Après l'Église protestante polynésienne, c'est au tour des indépendantistes de l'archipel de porter plainte contre la France pour crimes contre l'humanité. Pendant 30 ans, de 1966 à 1996, les atolls polynésiens de Mururoa et Fangataufa ont fait l'objet de 193 essais nucléaires français.
«Les essais nucléaires réalisés en Polynésie française ont eu un impact environnemental et provoqué des conséquences sanitaires», déclarait il y a deux ans le Président François Hollande en visite dans l'archipel. «Il est bien légitime que la France puisse réparer un certain nombre de conséquences, qu'elles soient sociales, qu'elles soient sanitaires ou économiques», avait-il indiqué à son arrivée à Tahiti.
L'annonce de la plainte, déposée devant la Cour Pénale internationale de La Haye, a été faite au cours d'une réunion sur la Polynésie française organisée au sein d'une commission de l'ONU spécialisée dans les sujets de décolonisation. Elle vise «tous les Présidents de la République française encore en vie depuis le début des essais nucléaires français en 1966».
«Pour nous, les essais nucléaires français ne sont que le résultat direct d'une colonisation. Contrairement au discours français, nous n'avons pas accepté d'accueillir ces essais, ils nous ont été imposés avec la menace directe de l'établissement d'une gouvernance militaire si nous refusions», a expliqué Oscar Temaru.
Après l'accès à l'indépendance de l'Algérie en 1962, les essais nucléaires français se sont déplacés en Polynésie française. Si le secret défense a été levé pour quelques 400 documents en 2013, les conséquences sanitaires ont longtemps été cachées par l'armée française.
«Depuis le début des essais nucléaires jusqu'au milieu des années 1980, la santé publique en Polynésie était assurée par le Service de santé des armées, qui a tout fait pour couvrir du secret militaire les données sanitaires», rappelle l'Observatoire des armements, qui a travaillé sur les impacts sanitaires et environnementaux de ces essais.
Car ce n'est qu'en 2010, avec la loi Morin, que les impacts sanitaires sont pris en compte… mais les victimes des essais nucléaires ont beaucoup de peine à faire reconnaître leurs maladies. La loi établit une liste de 21 cancers et leucémies pouvant être provoqué par l'exposition à la radioactivité, mais c'est au plaignant de prouver un lien de cause à effet, difficile facile à établir avec certitude face à d'autres facteurs. En 10 ans, seule une vingtaine de personnes souffrant de cancer ont été indemnisées, sur un millier de dossiers déposés.
Un nombre faible au regard du nombre de personnes exposées:
«L'étude d'impact du projet de loi estimait à 150.000 personnes le nombre de travailleurs présents sur les sites sur toute la période, quel que soit leur statut. La population locale concernée est plus difficile à chiffrer, néanmoins on peut l'estimer à plusieurs dizaines de milliers.»
La raison de cette «absence de dossier» est «insaisissable», bien que le rapport mentionne le fait que «des victimes ont pu décéder depuis», ou se soient démotivées «compte tenu de la probabilité qu'ils soient rejetés».
Cette deuxième plainte pour «crime contre l'humanité» pourrait-elle faire avancer les choses? Il est en réalité peu probable qu'elle soit recevable, la Cour Pénale internationale (CPI) n'étant compétente que face à des crimes graves et répétés, commis après le 1er juillet 2002, touchant l'ensemble de la communauté internationale. En revanche, le Conseil de sécurité de l'ONU, dont la France est membre permanent, a le pouvoir de saisir le procureur de la CPI pour des faits antérieurs à cette date.