Il y a celle qui d'une part est née des propos de Manuel Valls, ancien premier ministre, à la fois contre un institut de recherches, hautement respectable (l'IRIS) et contre Mediapart et celle qui d'autre part est née d'une caricature de Charlie-Hebdo contre Tariq Ramadan, et qui maintenant oppose ce journal à Edwy Plenel et à certains intellectuels.
Ces polémiques ne sont nullement liées, comme on voudrait le faire croire. Et l'on peut parfaitement rejeter les propos — assez indignes — de Manuel Valls et condamner ceux, non moins indignes, d'Edwy Plenel.
Valls en campagne
Mais, Valls s'est laisser emporter, et a depuis demander que l'on coupe les financements publics à l'Institut des Relations Internationales et Stratégiques, l'IRIS, que dirige Pascal Boniface. Ce faisant, il a franchi une indiscutable ligne de fracture: celle qui oppose les démocrates à ceux qui ne le sont pas. On peut contester nombre de positions de Pascal Boniface. Je l'ai fait. Mais, d'une part la position d'un individu ne définit pas celle d'une organisation de recherche collective. D'autre part, vouloir priver l'IRIS de ses contrats est un appel à un acte de censure caractérisé. Car l'IRIS produit de nombreuses études qui sont très intéressantes. Je puis en partager les conclusions comme je puis les contester. Mais, elles ont toujours été une contribution importante au débat public. Etant moi-même victime d'au acte caractérisé de censure avec la suspension de mon carnet scientifique RussEurope, je ne puis que soutenir l'IRIS et dénoncer la manœuvre odieuse d'un politicien aux abois.
Charlie, Plenel et Ramadan
Cependant, cette triste affaire n'est nullement liée à l'autre, qui oppose Charlie-Hebdo à Edwy Plenel. Charlie a fait une de ses couvertures sur Tariq Ramadan, à la suite de la mise en cause de ce personnage dans des affaires de viols (et il convient de souligner qu'il a été suspendu de son enseignement par l'Université ou il enseigne). Edwy Plenel est connu pour sa proximité, non dénuée de critiques, avec Tariq Ramadan. D'où la polémique. Sur France Info, Plenel a déclaré: "La Une de Charlie Hebdo fait partie d'une campagne générale, que l'actuelle direction de Charlie Hebdo épouse, [menée par] Monsieur Valls et d'autres qui le suivent". C'est déjà un amalgame osé (surtout pour quelqu'un qui s'en va criant sur tous les toits « pas d'amalgane »). Charlie-Hebdo ne mettait nullement en cause les musulmans mais une personne. Plenel est revenu dans ce même interview et a prononcé alors des mots qui résonnent sinistrement: « La « une » de Charlie Hebdo fait partie d'une campagne générale de guerre aux musulmans ». Ce sont des paroles inouïes, et d'une gravité sans précédent. Elles ont appelé une réponse de la part du rédacteur en chef de Charlie Hebdo, Riss, qui le 15 novembre 2017, dans l'éditorial du n° 1321 de ce journal, les a dénoncées dans des termes très forts.
On aurait pu croire que, prenant conscience de l'énormité de sa déclaration, il la corrige, et se démarque des mots qu'il avait utilisés. Il n'en a rien été. Au contraire, il a suscité une pétition de soutien dans laquelle sont allés se perdre et se déconsidérer des intellectuels, dont certains sont des collègues et d ‘autres des amis. Il convient de le dire et le redire, les propos de Plenel sont inqualifiables dans le principe, et condamnables dans la forme, parce qu'ils mettent en danger directement la vie de personnes.
Ce qui unit Valls et Plenel
On voit alors ce qui unit Valls et Plenel. L'un et l'autre n'hésitent pas, pour régler des comptes personnels, ou pour sauver un élection, à prendre des gens en otage. Valls, parce qu'il n'apprécie pas ce que dit Boniface (ce qui est son droit) s'en prend à l'IRIS sans se soucier de la qualité des travaux de ce centre. Plenel, parce qu'il est mis en cause en tant que personne, n'hésite pas à reprendre le discours des pires islamistes et à désigner comme cibles potentielles la nouvelle équipe de Charlie.
Ces deux sinistres personnages ont franchi la ligne qui sépare le débat politique, avec ce qu'il contient comme outrances, avec ce qu'il peut avoir d'injuste, mais où l'on n'attaque qu'un individu, où l'on ne critique que des positions, et le droit commun. Ces deux personnages sont désormais devenus les symboles d'une vie politique vidée de son sens où l'on peut dénoncer, voire appeler implicitement au meurtre, sans qu'il y ait de réactions. En cela, ces sinistres personnages symbolisent l'involution du débat d'idées et de la politique dont nous sommes témoins depuis plusieurs mois, voire plusieurs années. Ils contribuent, l'un est l'autre à leur manière, à plonger la France dans une guerre civile.
Ces deux ouvrages permettent de penser la question du rapport aux religions en général, et dans le contexte actuel à ce que représente comme menace non l'islam mais bien l'islamisme, ou plus précisément l'islam politique. Mais, pour avoir le débat qui dès lors s'impose, il faut en finir avec les faiseurs d'amalgames, quels qu'ils soient, et donc en particuliers avec MM. Valls et Plenel. Il faut les renvoyer là dont ils n'auraient jamais dû sortir, dans les poubelles de l'histoire.
1. Sapir J., Souveraineté, Démocratie, Laïcité, Paris, Michalon, 2016.
2. Bourdin B. et Sapir J., Souveraineté, Nation, Religion, Paris, Edition Le Cerf, 2017.
Les opinions exprimées dans ce contenu n'engagent que la responsabilité de l'auteur.