En quelques secondes ce petit coin de paradis s'est transformé en véritable enfer. Tout a commencé par un flash aveuglant. L'onde de choc qui a suivi a balayé tous les arbres et les bâtiments. L'eau de mer était en ébullition, le sable fondait, le sol brûlait. Et un immense champignon blanc haut comme l'Everest s'est élevé au-dessus de l'incendie, recouvrant de son «chapeau» un territoire de 161 km de diamètre. La puissance de l'explosion a atteint le record de 10,4 mégatonnes — presque 700 Hiroshima. Seul l'astéroïde qui avait marqué le début de la période glaciaire il y a 65 millions d'années avait davantage secoué la planète. Par la suite, l'humanité a «joué» plusieurs fois avec d'autres bombes plus puissantes. Coup de projecteur sur les essais les plus destructeurs de cette arme par les superpuissances mondiales.
Une bombe de la taille d'une maison
La munition Ivy Mike a entièrement détruit l'atoll d'Eniwetok — l'explosion a formé un cratère de presque 2 km de diamètre. Les chercheurs américains qui observaient la détonation à une distance sûre étaient satisfaits des essais: ils venaient de provoquer pour la première fois sur notre planète une réaction thermonucléaire, qui n'a lieu dans des conditions naturelles que dans le sous-sol du Soleil et d'autres étoiles. Cela a été rendu possible en mélangeant les isotopes d'hydrogène, le deutérium et le tritium, et en les chauffant jusqu'à des millions de degrés par l'explosion d'une faible charge atomique à l'intérieur de la munition principale. Toutefois, la munition Ivy Mike n'était pas une bombe à proprement parler car elle était trop encombrante — de la taille d'une maison de deux étages, elle pesait 82 tonnes.
Les «crevettes» utilisaient pour la première fois en tant que combustible thermonucléaire du deutérure de lithium, qui se trouvait dans une enveloppe d'uranium appauvri. La puissance prévue de la munition était comprise entre 4 et 8 mégatonnes. Néanmoins, son explosion a dépassé toutes les attentes. Castle Bravo a explosé comme 15 millions de tonnes de tolite. Les observateurs dans le bunker ont décrit l'effet de l'explosion comme un puissant séisme ayant fait trembler l'abri. Le champignon était bien plus volumineux qu'Ivy Mike: 60 km de haut avec un diamètre du «chapeau» de 100 km, et un diamètre du «tronc» de 7 km. L'explosion a provoqué des destructions plus importantes, changeant à tout jamais l'apparence de l'atoll de Bikini.
La réponse de l'URSS
La première bombe H soviétique a explosé sur le polygone de Semipalatinsk le 12 août 1953 — moins d'un an après la bombe américaine Ivy Mike. La puissance de la munition RDS-6s était bien inférieure à celle des USA: près de 0,4 mégatonne. En revanche, elle était bien plus compacte et pouvait facilement être embarquée à bord du Tu-16. Néanmoins, la bombe n'a pas été lancée par un appareil: elle a été fixée sur un mât spécial de 40 mètres de haut. A cinq mètres du mât a été installé un bunker renforcé enregistrant les paramètres de l'explosion. Au total, plus de 500 capteurs de mesure et d'enregistrement différents ont été installés dans les abris et à la surface. 16 avions ont filmé les essais.
Ces essais ont suscité une véritable panique aux États-Unis. Alors que les Américains disposaient d'une bombe de la taille d'un immeuble, l'URSS possédait une arme destructrice pouvant être embarquée dès le lendemain par un avion pour être larguée sur un ennemi. Par la suite, il a été possible d'augmenter la puissance de l'engin: la bombe compacte RDS-37 testée le 22 novembre 1955 a explosé en affichant une puissance de 1,6 mégatonne. Les scientifiques, les ingénieurs et les constructeurs soviétiques avaient franchi pour la première fois la barre d'une mégatonne.
On estime à juste titre que la bombe H la plus puissante de tous les temps est la Tsar Bomba à hydrogène AN602 de 58 mégatonnes conçue en URSS en 1954-1961. Ce monstre de 8 mètres pesant 26,5 tonnes a été testé le 30 octobre 1961 sur le polygone nucléaire de Soukhoï Nos à la Nouvelle-Zemble. La bombe a été transportée par le bombardier stratégique spécialement modifié Tu-95V. L'AN602 a été lancée à 10,5 km d'altitude pour exploser à 4.200 m. Durant ce délai, l'avion avait réussi à s'éloigner de 40 km mais il a tout de même ressenti l'onde de choc. Plus personne n'a revu depuis ce que ses pilotes ont pu observer de leurs yeux.
Les concepteurs de la Tsar Bomba ont prouvé que la puissance de l'arme thermonucléaire n'avait pratiquement pas de limites. Mais, heureusement, plus aucun pays du monde ne s'est risqué à tester une munition plus puissante. Des milliers d'essais nucléaires et thermonucléaires organisés par différents pays ont déjà infligé un sérieux préjudice à la planète. Chaque être vivant reçoit en moyenne 7 à 10 microsieverts par an à cause des essais. Toutefois, dans les lieux proches des polygones nucléaires — et ils sont nombreux — ces chiffres peuvent être bien plus élevés.