Ces djihadistes qui veulent se réfugier dans les bras de la Justice française

© AFP 2024 DAMIEN MEYER A picture taken on May 19, 2015 at Rennes' courthouse shows a statue of the goddess of Justice balancing the scales.
A picture taken on May 19, 2015 at Rennes' courthouse shows a statue of the goddess of Justice balancing the scales. - Sputnik Afrique
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Une vingtaine de familles de femmes parties rejoindre «Daech» en Syrie demande l’intervention de la France afin de les rapatrier avec leurs enfants. L’État peut-il donner son feu vert à de tels rapatriements? Au-delà du casse-tête diplomatique et juridique, n’est-il pas dangereux de ramener en France des individus qui ont juré sa perte?

«Le sens de ce courrier est de rappeler un principe fondamental, c'est que toute démocratie est structurée autour du respect de la règle de droit,» déclarait, lundi 30 octobre, sur le plateau de BFMTV, Maître Vincent Brengarth, avocat de familles françaises dont des proches sont aujourd'hui en Syrie.

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Le même jour, RMC révélait qu'une vingtaine de familles parties rejoindre l'organisation terroriste en Syrie auraient écrit à l'Élysée, Matignon et aux ministères de la Défense, de l'Intérieur, de la Justice, des Affaires étrangères et de la Santé. Elles demandent aux autorités de «tout mettre en œuvre» afin de faciliter le retour de ces femmes en France, pour qu'elles soient jugées par des tribunaux français, et pour protéger les enfants, dont certains sont nés au Levant.

Une information que RTL relaie, en révélant le même jour qu'une famille de djihadistes français (un couple et ses trois enfants), en Syrie depuis trois ans où ils avaient rejoint Daech, capturée par les forces kurdes lors de la chute de Raqqa et emprisonnée près de Deir ez-Zor demande elle-même à être rapatriée et jugée en France.

«Ce type de situation, ce type de cas est prévu par le droit international, ce qui s'applique en l'occurrence c'est le droit international humanitaire. Ce sont les conventions de Genève,»

rappelle Alexandre Vautravers, expert en terrorisme, résolution des conflits et droit international, chercheur associé à l'Institut Prospective et Sécurité en Europe (IPSE) et au Geneva Centre for Security Policy (GCSP). Il souligne toutefois que ces conventions s'appliquent aux combattants d'une partie d'un conflit clairement désignée. Un cas de figure qui n'est, pour l'heure, pas celui de l'État islamique, organisation terroriste qui s'est illustrée sur les théâtres syrien et irakien par son peu de considération à l'égard de la vie humaine ou de tout ce qui pouvait s'éloigner des préceptes dictés par la Charia.

«Je pense qu'ils veulent être jugés en France, car c'est ce qu'il leur permettra de préserver la vie, parce que s'ils restent sur le terrain, c'est sûr que nous irons au bout et que nous les trouverons partout où ils sont et qu'à mon avis ils périront,»

Estime pour sa part Philippe Michel-Kleisbauer, député Modem du Var et membre de la commission de la défense nationale et des forces armées ainsi que de l'Assemblée Parlementaire de l'OTAN. S'il comprend la démarche des familles, il se dit «être sur la ligne de la ministre de la Défense», Florence Parly, qui estimait dimanche 15 octobre que «si les djihadistes périssent dans ces combats, je dirais que c'est tant mieux, et s'ils tombent entre les mains des forces syriennes, ils dépendront de la juridiction syrienne.»

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Il faut dire que la déroute de Daech sur le terrain a laissé derrière elle de nombreuses femmes et enfants. Si certains ont été tués dans les multiples bombardements, d'autres ont été faits prisonniers, tout particulièrement lors de la chute de Raqqa. Des femmes de Daech qui seront confrontées à la justice de ces pays, qui appliquent la peine de mort. Pays où elles sont entrées dans la clandestinité afin de renforcer les rangs d'une organisation terroriste, islamiste, ayant perpétré de nombreuses exactions et atrocités.

«Plus nous en traiterons sur place, mieux cela sera. Après, il faudra que nous nous adaptions à traiter en France ceux que l'on ramènera, que l'on rapatriera, avec des dispositifs et peut-être une révision de la loi pénale les concernant,» ajoute Philippe Michel-Kleisbauer.

S'il ne ferme pas la porte à tout retour, il n'est pas pour autant question de faire l'impasse sur la sécurité des Français. Ainsi, si Philippe Michel-Kleisbauer évoque la nécessité- afin de respecter le cadre d'un État de droit- de mettre en place d'un «vrai programme déradicalisation», en prenant notamment exemple sur les résultats «exceptionnels» qu'auraient obtenues les autorités marocaines ou en renforçant la coopération avec nos voisins européens, également victimes du terrorisme islamique. Il évoque à ce sujet la rencontre entre les Premiers ministres français et belge, le 16 octobre dernier.

La déradicalisation, une «politique de luxe», sur laquelle s'interroge Alexandre Vautravers, souhaitant attirer notre attention sur le coût particulièrement élevé que représentent de tels accompagnements thérapeutiques.

«Ce sont des choses qui vont quand même coûter très cher, qui peuvent peut-être fonctionner, comme le sevrage de stupéfiants, pour un certain nombre d'individus, mais certainement pas la majorité.»

Une situation dont semble conscient le député de la majorité, qui pousse son raisonnement plus loin. Il est évident à ses yeux que des réformes profondes doivent avoir lieu afin d'adapter le cadre juridique français à cette menace particulière. Rappelons, qu'en plus des djihadistes, il y aurait encore 293 femmes ainsi que 500 enfants présentes en Syrie, selon le ministère de l'Intérieur. Un cas de figure tout à fait inédit, tant par son ampleur que par la nature particulière de ces individus, qui comme le souligne Alexandre Vautravers, font preuve d'un «activisme suicidaire». Des individus particulièrement déterminés, prêts au nom de leur foi, à se détruire pour tuer les personnes dont ils ont juré la perte.

«La question est de savoir combien de temps on va les garder? Qu'est-ce qu'on en fait après? Est-ce que c'est le juge des libertés qui pourra les remettre en liberté? Est-ce que c'est un jury populaire comme certains voudraient le faire? C'est à mon avis un vaste débat national que nous devrons avoir par la suite,» déclare le député Modem.

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Des évolutions nécessaires, estime Alexandre Vautravers, qui cite le cas britannique, où la législation en matière de criminalité organisée évolue de manière constante afin de faire face à une menace elle aussi en perpétuelle mutation:

«On va devoir s'acheminer dans cette direction-là, c'est-à-dire qu'on devra ajuster les peines, ajuster les définitions, on devra créer une politique criminelle commune qui permette d'aligner les différents maillons de la chaîne sécuritaire.»

Philippe Michel-Kleisbauer a pour sa part une idée assez précise de la manière d'organiser le retour des «revenants»:

«De toute façon, cela passe par un isolement absolu. Tant qu'on ne sait pas comment traiter, c'est quarantaine absolue, il n'est pas question de prendre le moindre risque et de se dire qu'on les laisse dans la nature et qu'on les convoquera pour que leurs procès adviennent et qu'ils reçoivent un traitement où qu'ils viennent faire un petit tour chaque mois ou chaque quinzaine. Donc la réalité c'est ça: nous devons les retenir et très vite développer un dispositif qui nous permettra de savoir exactement pour combien de temps on les retient, pourquoi et comment. Est-ce qu'on sait à l'issue si oui ou non nous avons échoué dans la déradicalisation. Et s'ils ne sont jamais déradicalisés, il faudra bien envisager de les maintenir en rétention tout le temps, d'où l'adaptation de notre droit!»

De son côté, Me Vincent Brengarth appelait chez nos confrères de BFMTV à dissocier le statut des combattants de celui de leurs épouses et enfants,, une «diversité des cas» que Ministre de l’Intérieur, Gérard Collomb, disait prendre en compte, au micro de Public-Sénat, mardi 31 octobre. L’avocat, inquiet que les filles de ses clients n'aient à rendre des comptes à une justice, selon lui «sommaire et expéditive», qui ne «présente pas les mêmes garanties qu'en France.» Une confrontation contre laquelle ne trouve rien à redire Philippe Michel-Kleisbauer:

«Nous devons accepter aussi que certains soient jugés sur les sols sur lesquels ils ont commis des dommages, parce qu'on voit les combats, mais on ne sait pas ce qu'il y a derrière, on nous parle de viols, de vols, il y a des tas de choses qui ont été commises et qui relèvent du droit commun de ces États, donc c'est normal qu'ils soient jugés dans ces États.»

Si l'on ne juge pas de la qualité de la procédure judiciaire en Irak, ce pays pratique encore la peine de mort par pendaison. Une peine qui fait réfléchir les djihadistes et leurs familles. Pas plus tard que fin septembre, quarante-deux condamnés étaient pendus dans l'enceinte de la prison de Nassiriya, au sud-est du pays. L'Irak étant, avec la Chine, l'Iran, l'Arabie saoudite et le Pakistan, l'un des cinq pays où les exécutions sont les plus nombreuses. En dépit de cela, Alexandre Vautravers confirme l'argument juridique:

«À partir du moment où quelqu'un franchit une frontière nationale et pénètre un État, le droit national s'applique. Il faut l'accepter.»

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Béatrice, auteure de l'une des lettres adressées aux autorités françaises, mère d'une jeune fille partie rejoindre Daech en Syrie où elle est elle-même devenue mère, déclarait à BFMTV que si elle comprenait que sa fille ait à répondre de ses actes, elle ne comprenait pas «en vertu de quoi» sa fille française serait «jugée par un tribunal autre que français.» Sa fille, qui pourrait compter parmi les femmes arrêtées par les forces Kurdes à Raqqa, l'ancien fief de l'organisation terroriste.

«Retournons la charge: quelqu'un d'une autre nationalité, d'un autre pays, vient commettre son attentat, son acte terroriste, sur notre sol et le pays nous dirait "ah non non, la France vous ne vous en occupez pas, c'est l'un de nos ressortissants, on vous le prend et on va le juger chez nous". Comment prendrions-nous la chose? Nous ne l'accepterions pas, évidemment!»

explique Philippe Michel-Kleisbauer. Et si certains trouvent le cas de figure inverse acceptable, c'est peut-être, selon Alexandre Vautravers, à cause de la couverture médiatique du conflit:

«Il y a peut-être toute une série de personnes qui ont décidé, dans leur for intérieur, dans leur conscience, dans leur âme, que l'État syrien n'était pas un État légitime et malheureusement certains médias ont contribué à délégitimer cet État syrien, à délégitimer les frontières nationales et le droit national.»

Fin septembre, la question semblait tout autre: celle du jugement des parents de djihadistes, notamment à l'occasion du verdict du tribunal correction de Paris rendu à l'encontre de Nathalie Haddadi, pour avoir financièrement aidé son fils franco-algérien- visé par une interdiction de sortie du territoire- à rejoindre Daech en Syrie, où il serait mort. Quant aux fameux «revenants», force est de constater que «l’isolement absolu» n’est pour l’heure pas de mise — État de droit oblige —, malgré l’appel de responsables politiques,  comme Laurent Wauquiez, à les «emprisonner systématiquement».

Ainsi, Gérard Collomb entendait se montrer rassurant, lorsqu’il déclarait aux journalistes de Public-Sénat que «oui, nous protégeons les Français» et affirmant que deux tiers des 178 hommes rentrés de Syrie seraient en prison, les autres étant «suivi de très près par la DGSI». Pourtant, à en croire Étienne Leenhardt, directeur-adjoint de l'information de France 2, ils seraient donc aujourd’hui 58 hommes «sans assignation à résidence ni bracelet électronique». Quant au sort réservé par la justice française aux 66 femmes rentrées de Syrie, le flou persiste.

 

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