Le glyphosate sera-t-il à nouveau homologué en Europe pour les dix prochaines années? Mercredi 30 août, le ministère de la Transition écologique a pris une position tranchée sur la question de l'avenir de ce composé actif de nombreux désherbants, à commencer par le célèbre Roundup, classée comme «cancérogène probable chez l'homme» par le Centre international de recherche sur le cancer (Circ) de l'Organisation mondiale de la santé (OMS) depuis mars 2015.
Ainsi, on remarquera que si en juin 2015 le ministre déclarait sur la chaîne Public-Sénat qu'il n'interdira pas le glyphosate, exactement un an plus tard la France rejoignait Malte, alors seule opposante au projet de reconduction de l'autorisation de mise sur le marché du glyphosate en Europe. L'Allemagne, l'Autriche, la Bulgarie, l'Italie, le Luxembourg, la Grèce et le Portugal, se contentant de s'abstenir.
Une abstention néanmoins suffisante pour ne pas parvenir à une «majorité qualifiée» (approbation de 55 % des états membres, représentant 65 % de la population européenne), mais au lieu de rejeter la proposition de renouvellement de la licence du glyphosate arrivant à son terme, la Commission européenne décidera — par défaut — de la proroger pour une période de 18 mois maximum.
Pour cette eurodéputée, qui appelle à un recentrage de la politique européenne sur les intérêts de ses citoyens et non d'intérêts particuliers, «il faut que la vérité sorte», estimant que ses homologues n'ont pas en leur possession tous les éléments, toutes les informations nécessaires afin de pouvoir pleinement se prononcer sur la réhabilitation ou non du glyphosate.
Michèle Rivasi entend ainsi, avec les autres députés écologistes, offrir une tribune à différents acteurs de la vie civile américaine, aujourd'hui engagés en justice face à Monsanto. Le géant de l'agrochimie, père du glyphosate dont il fit le principe actif de son produit phare, le Roundup, est en effet poursuivi aux États-Unis pour de nombreuses affaires de pollution environnementale (notamment le PCB, l'aspartame, l'agent orange ou encore les hormones de croissance).
Accusé d'avoir délibérément caché des informations aux autorités sanitaires américaines sur la nocivité de ses produits, Monsanto a par ailleurs été condamnée aux États-Unis et en France pour publicité mensongère concernant les propriétés «biodégradable» de son désherbant.
«On a vu dans des mails que Monsanto envoie vis-à-vis des scientifiques qu'ils paient des scientifiques pour dire que le glyphosate n'est pas cancérigène», s'insurge Michèle Rivasi, qui évoque ces class-actions et entend bien s'appuyer sur ce passif sulfureux, si ce n'est explosive, de la multinationale américaine.
Pourtant, Monsanto est bien loin d'être le seul producteur et distributeur de produits comprenant ce fameux glyphosate depuis que le brevet est tombé dans le domaine public en l'an 2000. Néanmoins, le géant américain — qui pourrait bientôt passer sous pavillon allemand — ne désarme pas afin de protéger cette substance aujourd'hui dépeinte comme la «clef de voûte» de son modèle économique. En témoignent les révélations des «Monsanto papers» à propos desquelles des journalistes du Monde déclaraient en juin 2017 que la firme américaine avait «entrepris de démolir, par tous les moyens» l'agence des Nations-unies contre le cancer afin de sauver le glyphosate.
Si, par prudence et professionnalisme, cet expert du CNRS se garde d'établir un lien direct entre le développement — particulièrement long — de cancers et l'utilisation du produit, il tient à souligner que «pour nous, le Roundup induit les premières étapes qui conduisent au cancer». Robert Bellé qui par la suite revient sur la pression qui était alors exercée afin de protéger le développement des OGM. Rien ne devait alors entraver ce qui était alors présenté comme la marche du progrès scientifique.
Quoi qu'il en soit, la décision française semble avoir suscité des remous outre-Atlantique. Dans un communiqué publié jeudi 31 août, Anne Kolton — vice-présidente de la American Chemistry Council (ACC), un groupe de lobbying représentant l'industrie chimique nord-américaine — a «exhorté» la France à «reconsidérer» sa décision et «à prendre en considération les conclusions» des enquêtes de l'Agence européenne des produits chimiques (ECHA) et de l'Agence européenne de sécurité des aliments (EFSA) qui ont estimé «improbable» le risque cancérogène du glyphosate.
Des conclusions qui contredisent le rapport de l'institution onusienne, à partir desquelles la Commission s'est justement basée pour relancer mi-mai le processus de ré-homologation du glyphosate, mais auxquelles l'accès semble particulièrement restraint, comme l'explique Michèle Rivasi. Le groupe des Verts a par ailleurs porté plainte auprès de la Cour de justice européenne, contre l'EFSA, afin d'avoir accès aux résultats.
«Quand je leur demande les études qu'elles ont publiées et qu'on me rétorque "mais non, le glyphosate n'est pas cancérigène, mais on ne peut pas vous donner les études parce que les industriels en sont propriétaires et il y a un secret commercial", vous voyez bien qu'on n'est pas dans le cadre des sciences, on est dans l'empirisme le plus total!»
L'eurodéputée regrette un «mensonge organisé», pointant du doigt l'opacité de ces études diligentées par l'Union européenne et dont l'objectivité a été remise en cause par la quasi-totalité des groupes du Parlement. Beaucoup dénoncent le manque d'indépendance de ces agences vis-à-vis de l'industrie phytosanitaire, d'autant plus que les tests effectués le sont dans des conditions particulières, que nous rappellent nos confrères de Science et Avenir: «L'Agence précise ne pas prendre en compte les critères d'exposition: elle évalue le glyphosate pur (isolé) et non les produits commerciaux, qui contiennent d'autres substances activant davantage la molécule et soupçonnée de permettre sa pénétration dans les cellules…»
Au premier janvier de l'année suivante, la vente de glyphosate était interdite aux particuliers — qui en France en écoulaient tout de même 2.000 tonnes par an — une décision de la ministre qui faisait écho à l'avis de la CLCV — Association nationale de défense des consommateurs et usagers, qui demandait alors l'interdiction de la vente du glyphosate aux particuliers.
Aujourd'hui, le glyphosate est considéré comme la substance la plus utilisée au monde — nos confrères du Monde relataient que pour la seule année 2014, près de 825.000 tonnes de produits contenants du glyphosate avaient ainsi été épandues sur les exploitations agricoles à travers la planète. Lors d'un examen d'urine effectué sur quarante-huit eurodéputés à l'initiative des Verts, des traces de glyphosate ont été décelées chez tous les participants, le tout dans des proportions particulièrement élevées — jusqu'à trente-cinq fois le seuil légal toléré dans l'eau potable. «On s'aperçoit qu'on en a tous, le glyphosate est à la fois présent dans notre alimentation, dans notre environnement» insiste Michèle Rivasi qui souligne une question relevant d'un «enjeu international».
Quant aux partisans du glyphosate, on souligne non seulement l'important gain de temps et d'argent que le produit permet, mais également l'impact écologique que pourrait avoir à recourir de nouveau au labour afin de nettoyer les champs avant semis. Un labour, qui selon certains, mènerait à relâcher d'importantes quantités de carbone jusque-là emmagasinées dans les sols, mettant ainsi en péril les efforts menés contre le réchauffement climatique. Du côté du CNRS et de l'INRA, on estimerait «faible» le gain de productivité engendré par le recours à des herbicides.
Au-delà de la polémique sur la seule question de la pérennisation du glyphosate en Europe, n'est-ce pas finalement la question de la pérennisation de notre mode agricole lui-même qui se pose aujourd'hui?