Dans une interview accordée au quotidien d'affaires britannique The Financial Times, il a surpris tout le monde en changeant sa position sur la Russie. Qui plus est, il n'a évoqué Moscou que pour souligner l'état très grave de l'Union européenne. George Soros a gardé sa manière traditionnellement agressive de parler et annoncé que l'UE était une «organisation au bord de la dissolution» et que la Russie était, selon lui, une «puissance renaissante fondée sur le nationalisme».
Curieusement, cette interview ne souligne pas que la Russie «passera du mauvais au pire». Soros se présente comme un «combattant pour la liberté offensé» qui fait face à l'opposition personnelle de Poutine. Cela pourrait vous surprendre, mais ces propos ne font que renforcer l'image positive du président russe car beaucoup de lecteurs occidentaux sont en mesure de suivre une chaîne logique simple: George Soros, acteur politique très influent qui se permet de faire des leçons à Angela Merkel, se plaint de l'efficacité de l'attaque internationale lancée par Vladimir Poutine contre son organisation. Conclusion: le président russe est beaucoup plus fort, libre et influent que les principaux politiciens de l'UE.
Les frustrations de l'oligarque américain rappellent celles que reflète la nouvelle stratégie de sécurité nationale des États-Unis. Ce texte fondateur du ministère américain de la Défense présente la Russie et la Chine comme des «puissances révisionnistes» qui ont lancé un défi aux intérêts américains et à l'ordre mondial établi, fondé sur l'hégémonie des USA. Soros se plaint globalement de la même chose mais met l'accent sur la menace que représenterait pour l'Union européenne la «puissance renaissante» qu'est la Russie. Le financier et la Maison blanche accusent la Russie d'avoir perturbé l'ordre mondial dont la caractéristique principale résidait dans la reconnaissance unanime de la «mort de la Russie», et dans la privation de son ancien statut de grande puissance. Dans ce contexte, le fait même de la «renaissance» russe, selon Soros, devient une tendance «révisionniste» pour Washington. Par ailleurs, ils ont probablement les mêmes sentiments envers la Chine: d'après eux, Moscou est mort après sa défaite dans la guerre froide en 1991, et Pékin avait succombé suite aux guerres de l'opium au XIXe siècle. La terreur existentielle de certains politiciens occidentaux au sujet du renforcement de la Russie et de la Chine s'explique apparemment par la prise en considération de la résurrection d'adversaires qu'ils tenaient pour morts depuis longtemps.
Vladimir Poutine aurait donc une «mauvaise influence» sur les politiciens européens et montrerait à tout le monde que la confrontation avec l'establishment américain — notamment avec George Soros — pourrait être une tactique gagnante assurant non seulement des avantages géopolitiques, mais aussi une sympathie considérable des électeurs. Ce n'est pas par hasard qu'on considère le président russe comme le premier populiste européen, dont l'exemple inspire des personnalités politiques telles que Viktor Orban en Hongrie ou Marine Le Pen en France.
Bien que les experts politiques européens et américains aient annoncé, suite à la victoire d'Emmanuel Macron à la présidentielle française, la «mort du populisme européen» et la «défaite de l'euroscepticisme prorusse», Soros affirme que l'Union européenne se trouve au bord de la dissolution. Il est probable que l'oligarque américain soit plus proche de la vérité…
Premièrement, il a un accès direct au sommet de l'establishment occidental. Deuxièmement, son métier le pousse à analyser les risques futurs, au lieu des victoires du passé. Afin de comprendre son inquiétude, il suffit de constater le conflit entre Berlin et Varsovie, le progrès assuré des autorités allemandes vers une «Europe à deux vitesses», la tendance de la Bundesbank à introduire le yuan dans ses réserves de devises au détriment du dollar ou même la popularité considérable des populistes et des eurosceptiques du Mouvement 5 étoiles qui pourraient faire créer la surprise lors des prochaines élections législatives en Italie.
Quoi qu'il en soit, même les russophobes les plus acharnés seront tôt ou tard obligés de suivre le chemin de George Soros: d'abord nier le droit à l'existence de la Russie, puis espérer une faillite «imminente» de la Russie, puis déprimer à cause de la résistance de cette dernière et, en fin de compte, reconnaître amèrement que la Russie est là pour toujours.