Exclusion de Chipouline et de sportifs russes des JO: acharnement ou bénédiction?

© Sputnik . Alexander Wilf / Accéder à la base multimédiaAnton Chipouline
Anton Chipouline - Sputnik Afrique
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À deux semaines de l’ouverture des JO de Pyeongchang, les sportifs russes ne savent plus sur quel pied danser. Après avoir appris l’exclusion de 111 nouveaux athlètes nationaux non condamnés pour dopage, le Comité Olympique Russe demande des explications et le cas du biathlète Chipouline est au centre des préoccupations. Éléments de réponses.

Retour sur la décision du CIO d'exclure plus d'une centaine de sportifs russes non convaincus de dopage pour les prochains Jeux Olympiques, qui auront lieu en Corée du Sud, à Pyeongchang, entre le 9 et le 25 février 2018. Jean-Baptiste Guégan, auteur de «Géopolitique du Sport, une autre explication du monde» revient sur cette annonce, sur le cas de la star du biathlon Anton Chipouline, qui ne pourra concourir aux JO, bien qu'il n'a jamais été convaincu de dopage et sur les conséquences géopolitiques et sportives de toute cette affaire de dopage institutionnalisé.

Sputnik France: Comment pourriez-vous résumer en quelques mots le contexte actuel et les derniers évènements qui ont conduit à l'exclusion de 111 athlètes russes supplémentaires, bien qu'ils n'aient jamais été condamnés pour dopage, par le CIO pour les prochains JO de Pyeongchang?

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Jean-Baptiste Guégan: À la suite du rapport McLaren, qui démonte un système de dopage institutionnalisé au sein des Fédérations russes et donc dans la lignée des dernières olympiades, on a vu le CIO obligé de prendre des décisions face aux athlètes russes. Cela passe de l'exclusion à la non-sélection, cela passe aussi par le bannissement à vie de certaines personnalités comme Vitali Mutko (ministre des Sports de Russie de 2008 à 2016).

On est face ici, à une réaction du CIO directement lié au non-règlement des protocoles antidopage olympiques. Le CIO a exercé un principe simple vis-à-vis des athlètes russes présents à Pyeongchang, le «principe de précaution». La commission indépendante qui a sélectionné les sportifs russes et en a écarté 111 a procédé aussi. Tous ceux qui ont été dopé ou pour lesquels il y a eu un doute susceptible de porter préjudice aux épreuves olympiques et à leurs verdicts, n'ont pas été retenus.

Sputnik France: Le Canadien McLaren, qui a remis ce rapport, avait plutôt indiqué que le dopage était institutionnalisé et qu'il ne prônait absolument pas l'exclusion des sportifs russes lors des prochaines compétitions…

Jean-Baptiste Guégan: Le rapport McLaren ne présente pas un dopage d'État, il fait très attention à ne pas utiliser l'expression. Il parle de dopage institutionnalisé, donc il n'incrimine pas l'État russe, par contre, il montre la responsabilité des gens qui ont œuvré dans les Fédérations russes. Donc, on ne peut pas parler d'un système littéralement descendant.

Ce rapport ne propose pas de recommandation, parce qu'il est complètement déconnecté de la Commission Oswald et donc en soi, la décision d'exclure est propre au CIO et elle s'appuie sur le rapport McLaren. À aucun moment, le professeur McLaren ne s'est exprimé quant à la présence ou non des Russes dans ce rapport.

Sputnik France: En quoi cette décision d'exclure des sportifs sur de simples soupçons, qui a été mal perçue en Russie, peut-elle s'expliquer autrement que par un certain acharnement ou peut-être une volonté de ne pas faciliter la tâche aux sportifs russes, alors que les JO démarrent dans une quinzaine de jours?

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Jean-Baptiste Guégan: Vous parlez d'acharnement, moi je ne partage pas de point de vue pour une raison très simple: la Russie a la chance de pouvoir participer, même sous bannière olympique, aux Jeux. Elle aurait très bien pu être complètement exclue et de manière très autoritaire. Là, la Russie aura la chance d'avoir plusieurs centaines d'athlètes présents, même si c'est sous bannière olympique.

On a une sanction qui apparaît sévère en Russie et c'est normal qu'elle apparaisse comme telle pour les Russes. Cependant, elle est relativement équilibrée pour le CIO et pour les autres instances: c'est-à-dire quelle sanctionne des dérapages et le non-respect des règles olympiques et donc elle entraîne la sanction de ces athlètes.

Mais est-ce qu'elle est sévère? Je comprends que du point de vue russe, on soit finalement plus que réservé, voire énervé, mais dans les faits cela aurait pu aller beaucoup plus loin.

Sputnik France: L'ex-champion de boxe, Nikolay Valuev, déclaré à RIA Novosti: «tout est fait pour que la Russie perde patience et pour que nous n'allions pas du tout aux JO». Qu'est-ce que vous pensez de cet argument?

Jean-Baptiste Guégan: Là encore, ce sont des citations qui sont relativement déconnectées de la réalité. Quand on regarde cette citation et qu'on la prend au pied de la lettre, cela voudrait dire que la Russie est prête justement à aller à l'encontre du vœu de son propre Président. Vladimir Poutine a déclaré qu'il y aurait des athlètes russes qui seraient envoyés, qu'il ne s'opposerait pas à la présence de Russes sélectionnés par le CIO, donc la Russie va y aller.

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Après, les uns les autres peuvent réagir comme ils veulent. Vladimir Poutine a décidé d'envoyer des athlètes russes, et jusqu'à preuve du contraire, il y a un seul maître en Russie et c'est lui. Et dans un deuxième temps, on peut regarder juste une chose. Là, il est normal que les uns et les autres essayent de montrer leur colère vis-à-vis de l'extérieur. Et dans les faits, on aura des athlètes russes aux JO. Et là encore, je ne vois pas la Russie de boycotter d'elle-même les Jeux: personne n'y a intérêt! Ni le CIO, ni la Russie, ni Vladimir Poutine.

Sputnik France: Concernant le cas du champion de biathlon Chipouline, pourquoi fait-il partie des 111 athlètes exclus?

Jean-Baptiste Guégan: Chipouline est l'un des dix athlètes les plus doués de sa génération. Après, il a une réputation qui est quand même très contestable dans le milieu du biathlon. Il suffit de voir la réaction du leader français, Martin Fourcade, et des autres Européens. Il y a des performances qui sont parfois en tout cas surprenantes. Et le fait d'avoir ces échantillons antidopage manipulés, cela prouve que, au regard du processus de dopage institutionnalisé, il a pu être aidé.

Alors après, cela ne veut pas dire qu'il a été dopé, cela veut dire qu'il y a un doute. Et là encore, cela peut paraître injuste, mais cela me paraît être même une bonne chose pour le sport russe. Cela lui permettra d'être complètement propre et toutes les médailles qui seront glanées seront une vraie victoire. Finalement, cela passe peut-être par là aussi pour réhabiliter les sportifs russes et qu'on arrête de les considérer tous comme des dopés.

Sputnik France: Vous semblez considérer que le CIO réagit justement dans cette affaire, les Russes estiment qu'il a été très sévère. Que peut-il ressortir de ces tensions?

Jean-Baptiste Guégan: Je pense que pour le sportif russe, ce qui va être bien c'est que Vladimir Poutine a littéralement mis un coup de pied dans la fourmilière. En plus, le CIO a été relativement mesuré, ça, les médias russes ne peuvent pas l'écrire, mais à aucun moment ils n'ont parlé de dopage d'État. Cela a été une maladresse de langage [de la part des médias, ndlr].

Et donc ils ont littéralement sorti Vladimir Poutine de sa responsabilité, ils n'ont jamais dit que c'était Poutine qui avait décidé et donc en faisant cela, ils ne l'ont pas humilié. Le CIO a été assez habile de ce côté-là!

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Ils savent l'importance de la Russie. La Russie a toujours été une puissance sportive. On a besoin de la Russie dans le sport, c'est une évidence. En n'humiliant pas Vladimir Poutine, il n'entraîne pas une réaction du plus haut niveau de l'État sur ce dossier. C'est pour cela que Poutine a écarté Moutko. C'est que derrière, c'est un gage. Il donne un gage au CIO en disant «OK, on a déconné, on va faire du bruit là, mais derrière, ne nous fermez pas la porte, on vous ne la ferme pas non plus et puis on se retrouvera dans quatre ans, dans huit ans, et on jouera suivant les règles.»
Et je pense que la meilleure des choses pour Poutine, c'est celle-là: il n'a pas été humilié, il peut reprendre la main sur le sport russe!

Sputnik France: Finalement, est-ce que cela peut être bénéfique pour le sport russe?

Jean-Baptiste Guégan: Le rapport McLaren a permis à des vrais sportifs d'aller chercher les médailles et il permettra peut-être demain à de jeunes Russes qui ne sont pas dopés ou qui n'ont pas été dopés à leur insu, de justement performer et d'avoir une reconnaissance qu'ils n'auraient pas eue face de sportifs qui ont accepté de tricher.

[S'il envoie des jeunes] cela serait une vraie chance pour le sport russe. Plutôt que d'envoyer des séniors dont on ne sait pas s'ils sont en état, on envoie des jeunes. Et l'intérêt est que l'on va les préparer à l'expérience olympique, qui est extrêmement déstabilisante pour des jeunes athlètes. On va leur montrer ce qui est vraiment le niveau de performance nécessaire et donc on aura tout gagné. S'il y a une chose à faire de manière très intelligente, c'est celle-là!

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