Réduire à zéro les exportations iraniennes de pétrole, tel est le nouveau mantra de l'administration américaine concernant la République islamique. Un objectif qui se traduit par un nouvel ultimatum, adressé à l'ensemble de la communauté internationale et en premier lieu à «tous les alliés» des États-Unis: stopper tout achat de pétrole iranien d'ici le 4 novembre.
Un objectif «pas vraiment réaliste», estime Francis Perrin, chercheur associé à l'OCP Policy Center de Rabat, Directeur de recherche à l'Institut des Relations Internationales et Stratégiques (IRIS). Si la production iranienne devrait bien fléchir sous le poids de telles menaces, pour ce spécialiste des problématiques énergétiques, les exportations iraniennes de pétrole (entre 2 et 2,5 millions de barils par jour, pour une production de 3,8 millions de barils) devraient vraisemblablement perdurer après cette date.
Pour autant ceux qui espèrent encore obtenir des dérogations des autorités américaines, pourraient, selon lui, voir leurs espoirs douchés, soulignant le message «clair» et «dissuasif» du Département d'État le mot d'ordre étant tolérance «zéro».
«Certes, la législation et la réglementation américaine autorise l'octroi de dérogations. Mais l'humeur contre l'Iran à Washington est telle actuellement que l'objectif de l'administration Trump est de faire en sorte qu'il n'y ait quasiment pas de dérogation, peut-être même zéro.»
«En matière de pétrole et de géopolitique mondiale, le malheur des uns fait souvent le bonheur des autres,» rappelle Francis Perrin.
En effet, comme le rappelle le spécialiste des énergies et des matières premières, «la nature a horreur du vide», un aphorisme qui prévaut également dans un milieu aussi compétitif que le marché de l'or noir. Le recul des exportations iraniennes créera forcément des opportunités pour les autres producteurs de pétrole. Le 23 juin, alors que les conséquences des sanctions américaines à l'encontre de l'Iran restaient incertaines concernant le secteur pétrolier, la Russie et neuf pays membres de l'OPEP annonçaient être parvenus à un accord avec l'Iran pour augmenter leur production d'un million de barils par jour afin de compenser ce recul et ainsi stabiliser un marché où l'offre est sous pression.
Pour autant, les compagnies pétrolières chinoises ne pourraient pas forcément être celles qui récupéreront la mise. En effet, comme le souligne Francis Perrin, ces dernières sont également exposées au marché américain et ne sont donc pas à l'abri de sanctions de Washington. Pour le chercheur, difficile de concevoir que les entreprises de l'Empire du Milieu puissent tirer un trait sur leur accès à un marché américain en plein essor. Comme le souligne Francis Perrin, depuis 2008, les États-Unis sont parvenus à passer du statut de premier importateur mondial d'hydrocarbures à celui d'exportateur majeur. D'après les chiffres de l'AIE (Agence internationale de l'Énergie), les Américains ont battu en 2017 leur record de production de 1970, raflant la deuxième place du podium des plus gros producteurs de pétrole aux Saoudiens. Dopés par l'exploitation de pétrole et gaz non conventionnels, ils pourraient ne pas s'arrêter en si bon chemin.
«Ils sont dans les dernières années devenus le premier producteur mondial de gaz naturel, devant la Russie, qui était au paravent n°1. Cela veut dire que pour tous les grands pétroliers au monde, y compris les Chinois, être présent aux États-Unis, avoir des actifs pétroliers et gaziers aux États-Unis, bénéficier des technologies américaines, c'est important.»
Une composition atypique qui selon notre expert pousse ainsi les acteurs pétroliers américains à adopter une posture opportuniste, dans un effort d'exportation pétrolière «tous azimuts», et non pas suivant des directives et objectifs étatiques.
«C'est [les États-Unis, ndlr] une superpuissance énergétique, une superpuissance pétrolière. Le pétrole et l'énergie sont évidemment une arme de la domination américaine sur une bonne partie du monde, mais en même temps, il faut composer avec des acteurs privés, pour qui l'essentiel ce n'est pas la puissance américaine, mais la croissance et la rentabilité de leurs activités.»
«L'Arabie saoudite est vraiment l'un des grands vainqueurs de cette nouvelle donne. Les autres pays producteurs, notamment les Émirats arabes unis et le Koweït, peuvent avoir la possibilité de placer un peu plus de pétrole, mais ils n'ont pas les mêmes capacités de production disponibles que l'Arabie saoudite.»
Riyad fait d'autant plus figure de principal favori pour rafler les parts de marché laissées par son éternel rival, après ce nouveau tour de vis de Donald Trump, que contrairement aux autres grands producteurs mondiaux de pétrole, les capacités de productions de l'Arabie saoudite ne sont pas pleinement exploitées.
«La Russie est quasiment à 100%, les États-Unis sont à 100%, l'Arabie saoudite maintient un écart important entre ce qu'elle produit actuellement et ce qu'elle pourrait produire demain. Demain voulant dire dans un délai de quelques semaines, de l'ordre d'un mois. Donc ce pays, allié privilégié de Washington depuis au moins 1945, ce pays, qui par ailleurs a fait beaucoup de lobbying sur Washington pour rétablir les sanctions contre l'Iran, sera certainement disposé —et il en a les moyens et les capacités sur le plan pétrolier- à renvoyer l'ascenseur à Washington.»