La faconde à l'état pur. L'interview devait durer une demi-heure, je l'avais prévenu, elle a duré le double, je m'y attendais. Impossible également de couper grand-chose au montage, ces quarante-cinq minutes sont ponctuées de punchlines et d'anecdotes savoureuses sur les juges, les politiques et son arrière-grand-père, le général de Castelnau, héros de la Grande Guerre.
Retrouvez les nombreux meilleurs moments de cet entretien
Il a fallu du temps pour arriver à joindre M.de Castelnau, très prolixe sur son blog Vu du droit et sur Causeur. Quand nous arrivons finalement à nous rencontrer à son cabinet parisien, surprise! Je le trouve en compagnie d'une personne que j'aurais a priori eu du mal à associer à l'avocat spécialiste de droit public. Il était en train de bavarder, complice, avec Claude Askolovitch, journaliste à France Inter. J'ai évidemment été présenté à «l'agent de l'Élysée» comme l'agent de Moscou. Je ne l'ai pas mal pris, question d'habitude.
Mais venons-en à l'affaire Mélenchon qui a secoué la politique, il y a quelques semaines. Régis de Castelnau a commis deux articles sur le sujet sur son blog, qui ont connu un certain retentissement sur les réseaux sociaux, en particulier celui-ci: Mélenchongate, demandez le programme!
Un papier partagé à la fois par les Insoumis,
Un article d’une impressionnante justesse et que devraient lire les journalistes avant de continuer leurs flétrissures contre nous. Monsieur @R_DeCastelnau, merci pour cet article et pour votre droiture. https://t.co/D0v4AaUcjZ
— Antoine Léaument (@ALeaument) 21 octobre 2018
et au Rassemblement national:
« Mélenchongate »: demandez le programme! — Vu du Droit https://t.co/w1osmSYRcZ
— Louis Aliot (@louis_aliot) 24 octobre 2018
Une convergence des luttes?
«On s'acharne sur les opposants et deuxièmement, on protège les gens du pouvoir.»
Alors que le Rassemblement national, Nicolas Sarkozy et François Fillon sont confrontés à plusieurs procédures judiciaires en cours, pourquoi le premier opposant à gauche d'Emmanuel Macron est-il à son tour visé par la justice? Castelnau ne prend pas de pincettes:
«Je pense qu'on aimerait l'affaiblir suffisamment pour qu'il ne soit pas embêtant au moment des Européennes.»
Rappelons que le procureur de Paris, François Molins, avait déclaré n'avoir avisé personne au ministère de la Justice au sujet de ces perquisitions sur les comptes de campagne de la France Insoumise. L'avocat n'y croit pas une seule seconde:
«Il m'apparaît difficile, dans ce que je sais du fonctionnement de la justice, que cette décision n'ait pas fait l'objet au moins d'un consensus, que madame la Garde des Sceaux n'en ait pas été informée et que le cabinet de l'Élysée ne l'ait pas su, ne serait-ce que pour demander éventuellement un feu vert.»
«Oui, on peut dire qu'elle est indépendante au plan institutionnel du pouvoir, mais ce n'est pas grave. Elle va au-devant des désirs de ce pouvoir. Il y a une connivence idéologique, une connivence intellectuelle, une connivence politique.»
Il pointe ainsi une forme d'endogamie entre les cabinets ministériels et la haute fonction publique judiciaire, cible principale de son courroux. Mais qui sont ces hauts fonctionnaires, coupables de penser de la même façon que le «Pouvoir»?
«Essentiellement les juridictions de Paris, le procureur du Tribunal de Grande Instance de Paris, en l'occurrence aujourd'hui M.Molins, qui va passer à la Cour de cassation, la Cour d'appel de Paris, la Chambre d'Instruction, le pôle d'instruction financier où est Messieurs Tournaire, Van Ruymbeke, etc. Et le parquet national financier, c'est le haut du panier avec une espèce d'homogénéité. Et je pense que ceux-là sont sur des bases idéologiques, culturelles, proches du bloc au pouvoir.»
«Il y a des juges d'instruction dont je ne vais pas dire le nom, il n'y a pas besoin de leur dire qu'il faut être méchant avec Nicolas Sarkozy, ils le détestent. Et il y a des gens qui, si on leur dit- Monsieur Fillon, la Manif pour Tous le soutient, etc. c'est la lèpre, c'est les heures sombres… à ce moment-là, la machine se déclenche.»
Effectivement, la machine s'est déclenchée. Souvenez-vous, c'était il y a presque deux ans, en janvier 2017, Le Canard Enchaîné commençait à sortir l'artillerie lourde contre le favori des sondages à l'élection présidentielle et sa mise en examen extrêmement rapide lui valut sa défaite. Mais qu'en est-il aujourd'hui? La procédure n'a quasiment pas avancé. Ne niant pas les vulnérabilités du candidat de la droite, Régis de Castelnau n'a pourtant jamais vu une chose pareille:
«La façon dont s'est déroulé la procédure, je n'avais jamais vu une procédure se déroule de cette façon, jamais. J'ai 46 ans de barreau, je suis désolé […] Ça a été d'une vitesse extraordinaire, il y a eu les mises en examen, etc. Et aujourd'hui, ça fait un an et demi, il ne s'est rien passé depuis, quasiment […] la presse s'est retrouvée destinataire immédiatement des premiers éléments de l'enquête, des PV d'audition, des PV de perquisition.»
L'ancien avocat du PCF et de la CGT se rappelle également de l'histoire du «mur des cons» en 2013, quand des photos de nombreuses personnalités —surtout de droite, mais aussi de familles de victimes- ont été placardées sur un mur dans les locaux du Syndicat de la Magistrature (classé à gauche), dans le Palais de Justice de Paris.
«Dans n'importe quelle démocratie convenable, il est bien évident que tous les magistrats impliqués auraient dû être exclus de la Magistrature.»
Alors que la justice vient cette semaine d'ouvrir une enquête sur les comptes de campagne de La République en Marche concernant des dons s'élevant au total à 144.000 euros, j'ai alors demandé à l'avocat quel était son avis sur le mode de financement de la vie politique. A priori, il ne se montre pas défavorable aux lois des années 90, qui fixent des aides de l'État aux partis politiques en fonction des résultats électoraux. Lui se rappelle de la période antérieure, où semble-t-il, de nombreux soupçons de corruption régnaient en politique:
«Le RPR et le Parti communiste étaient des maisons à peu près bien tenues, j'ai bien dit, "à peu près". Le PS et les Centristes, surtout étaient des maisons très mal tenues.»
La justice s'est mise à contrôler les partis politiques et leurs comptes de campagne. Et c'est là où le bât blesse: le magistrat s'est arrogé au fur et à mesure de plus en plus de prérogatives, estimant qu'il s'agissait d'argent public et qu'ainsi les partis politiques devaient être contrôlés non seulement sur le montant de leurs dépenses, mais aussi sur leur nature. Régis de Castelnau s'insurge avec véhémence, dénonce l'absence de liberté politique pour les représentants du peuple, il prend ainsi un cas extrême:
«Vous avez un dirigeant de parti, ses membres veulent qu'il fasse campagne en Ferrari avec une Rolex. C'est son problème, c'est leur problème, tant qu'ils ne dépassent pas le montant, ce n'est pas une difficulté.»
Il faut le dire, l'avocat ne sort pas de nulle part: descendant d'une vieille droite catholique et monarchiste, il a commencé à gauche. Il a longtemps été l'avocat du Parti communiste français et de la CGT, a même rencontré Gorbatchev dans les années 80.
«Toujours marxiste, je me vis coco.»
Le trublion n'a pas l'air d'avoir beaucoup changé sur ses positions, c'est la gauche qui a changé, assure-t-il. Il écrit maintenant dans Causeur et parfois même dans le FigaroVox.
À propos de ses origines aristocratiques, je l'ai interrogé sur son arrière-grand-père, héros de Verdun, le général Édouard de Castelnau et sur la polémique Pétain et Macron. C'est d'ailleurs à ce sujet que j'ai trouvé Claude Askolovitch à son cabinet.
Pensée au général de Castelnau, qui sauva en 14 l’armée de Lorraine, qui perdit trois fils dans la Grande guerre, dont la République ne fît pas un maréchal car il était trop catholique, et qui condamna Pétain en 1940 et encouragea la Résistance. A propos de « grands soldats »… pic.twitter.com/SNSH9MF003
— claude askolovitch (@askolovitchC) 7 novembre 2018
Castelnau livre dans la vidéo de très belles anecdotes sur son ancêtre, qui n'a pas reçu le bâton de maréchal à la fin de la guerre, car il était catholique:
«Il s'inquiète, il fait une inspection à Verdun, il revient, il apprend l'attaque puis il va voir Joffre. Joffre est déjà en train de dormir, il a bouffé comme un cochon, comme tous les jours et il ne veut pas lui ouvrir la porte […]
Il demande qu'on cherche Pétain. Où est-il? Où est-il? Il y a quelqu'un qui dit "à mon avis, Pétain est à l'hôtel devant la gare" et il monte. On dit que c'était sa future femme, mais ça, c'est une légende, je pense qu'il était avec une professionnelle et on voit les guêtres et les brodequins de la dame.»
Si l'armistice n'avait pas été signé le 11 novembre, le «meilleur de sa génération» était chargé le 13 novembre 1918, à la tête de la IIe armée, d'envahir l'Allemagne. Ce qui aurait totalement modifié le Traité de Versailles et aurait pu éviter la 2e Guerre mondiale.