Bien que le Président français ait annoncé «je suis venu en ami», après avoir pris un bain de soleil plutôt qu'un bain de foule dans la rue Larbi Ben M'Hidi à Alger, les relations entre les deux pays semblent bien être au stade du «je t'aime moi non plus», en raison de différends qu'il convient d'éclairer.
Pour commencer, il faut de suite noter que les autorités algériennes ont refusé lundi d'accorder un visa à une dizaine de journalistes français, qui doivent accompagner le Président dans son déplacement. Il aura fallu un appel téléphonique, mardi, d'Emmanuel Macron au Premier ministre algérien, Ahmed Ouyahia, pour débloquer la situation. Que se passe-t-il alors?
La lutte contre le terrorisme
À l'issue de son entretien avec le Président Bouteflika sur le sujet de la lutte contre le terrorisme, Emmanuel Macron a déclaré:
«L'Algérie et la France sont convenues de renforcer leur coopération en matière de sécurité et de lutte contre le terrorisme, notamment dans la bande sahélo-saharienne où nous travaillons ensemble».
Cette mise à l'écart de l'Algérie, de l'expérience de son armée et de ses services de sécurité dans la lutte antiterroriste, est très mal perçue par Alger, qui doute fortement de l'intention de Paris de vouloir aider vraiment à la stabilisation de la région. Il est à rappeler que l'Algérie a à plusieurs reprises reproché à la France le payement de rançons, de plusieurs millions d'euros, pour la libération d'otages français détenus par des groupes terroristes dans le Sahel. Les autorités algériennes considèrent le payement de rançons comme une source de financement de la criminalité dont les conséquences sont graves y compris pour la sécurité de l'Europe.
Sans oublier, le rôle néfaste qu'a eu l'intervention de la France en Libye, sous l'égide de l'Otan, sur le développement du terrorisme et de l'immigration clandestine, contre laquelle l'Algérie s'est fermement opposée, et que Macron a reconnu. À ce sujet, en faisant allusion au rôle négatif de son prédécesseur, il a déclaré:
«je ne pense pas que la politique d'intervention militaire peut régler les crises, au contraire elle complique la situation, surtout quand elle n'est pas inscrite dans le cadre d'une stratégie politique».
«L'option militaire ne saurait être acceptée car elle mènerait à la partition et au chaos en Libye et profiterait aux forces du mal, à savoir les groupes criminels et terroristes», saluant, dans ce même cadre, «les victoires remportées par les Libyens dans leur lutte contre le terrorisme à Syrte, à Benghazi et dans plusieurs autres villes libyennes», a déclaré le ministre algérien des Affaires étrangères.
Le Proche-Orient et le Sahara occidental
Sur ce point aussi les divergences sont grandes. La question syrienne tient le haut de la liste. L'Algérie, dès les premiers actes terroristes dans ce pays, a condamné les interventions étrangères et s'est toujours tenue au côté des autorités légitimes de Damas, en considérant que la solution à ce conflit ne pouvait que venir de l'intérieur du pays, et que le peuple syrien était le seul habilité à juger de la meilleure solution qui lui convient et du sort de son Président Bachar el-Assad.
Ajoutant aussi l'épineux dossier du Sahara occidental, la pierre angulaire des relations tendues entre l'Algérie et le Maroc, et dans lequel la France est un soutien permanent à ce dernier.
Création d'un fonds franco-algérien pour aider les entreprises
Lors de sa conférence de presse, le Président français a évoqué la création «d'un fonds franco-algérien d'investissement, au service des entrepreneurs algériens en France et français en Algérie», destiné à huiler la mécanique entrepreneuriale oxydée depuis longtemps.
En effet, la France qui était le premier partenaire commercial de l'Algérie, reléguée à la deuxième position par la Chine, n'a pratiquement pas d'investissement productif significatif en Algérie. Alger, qui n'exporte que des hydrocarbures et qui cherche à diversifier son économie, considère ce rapport comme bénéficiant uniquement à l'Hexagone, demande aux entreprises françaises plus d'engagement dans son économie, à l'instar des investissements que ces dernières ont développé chez ses voisins marocain et tunisien. De ce point de vue, la France dispose de beaucoup d'outils qu'elle peut mettre en valeur, comme l'énergie nucléaire, les transports rapides et les technologies de l'espace, afin de se faire une place d'exception sur le marché algérien.
La question mémorielle
Bien que le problème soit réel, car les mémoires sont encore blessées, on ne peut faire l'économie de dire que cette question est fortement instrumentalisée dans les deux pays, pour justement cacher les questions évoquées ci-dessus. Alors que la guerre d'Algérie a pris fin en 1962, il est plus que temps pour les deux peuples qui se connaissent bien, et qui partagent beaucoup de choses sur les plans historique, culturel et linguistique, de mettre fin à ce problème et de résolument se tourner vers l'avenir. Il faut que cette question, comme n'arrêtent pas de le répéter les historiens, le Français Benjamin Stora et l'Algérien Mohammed Harbi, pour ne citer que les plus imminents, soit confiée aux spécialistes, qui sont seuls à même de la traiter d'une manière objective et complétement dépassionnée. À ce titre, le Premier ministre Ahmed Ouyahia, en visite ce jeudi 7 décembre à Paris, a annoncé qu'Emmanuel Macron était prêt à remettre à l'Algérie une copie des archives de la période coloniale française (1830-1962), réclamée depuis des années par Alger. Chose qui pourrait effectivement aider les jeunes générations à mieux saisir ce qui s'est passé dans cette période de l'Histoire, afin de bâtir des relations saines au service des deux peuples, basées sur la vérité et le respect mutuel.
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