«Ici, il n'y a que deux personnes qui sont concernées, M. Fillon et Mme Le Pen. Les trois autres [Benoît Hamon, Emmanuel Macron et Jean-Luc Mélenchon, ndlr], nous n'avons rien à voir avec tout ça. Alors, s'il vous plaît, ne nous mettez pas dans le même sac»,
se défendait Jean-Luc Mélenchon lors du débat entre les cinq principaux candidats à la présidentielle le 20 mars 2017, à propos des démêlées judiciaires de François Fillon et de Marine Le Pen.
La réaction du chef de file de la France Insoumise lors de ces perquisitions n'a pas été appréciée par tout le monde. Une étude menée par LCI atteste que «76% des Français désapprouvent la réaction de Jean-Luc Mélenchon», contre seulement 18% des Français qui approuvent son comportement face aux perquisitions. Parmi les électeurs de la France Insoumise, ils seraient 51% à désapprouver et 38% à le soutenir.
Au-delà des polémiques psychologisantes, il y a des questions politiques de fond. Le député de la France Insoumise Adrien Quatennens alerte ainsi sur le fait que
«La justice a entre ses mains tous les ordinateurs et tout ce qui concerne la France Insoumise et le Parti de Gauche. […] Il y a un scan général des coulisses et de la scène de la France Insoumise, qui est aujourd'hui aux mains du pouvoir. […] Que ce soit concernant le Front national ou la France Insoumise, qui sont deux forces d'opposition, le pouvoir a tout entre les mains.»
La Présidente du Rassemblement National Marine Le Pen partage ce constat dans un tweet:
Avec cette pseudo affaire des assistants parlementaires, le pouvoir est donc en possession de tous les contenus, notes, contacts, etc., de tous les téléphones et ordinateurs, sur plusieurs années, des deux partis d’opposition à Emmanuel #Macron, le RN et LFI. MLP
— Marine Le Pen (@MLP_officiel) 16 октября 2018 г.
L'enjeu de cette séquence judiciaire est-il essentiellement politique? C'est en substance ce qu'affirme François Cocq, l'un des candidats LFI aux élections européennes de 2019, qui dénonce une justice à deux vitesses. Contacté par Sputnik, il affirme que le parti d'Emmanuel Macron «est protégé par le pouvoir». Il dénonce l'application d'une politique de «deux poids, deux mesures» entre M. Macron et ses opposants politiques. Selon lui,
«Il y a forcément un intérêt politique derrière ces perquisitions. Il suffit de regarder le calendrier pour s'apercevoir que l'ordre de perquisition a été donné sous la tutelle de la ministre de la Justice. Le pouvoir exécutif instrumentalise le pouvoir judiciaire. De notre côté, nous soutenons la séparation des pouvoirs.»
Ce constat est partagé par l'avocat Régis de Castelnau, qui qualifie toute cette affaire de «Mélenchongate». Il s'inscrit en faux contre les propos tenus à l'Assemblée nationale par Édouard Philippe, lorsque le Premier ministre apostrophait Jean-Luc Mélenchon:
«Il n'appartient à aucun d'entre nous de remettre en cause le principe fondamental de l'indépendance de la justice.»
À rebours de cette confiance accordée a priori à l'indépendance de la justice, Régis de Castelnau rappelle que l'indépendance ne peut s'exercer sans impartialité, laquelle est selon lui fort lacunaire dans le système judiciaire français.
«Le mantra de l'indépendance n'a aucun sens. Une justice doit être impartiale, et l'indépendance est l'outil de l'impartialité. Le problème, c'est qu'en France cette justice n'est pas impartiale», martèle Régis de Castelnau.
«Tout le système judiciaire d'un pays démocratique repose sur la défiance qu'il faut avoir vis-à-vis de l'institution.»
Régis de Castelnau compare l'opération de perquisitions visant la France Insoumise à l'aube des Européennes au «coup d'État judiciaire» dont a été selon lui victime François Fillon au cours de l'élection présidentielle de 2017.
«Les principaux partis d'opposition sont l'objet d'attention toute particulière de la part d'une partie de l'appareil judiciaire: le parquet national financier, le pôle financier d'instruction, le parquet de Paris. Cette partie, que j'appelle la haute fonction publique judiciaire, met un soin particulier à s'occuper des organisations politiques.»
«l'opération du 16 octobre avec ses perquisitions n'a pas pu être organisée sans que non seulement le pouvoir exécutif soit au courant, mais ait pris lui-même la décision. […] Une opération de cette ampleur, le jour de l'annonce du remaniement, menée par le parquet, mobilisant 100 policiers et dirigée contre l'un des premiers partis d'opposition, sans que les services de la place Vendôme et notamment le Garde des Sceaux soient au courant? Sans que Madame Belloubet l'ait décidé en liaison étroite avec l'Élysée? Une telle mobilisation policière sans que le ministère de l'Intérieur ne soit au courant et ait donné son feu vert? Il faut être sérieux.»
C'est aussi ce que croit savoir Alexis Corbière, député LFI de Seine-Saint-Denis:
«Nous pensons qu'il y a eu une volonté indiscutable [de mener ces perquisitions, ndlr] avec l'autorisation de la Garde des Sceaux et du Président de la République.»
Le député LFI Adrien Quatennens dénonce quant à lui le fait que l'opération de perquisitions à grande échelle qu'ont subi la France Insoumise et le Parti de Gauche
«relève, du point de vue des forces qui ont été déployées, d'une opération antiterroriste. Dans les quatre coins du pays, y compris des collaborateurs parlementaires qui ne travaillent plus avec Jean-Luc Mélenchon depuis plusieurs années, se sont fait réveiller à 7 h du matin et perquisitionner. […] Nous ne nous sommes pas opposés aux perquisitions, nous voulions y assister.»
Adrien Quatennens revient d'ailleurs sur le cœur des deux affaires qui ont justifié les perquisitions du 16 octobre:
«Deux choses sont en cause. La première est le fait d'une dénonciation dont l'auteure elle-même [la députée européenne Sophie Montel, ndlr] dit qu'il s'agit d'une allégation pour faire un pied de nez à la justice. Deuxième chose, nos comptes de campagne ont été validés sans irrégularité au mois de février. […] À côté de cela, les comptes de campagne d'Emmanuel Macron ont des irrégularités que la commission a mises à jour. Est-ce que l'on va perquisitionner et faire les placards de tous les proches d'Emmanuel Macron à 7 h du matin? […] Je veux dénoncer le fait qu'il y a deux poids, deux mesures.»
Et de renchérir:
«Notre démocratie est en danger.»
Régis de Castelnau abonde dans ce sens et dénonce les «dérives liberticides» de l'appareil judiciaire français:
«Cette volonté devenue évidente de la haute fonction publique judiciaire de s'abstraire des principes fondamentaux de la liberté politique et de la séparation des pouvoirs génère des dérives particulièrement inquiétantes. […] Ce que nous rappelle l'agression médiatico-judiciaire dont sont l'objet aujourd'hui Jean-Luc Mélenchon et son organisation politique, c'est bien l'existence de ces dérives dangereuses pour les libertés publiques.»
De fait, les médias ont été singulièrement actifs dans cette affaire. Dans une vidéo publiée le 22 octobre, le principal intéressé «fait le point» sur la situation. Jean-Luc Mélenchon dénonce un «acharnement médiatique» à son égard:
«Il n'y a pas une télévision, pas une radio, pas un journal écrit qui ne se sente obligé de me taper dessus.»
De son côté, l'ancien poids lourd de LFI, l'économiste Liêm Hoang-Ngoc, qui a quitté les rangs du parti en juillet dernier pour protester contre «les choix politiques opérés par La France insoumise», a confié à Sputnik ne pas vouloir
«mettre de l'huile sur le feu, pour ne pas participer à ce que les mélenchonistes appellent un "complot médiatique".»
Dans la même vidéo du 22 octobre, Jean-Luc Mélenchon dénonce en effet une stratégie consciente et organisée visant à nuire à l'image de son parti à sept mois des élections européennes. Il répond également aux récents articles l'accusant de ne pas se plier à la justice et de mépriser les journalistes.
"Nous sommes en guerre contre certaines pratiques [policières, ndlr], mais pas contre la police en tant qu'institution. Nous ne sommes pas non plus en guerre contre la justice, nous sommes en guerre contre un certain nombre de pratiques [judiciaires, ndlr]. Et nous sommes stupéfaits que ces pratiques n'interrogent ni les journalistes ni la justice elle-même", s'insurge Jean-Luc Mélenchon, avant de compléter un peu plus loin: "Nous ne sommes pas en guerre. Ni contre les médias, ni contre la justice, ni contre la police. Par contre, il y a une partie de la justice, de la police et des médias qui est en guerre contre nous, parce que le gouvernement a décidé de nous mener cette guerre."
La guerre est peut-être subie, mais la guerre est là.
Une chose est sûre, cet épisode n'est sans doute que le premier d'une saga qui s'intensifiera à l'approche des élections européennes de mai 2019. Les couteaux tirés aujourd'hui ne sont pas près de regagner leur fourreau. Reste à savoir quel camp aura le dernier mot.