En l'espace de quelques semaines, quatre haut-gradés de la sécurité nationale ont été débarqués en Algérie. Point commun? L'absence d'explication officielle. Elément déclencheur: le spectaculaire coup de filet de «l'affaire de la cocaïne». Mais pas que cela. Pour des experts de la sécurité approchés par Sputnik, ce remue-ménage obéit à pas moins de trois logiques.
Pour Akram Kharief, expert en sécurité et rédacteur en chef de Menadefense, il convient de faire une lecture à trois niveaux de ce chamboulement. La plus simple, et paradoxalement la moins évidente à deviner, alors que les nuages s'amoncellent dans les cieux de la politique algérienne, c'est d'abord «un changement naturel qui touche l'armée et les corps de sécurité lors de la fête nationale», le 5 juillet, de chaque année.
«Le patron de la DGSN, un général-major, est remplacé par un très vieux colonel, Mustapha Lahbiri, jusque-là directeur général de la protection civile. Le patron de la gendarmerie, un général-major, est remplacé par un général qui a été promu, en l'espace de deux ans, de colonel à commandant de la gendarmerie, avec un grade de général. D'un point de vue d'expert, ce sont des limogeages qui n'étaient pas du tout prévus.»
« S'il n'y a pas eu de relation établie entre certains officiers relevés et l'affaire de la drogue saisie, il reste que l'enquête a relevée que l'accusé Kamel Chikhi, alias le boucher, entretenait un grand réseau de trafic d'influence qui inclut des personnes dans les services de sécurité, mais aussi des magistrats et des fonctionnaires. Une partie des changements est peut-être due à cela», détaille Akram Kharief, en guise de seconde dynamique explicative de la vague de changements sécuritaires.
«Cette affaire a créé de gros remous à l'intérieur du pouvoir et une sorte de lutte entre plusieurs tendances à la périphérie du pouvoir. On l'a vu dans le cas du patron du DGSN qui a menacé de dévoiler des dossiers, en disant "que celui qui veut lutter contre la corruption doit être propre". Il a été viré tout de suite après», abonde Kharief.
Les tensions entre différents clans se sont exportées dans les médias et les réseaux sociaux. Des journaux proches de la présidence vantaient, ainsi, une opération mains propres pour extirper la corruption du pays, dominée par «les barons du système», alors que d'autres, sur les réseaux sociaux, interrogeaient les véritables motivations.
تصريحات الهامل…الحقيقة في تصريحاته..والذين اقالوه في كروشهم التبن ويخافون الحقيقة…ولازلت مصرا أن اقالته لا علاقة لها بالكوكايين..اقالته لا علاقة باستهدافه تفكيك القبلجة داخل الشرطة..ومن اقاله هو الرئاسة الطائفية ومخابراتها… https://t.co/sCaXJIpSAe
— محمد الوالي (@mohamed_elwali) 11 июля 2018 г.
«Les dernières déclarations de Hamel. Ce qu'il dit est vrai. Ceux qui l'ont limogé ont peur que la vérité éclate au grand jour», dit en substance cet internaute.
«C'est une opération destinée uniquement à réduire au silence l'enquête. Je ne pense pas qu'ils ont quelque chose à voir avec le trafic», estime, pour sa part, la source proche des renseignements militaires.
«Les limogeages sont moins liés à l'affaire qu'à l'enquête sur l'affaire. On reproche à Hamel ne pas avoir prévenu à temps la présidence de l'opération de l'armée. Le patron de la gendarmerie, lui, a été éjecté pour que l'enquête reste au point mort sur les soutiens dont a pu bénéficier le fameux boucher. La présidence a pris l'affaire de la cocaïne comme une attaque contre l'éventualité de son 5ème mandat. Et elle a bien raison d'ailleurs.»
«a voulu donner un grand retentissement médiatique à cette affaire. On aurait pu saisir le bateau et dire qu'il y n'avait que 60 kilogrammes de cocaïne à bord, et personne n'aurait su. Or, on a voulu que le pétard pète fort, très fort…»
«Il y a une nervosité venant du fait qu'à l'intérieur de l'Etat profond, le 5ème mandat (de Bouteflika) n'est plus à l'ordre du jour. D'ailleurs, l'apparition de Abdelmalik Sellal (ancien Premier ministre) après une très longue absence médiatique indiquerait qu'il pourrait être un choix plausible. Le clan Bouteflika sait qu'un nouveau Président rabattrait toutes les cartes. Le dernier pouvoir qu'il a entre les mains ce sont les décrets présidentiels pour limoger toutes les personnes qu'il pense ne pas être acquises à sa cause», poursuit cette source.
La corrélation entre cette affaire et les élections de 2019 est néanmoins un pas que Karim Kharief se garde de franchir: «Personnellement, je ne lie pas ce qui s'est passé aux élections, à titre particulier, mais plus généralement à l'avenir politique en Algérie.»