8 morts et 5 blessés, principalement parmi le personnel de Foraco, qui effectuait des forages d'eau afin d'améliorer les conditions de vie dans un camp de réfugiés de cette région reculée du Niger.
«C'est une zone dont la résurgence sécuritaire est apparue de manière régulière pendant ces derniers mois. L'activisme de Boko Haram dans cette région n'est pas nouveau. Ce qui est inédit, c'est que cette fois-ci c'était une entreprise française qui était ciblée, alors que jusque-là, ils prenaient surtout pour cible des villageois ou les militaires engagés contre eux dans la région dans le cadre de la force régionale, la Force Multinationale Mixte, regroupant les pays limitrophes, plus le Bénin», commente Emmanuel Dupuy, président de l'Institut Prospective et Sécurité en Europe (IPSE).
Des intérêts français pour cible, un modus operandi plutôt caractéristique des «frères d'armes» actifs dans l'Ouest et le nord du pays, notamment dans les régions de Tahoua et Tillabéry. Plus généralement, c'est dans «la zone des trois frontières», du Burkina Faso, Mali et Niger que se concentre l'activisme djihadiste des nébuleuses sahélo-sahariennes.
Il s'agit, principalement, rappelle Dupuy, du Groupe de soutien à l'islam et aux musulmans (JNIM/GSIM) né du regroupement des mouvements Ansar Dine, MUJAO et AQMI-Al Mourabitoune, en mars 2017, sous l'égide de Iyad Ag Ghali, et l'État islamique dans le Grand Sahara (EIGS), émanation de Daech* dans la bande sahélo-saharienne, depuis sa création en mai 2015, à l'initiative de Adnane Abou Walid al-Sahraoui.
L'expert français regrette une hiérarchisation des menaces, avec une focalisation accrue sur les groupes sahélo-sahariens, au détriment de la guerre contre Boko Haram. Contre les premiers, toute une architecture sécuritaire s'est mise en place ces dernières années, autour de la Mission onusienne au Mali, la Minusma, la Force française Barkhane et la force conjointe du G5 Sahel. La guerre contre Boko Haram a été le fait de la Force Multinationale Mixte (FMM), réunissant les quatre pays du lac Tchad, plus le Bénin.
Beaucoup moins d'investissement financier et capacitaire, en revanche, dans le cadre de l'autre menace, de type "vertical", impliquant Boko Haram et son émanation au nord-ouest du Nigéria (mouvement Ansarou), où le seul acteur est la Force Multinationale Mixte, qui ne bénéficie pas de suffisamment de soutien», poursuit Dupuy.
En d'autres termes, l'urgence de la zone des trois frontières a pris le pas sur celle des quatre frontières. En cause, les liens inextricables entre réseaux terroristes sahélo-sahariens, trafics d'êtres humains et immigration clandestine, mais aussi, les liens présumés entre certains attentats perpétrés en Europe et ces mêmes groupes sahélo-sahariens.
Ce désintérêt —relatif- ne doit pas occulter les succès sécuritaires réalisés dans la guerre contre Boko Haram. À Diffa, seuls 141 civils ont «blessés, tués et enlevés», en 2017, contre 227 en 2016 et 214 en 2015, d'après des données du Bureau des Nations unies pour les Affaires humanitaires (OCHA). Par ailleurs, si la situation sécuritaire pendant les 8 premiers mois de l'année 2018 a été marquée par une augmentation du nombre d'attaques, il y a eu «une baisse des victimes civiles liées à ces incidents comparativement à la même période l'année dernière (2017)», dans la région de Diffa, relève encore l'OCHA dans un rapport publié en septembre 2018.
«Un signal envoyé pour affirmer sa résilience, alors que le Président Buhari brigue un deuxième mandat en février», conclut Dupuy.
* Organisation terroriste interdite en Russie