Stephen Roach, chercheur à l'université de Yale et longtemps directeur de Morgan Stanley Asia, pense que cette approche est pour le moins «tardive». Dans son article pour Project Syndicate, il note qu'au pire des cas cela pourrait tout à fait provoquer des contre-mesures qui ne feraient qu'aggraver la situation déjà difficile pour les consommateurs américains de la classe moyenne. C'est ainsi que commencent les guerres commerciales, selon Vestifinance.ru.
En août dernier, un représentant américain au commerce a ouvert une enquête en vertu de l'article 301 visant la Chine dans trois grands domaines: le droit de propriété intellectuelle, les innovations et la conception de technologies. Ce qui sera probablement suivi par des sanctions. De plus, l'enquête dans le cadre de l'article 232 sur la menace à la sécurité nationale provoquée par les importations déloyales d'acier vise également la Chine dans la mesure où elle est le premier producteur mondial d'acier.
Ces actions ne sont probablement pas étonnantes pour le président, qui avait promis dans son discours d'investiture il y a un an de «protéger les frontières [américaines] contre les invasions d'autres pays qui produisent les mêmes marchandises que nous, volent nos compagnies et détruisent nos emplois». Mais c'est précisément le problème. En dépit du cri du cœur de l'administration Trump — «l'Amérique avant tout» — les USA pourraient parfaitement sortir perdants de la guerre commerciale.
De plus, la fixation de l'administration de Trump sur le déséquilibre excessif dans le commerce bilatéral avec la Chine ne prend toujours pas en compte les forces macroéconomiques plus larges qui ont engendré le déficit multilatéral du commerce extérieur des USA avec 101 pays. Éprouvant une pénurie d'épargnes intérieures tout en voulant consommer et croître, l'Amérique est contrainte d'importer les excès d'épargne de l'étranger et de se résigner à un immense déficit du compte courant et du commerce pour attirer le capital étranger.
Par conséquent, organiser des attaques contre la Chine ou un autre pays sans pour autant s'occuper de l'origine du niveau bas de l'épargne à l'intérieur du pays revient à presser un ballon rempli d'eau d'un côté: l'eau transite simplement de l'autre côté. Étant donné que le déficit du budget américain devrait augmenter d'au moins 1.000 milliards de dollars d'ici dix ans à cause de la récente baisse des impôts, la pression sur les épargnes intérieures ne fera qu'augmenter. Dans ce contexte, une politique protectionniste est une sérieuse menace pour les besoins de financement extérieur déjà importants de l'Amérique, avec un impact sur les taux d'intérêt aux USA, le cours du dollar ou les deux.
Enfin, il faut tenir compte du changement de prix éventuel à cause de l'inertie des flux commerciaux existants. La pression concurrentielle des produits étrangers bon marché a entraîné aux USA une baisse du coût moyen des panneaux solaires de 70% depuis 2010. Les nouvelles taxes provoqueront une augmentation des prix sur les panneaux solaires importés, ce qui conduira à une hausse des impôts pour les consommateurs d'énergie et enterrera les efforts pour le passage aux carburants non hydrocarbures. On peut également s'attendre à une telle réaction de la part des producteurs de machines à laver importées: la compagnie LG Electronics, principal fournisseur étranger, vient d'annoncer une augmentation du prix de chaque machine à laver de 50 dollars après l'adoption des taxes américaines. Les altercations avec l'administration Trump viennent de commencer, mais les consommateurs américains sont déjà perdants.
Quoi qu'en dise le président des USA, il n'y a pas de stratégie gagnante dans cette guerre commerciale. Cela ne signifie pas que les politiciens américains ne doivent pas prendre de mesures par rapport aux pratiques commerciales déloyales. Le mécanisme de règlement des litiges de l'Organisation mondiale du Commerce (OMC) a été élaboré avec cet objectif précis et a fonctionné durant de longues années au profit des USA. Depuis la création de l'OMC en 1995, les USA ont initié 123 des 537 litiges dans le cadre de cette organisation, dont 21 concernant la Chine. Bien que le règlement d'un litige via l'OMC nécessite du temps et des efforts, la plupart des verdicts prononcés étaient favorables aux USA.
Dans le même temps, les USA ont parfaitement le droit d'insister sur un accès égal de leurs multinationales aux marchés extérieurs: ces dernières années, plus des 3.000 accords d'investissement bilatéraux garantissant cette attitude juste ont été signés dans le monde entier. L'absence d'un tel accord entre les USA et la Chine est une exception scandaleuse qui limite, malheureusement, les possibilités de participation de compagnies américaines à la rapide expansion du marché de consommation intérieur de la Chine. Dans ces conditions de tension croissante des relations commerciales, il n'y a pratiquement pas d'espoir de progrès radical concernant un accord d'investissement sino-américain.
Les guerres commerciales sont pour les ratés. C'est probablement le sommet de l'ironie pour le président qui a promis à l'Amérique qu'il recommencerait à «gagner». Le sénateur Reed Smoot et le membre de la chambre des représentants Willis Hawley avaient également fait une telle promesse vide en 1930, ce qui avait conduit aux taxes protectionnistes qui ont aggravé la Grande dépression et ont déstabilisé l'ordre international. Malheureusement, l'une des leçons les plus douloureuses de l'histoire contemporaine est déjà presque oubliée.
Les opinions exprimées dans ce contenu n'engagent que la responsabilité de l'auteur de l'article repris d'un média russe et traduit dans son intégralité en français.