On marche sur des œufs quand on interviewe de tels personnages… Dans son livre Dealer du Tout-Paris: Le fournisseur des stars parle, Gérard Fauré cite de nombreux noms. La plupart sont morts, d'autres très âgés, l'ancien parrain se délecte à raconter de nombreuses choses pas très ragoûtantes impliquant de hauts personnages. On ne peut que le croire sur parole et il n'a pas forcément un discours très policé vis-à-vis de ses frasques antérieures et notamment la drogue. J'apprends par la même occasion que la «publicité» faite aux drogues est passible de 5 ans de prison et 75.000€ d'amende. Je vais donc y aller mollo…
Retrouvez les meilleurs moments de cet entretien en vidéo:
La série Narcos adaptée en France… C'est un peu la vie de Gérard Fauré, gangster, braqueur, dealer, mais descendant par son paternel d'une vieille famille bourgeoise de l'Aude et d'une tribu berbère un peu pirate par sa mère. Après avoir lu son livre débordant d'anecdotes plus folles les unes que les autres et peut-être enjolivées, je rencontre le personnage dans une banlieue calme de Paris. Il nous accueille à soixante-douze ans, l'air des gens qui ont vécu la vie par les deux bouts, mais accompagné par un petit chien.
Il a petit à petit fait son trou dans l'honorable profession de contrebandier de cannabis, de whisky, de cigarettes et… d'argent illégal: «c'était peine de mort si on faisait ça au Maroc». Il fraye avec des anciens de l'OAS en Espagne ainsi qu'avec la police franquiste, sans rompre ses liens avec le SAC, le Service d'Action Civique, milice gaulliste dirigée longtemps par Charles Pasqua. L'ancien ministre de l'Intérieur aurait d'ailleurs tenu à rencontrer Gérard Fauré, sondant ses capacités afin de le recruter pour des actions pas très légales, notamment l'assassinat de membres de l'ETA, en collaboration avec les terribles GAL espagnols.
«J'ai travaillé un peu avec ces gens de l'OAS, petit à petit j'ai fait connaissance, ils m'ont présenté Gaëtan Zampa, le parrain de Marseille, qui lui était très intéressé par le commerce de cannabis, même de cocaïne […] Pasqua m'a appelé en 78 —on m'a parlé de toi- je me suis engagé avec eux, on a fait quelques braquages en Espagne, en Hollande».
Et ce ne sont pas les seuls casses qu'il a montés dans toute l'Europe. Après avoir eu de bonnes informations du SAC, Gérard Fauré déclare ainsi avoir pillé plusieurs banques et de bijouteries, avant de reverser la moitié du butin au service d'ordre gaulliste.
«En Hollande, c'était une espionne, une Mata Hari, qui avait pris en main un directeur de banque, une très grande banque. Elle lui avait donné de la cocaïne, le type était pris. Il avait fini par lui donner les clés de la banque, les systèmes d'alarme, tout ce qu'il y avait dedans. Je suis allé avec des potes, aujourd'hui qui sont morts, on est entrés, on a tout pris et à la sortie, la police nous attendait.»
Oui, mais attention, me dit-il:
«Je n'ai jamais tué, j'étais dans la logistique, les voitures.»
Le problème, c'est qu'il a avoué avoir tué des gens sur un plateau de télévision, mais toujours en légitime défense:
"Je ne balance pas, j'informe", estime Gérard Fauré, auteur du livre "Dealer du Tout-Paris" #BalanceTonPost #BTP pic.twitter.com/bzMGeuWl30
— Balance Ton Post (@BalanceTonPost) 1 décembre 2018
Il n'y a pourtant pas que des meurtres et des braquages dans son bouquin: il nous fait aussi part de sa triple évasion, d'un style «mesrinien», deux échecs, dont le second est rocambolesque. Il promit ainsi au beau-père de son frère, général des Gardes civils espagnols, de «tout balancer» en échange de sa libération. Le deal est conclu sauf que:
«Je me suis arrangé avec deux copines; je leur ai dit, vous allez m'attendre à la sortie de l'hôtel. Au bout d'une semaine, j'allais tous les jours à la plage avec les gardes civils qui me surveillaient. Je nageais, j'allais sous l'eau, reprenais mon souffle. Un jour, je me suis dit, c'est bon, j'arrive à aller sous les roches et les filles m'attendaient dehors avec une voiture que j'avais cachée, une Mercedes Sport. Les gardes civils ne s'étonnaient plus de me voir aller sous l'eau, plonger. Ils étaient assis, tranquilles, ils ne pensaient pas que j'allais m'évader. Donc je fais le coup, je sors par l'hôtel en maillot puis je monte dans ma voiture avec les nanas puis on se sauve. Sur la route, on m'a arrêté et on m'a remis en prison.»
La troisième tentative est la bonne, il est libéré en force par le SAC de sa prison à Marbella. Puis le gangster part aux Pays-Bas, pays très permissif, pour y devenir le plus grand trafiquant de cocaïne du pays. Après dix-huit années cumulées derrière les barreaux, il nous livre ici une analyse assez incongrue des peines encourues en Hollande pour un meurtre, qui auraient pu lui valoir la perpétuité en France:
«De fil en aiguille, je suis devenu pratiquement le plus grand trafiquant de cocaïne de Hollande. Malheureusement, il y avait de la concurrence, il y a eu des meurtres, beaucoup de bagarres. Moi j'avais la gâchette facile, ça rend un peu nerveux, on se sent un peu invulnérable, on se prend pour un lion, on n'a peur de rien. Là vraiment je pense que si j'avais fait en France ce que j'ai fait en Hollande, je ne sortais plus jamais de prison. Là je prenais dix fois perpète. Mais les Hollandais étaient gentils. Pour un meurtre, ils donnaient six mois de prison, un an maximum. Donc c'était facile. Tirer sur les gens dans les caisses, dans le ventre, on n'allait même pas en prison pour ça.»
On en vient enfin aux raisons de ce livre intitulé Dealer du Tout-Paris: Le fournisseur des stars parle. Parce que Gérard Fauré balance du lourd sur des politiques et des stars. En premier lieu, Jacques Chirac et Johnny Halliday. Pourquoi eux? Ces derniers l'auraient dénoncé à la justice pour trafic de drogue.
«Johnny m'a chargé, il n'était pas obligé.»
C'est donc un livre pour se venger et il l'assume sans fard. Il aurait pu en dire davantage, mais la moitié du livre a été censurée par son éditeur de peur des poursuites judiciaires. Son premier livre Fatale confiance: La vérité sur la mort de Mohammed V n'avait justement pas trouvé d'éditeur, on se demande bien pourquoi. L'ancien bandit se remémore certaines anecdotes sur l'ancien Président de la République, qu'il accuse également d'avoir refusé de payer une dette de jeu. Furieux, il se venge (décidément, c'est une manie) en lui fournissant une cocaïne frelatée:
«Je vais me venger, je vais rattraper mon argent. On me demande 100 g, j'en mets 50 et je mets 50 de laxatif dedans, ça ne coûte pas cher. Ce qui fait que quand j'ai fourni les 100 g, il y a eu la débandade. Déjà que la cocaïne par elle-même, c'est un laxatif […] Chirac m'en a voulu.»
Étonnant, non? Ainsi, Gérard Fauré est arrêté en 1986, après avoir été dénoncé:
«On m'a arrêté, mes deux lieutenants ont parlé, de Chirac un peu trop. Parce qu'ils se sont fait démolir, il y en a un qui n'arrivait plus à marcher, on lui a cassé les genoux, c'est les mecs du SAC qui lui ont fait ça. Et l'autre, au commissariat, Quai des Orfèvres, ils lui ont mis une tête au carré, il était méconnaissable. Quand je l'ai revu en promenade à Fleury-Mérogis, je l'ai croisé, je ne l'ai pas reconnu.»
Après avoir échappé à plusieurs tentatives d'assassinat et d'enlèvement, consignées dans son livre, il me déclare maintenant ne pas avoir peur de la mort. Il a aujourd'hui certains remords, notamment d'avoir été entraîné dans la drogue:
«Je regrette ce tourbillon, qui m'a apporté de très beaux moments, mais le prix à payer est très cher.»