Ce n'est clairement pas l'information que les médias ont mise en avant, plus focalisés sur la rémunération du grand patron de Renault: vendredi 15 juin, Carlos Ghosn a annoncé que Renault resterait présent en Iran, quitte à «réduire la voilure très fortement». Une déclaration de taille, à rebours des autres groupes du CAC 40 qui, après avoir investi en Iran, plient bagage. D'ailleurs, certains n'hésitent pas à évoquer un «défi» du patron du groupe français lancé à Washington.
Cependant, le patron de Renault n'a pas donné plus de détails quant à la forme que prendra le maintien de la présence du constructeur dans le pays des Mollahs. Celle-ci sera-t-elle résiduelle, comme lorsque les sanctions contre l'Iran furent renforcées en 2012, ou Carlos Ghosn a-t-il d'autres ambitions encore pour Renault? Il faut dire que les attentes du groupe pour l'Iran étaient conséquentes: avec une progression de 50% en 2017, suite à la levée des sanctions internationales, Renault avait préparé le terrain pour doper sa production dès 2019. Pour autant, hors de question de jouer les têtes brûlées, comme le précisait le PDG de Renault devant ses actionnaires:
«Nous n'allons pas faire ça au détriment des intérêts de Renault. Nous veillerons bien à ce que notre présence en Iran ne provoque pas des mesures de rétorsion directes ou indirectes de la part des autorités américaines.»
Nul doute que ces dernières ne manqueraient pas une telle occasion de porter un coup dur à un concurrent de General Motors. Le procureur américain est là pour «défendre les actionnaires américains», comme le déclarait l'un d'entre eux aux parlementaires français de la Commission d'enquête sur les cessions d'Alstom, d'Alcatel et de STX, qui qualifiaient cette attitude de «patriotisme judiciaire étranger à notre culture».
Chercheur en sciences sociales et persanophone, auteur de La modernité iranienne (Éd. Harmattan, 2017), il rappelle une rencontre, au forum de Davos, entre le patron du groupe français et le Président américain. Ce dernier, répondant à un Carlos Ghosn en recherche d'assentiment pour investir sur le marché iranien, aurait d'après Radio France, répondu «tant que vos voitures en Iran ne rentrent pas aux États-Unis, je n'y vois aucun inconvénient.»
Un pari risqué, l'histoire nous apprenant —et ce à maintes reprises- que les États-Unis ne sont pas vraiment des interlocuteurs de parole… Ne serait-ce concernant ce fameux accord sur le nucléaire iranien.
«Ce sont eux qui ont la paternité de l'accord, mais ce sont eux qui le foulent aux pieds,» commente Sébastien Regnault.
Comme le souligne l'expert, une grande partie tant des observateurs que des acteurs impliqués dans le dossier du nucléaire iranien ont été pris de cours par le fait que ce ne soit pas Téhéran, mais Washington, qui soit à l'origine de l'échec de cet accord onusien.
En effet, PSA avait dû quitter le marché iranien en 2012, sous la pression de son actionnaire d'alors, General Motors. Mais dès 2016, débarrassé de son associé américain, le groupe de Sochaux avait opéré son grand retour en Iran, notamment grâce à ses partenaires historiques: Khodro pour Peugeot et Saïpa pour Citroën. Sa renommée, dans un pays où les deux marques du groupe étaient implantées depuis 1978 pour Peugeot et 1966 pour Citroën, a bien sûr joué en sa faveur. Pourtant, malgré une exposition en apparence moindre que Renault au joug de la justice américaine (via Nissan, qui a écoulé 1,6 million de véhicules en 2017 aux États-Unis), la marque au Lion a clairement indiqué dans un communiqué son intention de «se conformer à la loi américaine d'ici le 6 août 2018» et laisse ainsi filer son plus gros marché à l'export. Avec environs 445.000 véhicules écoulés en 2017, PSA détenait 30% d'un marché particulièrement porteur, à présent appelé à être récupéré par les Chinois et les Indiens… et son rival au losange, qui n'est encore que le 8e, derrière le Brésil? C'est le pari que semble vouloir tenir Carlos Ghosn en prenant le contre-pied de Peugeot-Citroën.
Pour conclure, rappelons la disproportion énorme entre les intérêts économiques européens et américains en Iran. Comme le soulignait Emmanuel Dupuy, Président de l'Institut Prospective et Sécurité en Europe (IPSE), les échanges entre les États-Unis et l'Iran restent 100 fois inférieurs à ceux entre l'Iran et l'Union européenne, qui ont atteint 21 milliards d'euros en 2017.
À titre indicatif, l'Iran pointe à la 10e place du classement des pays producteurs d'automobiles, derrière le Canada. Avec 1,4 million de véhicules fabriqués en 2017 (+23,6%), on ne retrouve une telle progression qu'au Brésil. Quant aux États-Unis, ces derniers sont à la 4e place (derrière le Japon) avec 8,2 millions de véhicules produits et enregistrent un recul net de leur production annuelle de 11,5%… la concurrence est de plus en plus rude pour les automobiles américaines!
Reste donc à savoir si ce coup de froid sur le dossier chaud du nucléaire iranien ne masquerait pas en réalité une manœuvre magistrale de Donald Trump pour saper à la fois la concurrence des pays européens et celle de ce pays émergeant qu'est l'Iran… préparant ainsi le terrain aux compagnies américaines sur un marché qu'elles ont trop longtemps délaissé.