Installé sur une natte à la véranda de sa maison, l'air songeur, Boukar Ali, 75 ans est de retour dans son village après deux ans d'exil. Le vieil homme, en compagnie de ses trois épouses, 24 enfants et petits enfants, avait quitté son village natal en 2016, au plus fort des attaques de la secte islamiste Boko Haram. Un départ forcé face aux atrocités vécues dans la localité.
«Ce que j'ai vu faisait peur. Boko Haram venait tout le temps brûler les maisons et tuer les gens. On ne pouvait plus rester. Beaucoup de voisins et amis du village sont morts à cause de ces gens» se souvient-il.
Pour échapper à l'horreur, Boukar et sa famille se sont installés à Kossa, un canton de l'arrondissement de Mora, situé à 40 km de son village. Contrairement à la majorité des déplacés, contraints à vivre dans les camps, il a trouvé refuge chez des proches.
«À Kossa, je vivais chez un cousin à moi. J'ai passé deux ans là-bas avec une partie de ma famille. Une autre partie est allée vivre chez un oncle. Mais vous savez, c'est toujours difficile de vivre ailleurs que chez soi et de compter sur les gens pour se nourrir. C'est pour ça que quand les autorités ont dit qu'on pouvait rentrer dans nos villages sécurisés par les militaires, je suis revenu.»
«Je suis de retour avec une partie de ma famille. Nous sommes huit actuellement à la maison, mais c'est très difficile de se nourrir. Nous avons perdu notre bétail et une partie de nos champs. Les champs fertiles sont situés derrière les tranchées creusées pour protéger le village. Nous ne pouvons plus cultiver les terres qui sont situées très loin du village, de peur d'être attaqués par Boko Haram» relate l'homme avec regret.
«Quand les gens partaient, je ne voulais pas. Je suis resté et un jour les Boko Haram sont venus et ils ont encore brûlé les maisons et ont tué sept personnes non loin de moi. J'ai eu peur et je suis aussi allé vivre dans un village à trois kilomètres d'ici», nous confie Abdoulaye.
Abdoulaye et ses cinq enfants sont de retour après quatre mois d'exil, mais sans ressources, le vieillard a du mal à joindre les deux bouts.
«Nous manquons de tout au village. Nous n'avons même plus de marché. Pas de moyen de déplacement. Nous avons besoin d'aide pour vivre, pour reconstruire nos maisons et en plus, malgré la présence des militaires, nous vivons dans la peur.»
«Quand c'était dangereux même nous, les jeunes du comité de vigilance, nous avons fui le village. Tout le village était vide. Là maintenant ça va un peu», dit-il.
Depuis leur retour au village, le comité de vigilance travaille comme par le passé en collaboration avec les forces armées pour déjouer les attentats de Boko Haram:
«Depuis là, on a plus les attaques des groupes, mais il y a les kamikazes femmes qui viennent souvent se faire exploser. Les kamikazes entrent souvent dans le village. D'autres réussissent à exploser et on a réussi à neutraliser certains kamikazes. Ça fait au moins deux mois quand même que tout est calme», rajoute Abdouraman.
Une situation sécuritaire comparable à celle de l'ensemble des villages frontaliers de la région. Selon un rapport de International Crisis Group (ICG) publié en 2018, on comptait encore 238.000 déplacés dans la région. Limani s'est vidé de sa population au plus fort des attaques de la secte. Aujourd'hui, le village compte selon l'un des notables rencontrés, moins de 5.000 âmes, loin de la moitié de sa population avant le début de la crise. Des villageois de retour qui manquent de tout. D'ailleurs, le seul centre de santé existant est fermé depuis janvier 2015.
«Après les attaques fortes des postes avancés en octobre 2014, beaucoup ont pris peur et c'est ainsi que le personnel de l'hôpital est aussi parti. Jusqu'à ce jour, le centre n'est pas ouvert», relate au micro de Sputnik Paul Kaladjave, qui a travaillé dans ce centre comme aide-soignant pendant 20 ans.
Paul dit s'occuper à présent des cas légers de maladie à son domicile pour aider les populations de retour. Les cas graves sont obligés d'aller se faire soigner à 30 kilomètres du village.
«Je suis d'abord retourné ici parce que c'est mon village. J'essaye d'assister mes frères malades et il y a beaucoup de maladies comme le palu, la diarrhée et la pneumonie qui dérangent chez nous», témoigne Paul.
À la différence du centre de santé, le lycée de Limani a rouvert ses portes cette année au grand plaisir d'Étienne et Kavoa, deux élèves de seconde, que Sputnik a rencontrés après les cours.
«Je suis heureux de faire mes cours ici et de retrouver certains de mes camarades. Nous avons recommencé cette année», lance Étienne, l'air joyeux.
Entre 2014 et 2016, près de 100 établissements scolaires sont restés fermés dans la région de l'Extrême-Nord. Les autorités avaient entrepris de faire inscrire les déplacés dans les écoles situées à proximité des camps des déplacés. C'est ainsi que le lycée de Limani était établi au lycée Bilingue de Mora.
Le Cameroun est officiellement en guerre contre Boko Haram depuis mai 2014. Bien que le conflit ait graduellement baissé en intensité, après avoir atteint son paroxysme en 2014 et 2015, les incidents et attaques récurrents, ainsi que la forte hausse des attentats-suicides de mai à août 2017, rappellent que le mouvement djihadiste est loin d'être défait.