«Un peu exaspéré, il y a un besoin d'avoir une vision claire. Aujourd'hui nous ce qu'on veut c'est clairement des solutions pour pouvoir avancer. […] Donc il faut qu'elle [la Commission européenne] se prononce, parce que la durée pour nous est un vrai souci, parce qu'on ne connaît pas réellement le temps que va mettre la recherche pour trouver de nouvelles solutions pour l'agriculture.»
Samuel Vandaele, secrétaire générale du syndicat Jeunes Agriculteurs, réagit au résultat du vote pour le renouvellement de la licence du glyphosate par les pays membres de l'Union.
Mécontent, ce représentant des agriculteurs prie les institutions de donner aux agriculteurs les moyens nécessaires pour tourner rapidement la page du glyphosate. Le sentiment de Danièle Favari, juriste spécialisée en droit de l'environnement n'est guère différent. Elle condamne le responsable principal de ce vote du 9 novembre:
«Il n'y a pas eu de décision. Encore une fois! C'est une saga qui dure depuis 2 ans déjà, alors que la licence devait expirer le 15 décembre 2017. […] Ce qui a fait basculer le vote ou l'absence de vote, c'est l'Allemagne, avec 16%, qui s'est abstenue puisque [le glyphosate] est passé maintenant dans les mains d'une firme allemande d'agrochimie bien connue».
Danièle Favari explique ainsi que le passage de Monsanto (firme américaine, fabricant du célèbre Round-up, l'un des produits contenant du glyphosate les plus populaires) sous le contrôle probable de Bayer (industriel pharmaceutique et chimique) empêche aujourd'hui d'interdire dans les plus brefs délais l'utilisation du glyphosate. Une situation qui devrait rester tout aussi bloquée lors vote devant une commission d'appel, qui devrait intervenir dans quelques jours.
«Il est fort probable que la Commission passe vraisemblablement en force s'il n'y a pas de majorité qualifiée à nouveau, ce qui est fort probable parce que ce sont les mêmes États membres qui sont présents dans ce comité d'appel et qu'il est présidé par un fonctionnaire de la Commission.»
«Non, je pense qu'il faut l'interdire tout de suite. Je pense que les avis sont suffisamment déterminants sur la dangerosité de ce produit. Il a été classé cancérigène par l'OMS, il est génotoxique donc je pense que le principe de précaution doit jouer et doit jouer immédiatement.»
«Aujourd'hui, il n'y a pas d'alternative possible et il n'y a pas de remplacement au glyphosate. Donc aujourd'hui, il faut qu'on puisse vraiment avoir une vraie ligne stratégique et pouvoir mettre un vrai plan de recherche sur l'innovation pour qu'on puisse trouver des alternatives possibles.»
La réponse apportée par Samuel Vandaele est sans appel: il n'existerait pas d'alternative crédible pour bon nombre de ses confrères, qui cultivent leurs exploitations de la même façon depuis des années. Un avis que Danièle Favari conteste:
«Il y a des alternatives au glyphosate. […] Paul François, un agriculteur, qui a attaqué la firme pour la dangerosité du produit et l'a fait condamner pour intoxication, préconise des méthodes alternatives comme la rotation des cultures, la permaculture, le désherbage mécanique […] et le bio.»
Ces exemples de substitution aux produits contenant du glyphosate existent, mais interpellent quant à la possibilité des agriculteurs de se les approprier rapidement et de permettre aux consommateurs de se nourrir en quantité. Cependant, l'écologiste met en avant un autre substitut à l'herbicide, mais là encore la solution ne semble pas immédiatement à portée de main:
«Il existe aussi l'alternative d'un désherbant naturel breton qui s'appelle Osmobio et qui est en attente d'autorisation de vente, et on se demande bien pourquoi parce qu'on sait très bien que la firme en question est toute puissante, qu'elle exerce un lobby assez important sur la Commission européenne.»
«Bien sûr, il paraît que la conversion au bio par exemple, coûte de l'argent. C'est assez difficile à se mettre en place, cela demande plusieurs années. Cela va de soi, je ne prétends pas que tous les agriculteurs doivent se mettre au bio. Mais quoi qu'il en soit, je pense qu'il faut arriver à une agriculture ou une agroécologie plus raisonnée. […] Il faut quand même revenir à des méthodes un peu plus traditionnelles et un peu moins destructives et de l'environnement et de la santé humaine, parce qu'il y a des cas avérés de risques.»
Si Danièle Favari dénonce certains excès du libéralisme, le représentant des Jeunes Agriculteurs français, loin d'être opposé à la transformation des méthodes, rappelle la dure réalité que vivent un grand nombre d'agriculteurs, obligés de pratiquer la culture intensive pour survivre:
«Tout cela va forcément impliquer derrière une rémunération et un prix. Aujourd'hui dans l'état actuel des choses, où nos prix sont au plus bas, il faut réellement produire pour essayer de sortir un revenu. Et je rappelle juste qu'un agriculteur sur deux gagne moins de 350 euros par mois, donc aujourd'hui le changement est difficile […] Tout cela à un prix donc oui à l'innovation, oui au changement, oui au progrès, mais pas à n'importe quel prix.»
Pour Samuel Vandae, le cœur du débat ne porte finalement pas tellement sur l'interdiction du glyphosate, mais sur l'émergence d'alternatives crédibles à ce produit, qui permette à l'agriculteur de concilier rendement économique et souci écologique:
«Beaucoup d'études sont en cours. C'est pour cela qu'on a aussi besoin d'une vraie cohérence et qu'on puisse avoir un organisme qui collecte toutes les pratiques qui sont faites sur nos exploitations pour qu'on puisse mutualiser au mieux. […]
Et demain, si on a des méthodes alternatives à certains produits, les agriculteurs le feront d'eux-mêmes, on n'aura pas besoin de passer par la loi.»
Dans la situation actuelle où l'utilisation à moyen terme du pesticide reste toujours en suspens, la réduction des doses appliquées dans les cultures semble apparaître comme une solution transitoire. En effet, une équipe de chercheurs du CNRS a pu constater, en organisant avec des agriculteurs une vaste expérience dans le département des Deux-Sèvres, qu'une baisse d'environ 30% de l'herbicide n'entraînait pas de perte de rendement. Danièle Favari va dans le même sens:
«À l'heure actuelle, on utilise 150 kg à l'hectare en France. Il paraît que 120 kg à l'hectare, c'est déjà amplement suffisant. […] Mais à terme, [les] professionnels doivent en faire un usage un peu plus modéré pour leur bien-être, pour celui des sols, pour celui de l'agriculture et de la santé sanitaire, phytosanitaire et alimentaire, parce que bien entendu cela se retrouve dans tous les aliments, c'est une certitude.»
Les acteurs directement concernés semblent donc tous aller dans le même sens. Si bien qu'à l'instar des agriculteurs, les consommateurs prennent peu à peu conscience des risques sanitaires dans l'alimentation provenant d'une culture intensive, dont les produits traversent souvent les océans avant d'arriver dans nos rayons. Mais au-delà d'un changement de système, Samuel Vandaele espère que les responsables politiques, et Emmanuel Macron en particulier, assumeront la réalité de l'agriculture française et donneront aux producteurs le budget nécessaire à cette transformation.
«Aujourd'hui, tout le monde dit qu'on va de l'avant sur la recherche, sur l'innovation. Aujourd'hui, on n'a pas réellement un budget dédié à ceci, on attend d'avoir les conclusions du "chantier 2" des États généraux de l'Alimentation pour voir ce qui va être affecté à la recherche et l'innovation, sur les 5 milliards d'euros qu'avait été promis par Emmanuel Macron.»