Pendant que les dirigeants chinois élaborent une stratégie de conquête du pôle Nord, la population se rue littéralement sur les voyages touristiques «extrêmes» pour voir de leurs propres yeux les glaces polaires: plus de 80% des touristes voyageant à bord de brise-glaces de croisière sont chinois.
Une autre magistrale maritime via l'océan Arctique, celle qui relie la Chine à l'Europe centrale et du Nord, est également attractive parce qu'elle est bien plus courte que l'itinéraire passant via l'océan Indien, le canal de Suez et la Méditerranée. La Route maritime du Nord, que la presse occidentale suggère constamment de considérer comme une «propriété internationale», est perçue par les Chinois comme une sorte d'alternative à la Nouvelle route de la soie terrestre.
La Chine s'efforce de ne jamais s'arrêter sur une seule solution et est prête à investir dans la création d'options de secours fiables. Qui plus est quand il s'agit de la réalisation du programme ambitieux Made in China 2025, selon lequel le géant asiatique est censé inonder l'Europe et l'Amérique de ses produits.
Eldorado polaire
«La réalité arctique est plus large que le seul territoire des États de la région. Elle est également vitale pour d'autres membres de la communauté internationale», stipule le Livre blanc du gouvernement chinois publié en janvier 2018, où était exposée pour la première fois la stratégie chinoise en Arctique. Le texte souligne l'intérêt de la Chine pour les recherches scientifiques et la protection de l'environnement dans la région polaire, ainsi que l'aspiration à profiter des opportunités économiques offertes par le dégel polaire.
«Nous n'avons pas besoin de cacher notre intérêt économique, mais il est vrai également que la Chine a l'intention d'agir avec responsabilité avec les pays de la région, en respectant les règles», déclare Kai Sun, expert en géopolitique arctique à l'Université chinoise d'océanologie à Qingdao.
La Chine fait partie des observateurs du Conseil de l'Arctique. organe composé de huit pays de la région (Canada, USA, Danemark, Finlande, Islande, Norvège, Russie, Suède), ainsi que de 13 pays observateurs. Les uns et les autres sont définis dans la charte comme «visant à contrôler et à exploiter les territoires dans la région délimitée par le Cercle polaire».
«Les États arctiques posséderont les droits exclusifs sur les ressources de la région, une fois que seront déterminées les zones d'influence maritimes. Confrontée à une telle situation, la Chine s'efforce d'intensifier la coopération internationale afin d'obtenir un accès aux réserves d'hydrocarbures, notamment en Russie.»
L'argent chinois
Selon le professeur, «à cause des sanctions économiques occidentales la Russie n'a pas d'autre choix que d'accepter le capital chinois pour créer et développer l'infrastructure nécessaire pour l'utilisation des ressources. D'autres États accepteront également les investissements chinois tant que l'influence de Pékin en Arctique ne sera pas trop importante, c'est-à-dire dangereuse économiquement. En décembre 2017, la compagnie énergétique russe Novatec a mis en service une usine de production de gaz naturel liquéfié (GNL) sur la péninsule sibérienne Yamal, financée à près de 30% par la China National Petroleum Corporation (CNPC) et le fonds national d'investissement de la Chine (la française Total détient 20% des actions du projet). On s'attend à ce que ce centre de production fournisse chaque année 4 millions de tonnes de GNL à la Chine.»
Certaines compagnies chinoises participent également à l'exploitation des ressources minières au Canada et au Groenland, mais il convient de préciser que certains pays arctiques n'arrivent pas à surmonter leur méfiance vis-à-vis des émissaires chinois.
Dans les deux cas, les pays-vendeurs craignaient que les intentions du Chinois ne soient pas économiques, mais géopolitiques, et consistaient à créer un avant-poste dans les territoires arctiques pour s'emparer du Nord. Huang Nubo déclarait vouloir y construire des «centres touristiques pour les Chinois et les Russes» sur ces territoires, mais personne n'y a cru.
«L'attitude envers les investissements chinois est loin d'être la même que vis-à-vis des investissements d'autres pays. La puissance politique et économique de la Chine préoccupe les États arctiques, et pour l'instant ils ne sont pas sûrs que Pékin joue cartes sur table», poursuit Frédéric Lasserre.
Dans son premier document stratégique sur cette région, la Chine a réaffirmé qu'elle respecterait les règles internationales, notamment la Convention de l'Onu sur le droit de la mer, qui réglemente le contrôle des océans et limite les droits maritimes des pays côtiers.
La route de la soie polaire
La fonte des glaces arctiques a également contribué à la recherche et à l'étude d'itinéraires alternatifs. Ces itinéraires doivent, avant tout, être beaucoup plus courts. Une fois que cette condition est respectée, on étudie la complexité du transport, les frais logistiques et la rentabilité.
L'un des principaux objectifs de Pékin consiste à réduire les distances de parcours des marchandises entre l'Asie et l'Europe. C'est pourquoi la Chine, en tant que principale superpuissance d'exportation, s'est intéressée au développement de la Route de la soie polaire et est prête à y investir pour créer de nouvelles infrastructures.
D'après le gouvernement chinois, l'itinéraire maritime le long de la région polaire russe et la macro-initiative «La Ceinture et la Route» sont les deux composantes d'une même stratégie dont la réalisation améliorera les liens de la Chine avec le reste de l'Asie, ainsi qu'avec l'Afrique et l'Europe.
«En ajoutant l'itinéraire arctique au projet, il serait bien plus facile de mobiliser les ressources, explique Kai Sun. La Ceinture et la Route est soutenu actuellement par le Fonds d'investissement chinois à hauteur de plus de 30 milliards d'euros. De plus, la Banque asiatique d'investissement pour les infrastructures (BAII), qui compte plus de 50 pays membres a également fait part de son intérêt et de sa disposition à allouer les fonds nécessaires. »
En 2013, un navire de fret du transporteur chinois COSCO a effectué son premier voyage du port de Dalian à Rotterdam via le passage du Nord-Est, reliant l'Europe et l'Asie par la côte nord de la Russie (Route maritime du Nord) et la péninsule scandinave. Cet itinéraire s'est avéré plus court d'un tiers que le passage par l'océan Indien et le canal de Suez. Il est donc normal qu'après ce voyage d'essai, COSCO se soit intéressée à l'utilisation de la Route maritime du Nord.
Toutefois, les spécialistes de l'Institut international d'études stratégiques (Londres) ont exprimé en 2014 un certain scepticisme par rapport à la rentabilité du projet. Selon eux, «malgré une distance plus courte, la viabilité commerciale de l'itinéraire via le passage du Nord-Est en Europe est amoindrie par la nécessité d'utiliser des navires de moindre charge utile, la saisonnalité de l'itinéraire et les conditions austères du périple». «Depuis le début du dégel on parle de nouveaux itinéraires commerciaux plus courts, mais 20 ans plus tard les navires n'y naviguent toujours pas», déclare Frédéric Lasserre.
Pour appuyer leur point de vue, les experts nord-américains n'ont même pas besoin de déformer les statistiques: il suffit de passer sous silence certains chiffres et d'en mettre d'autres en avant.
Outre l'obtention d'avantages économiques, la Chine espère renforcer sa sécurité énergétique via les itinéraires commerciaux arctiques. A l'heure actuelle, la majeure partie du carburant importé par le géant asiatique traverse le détroit de Malacca qui relie l'océan Indien à la mer de Chine méridionale.
Pékin a déjà déclaré qu'il ne voulait pas dépendre de l'itinéraire malaisien, c'est pourquoi l'ouverture de nouvelles lignes de transport au nord serait indéniablement un soulagement pour la Chine.
Les opinions exprimées dans ce contenu n'engagent que la responsabilité de l'auteur de l'article repris d'un média russe et traduit dans son intégralité en français.