Les indépendantistes clament que, sur un corps électoral de plus de 5,5 millions d'électeurs, il y a eu une participation vérifiée de 42,3% (chiffre faible, mais qu'explique l'intervention de la police pour tenter de mettre fin au vote) et que sur ces électeurs, ils ont recueilli 90% d'approbation à l'indépendance. Ils estiment sortir renforcés de l'épreuve de force tandis que le gouvernement de Madrid, et le Premier-ministre M. Rajoy en particulier, apparaissent affaiblis. Mais, ce dernier s'obstine, et peut compter aujourd'hui sur une mobilisation des anti-indépendantistes, que ce soit en Catalogne ou dans le reste de l'Espagne. La situation apparaît donc comme explosive, et ce d'autant plus que le gouvernement catalan pourrait se décider dans les prochains jours à proclamer unilatéralement l'indépendance.
La question de la sortie de cette crise se pose avec aujourd'hui une acuité toute particulière. De nouveaux dérapages pourraient conduire à une guerre civile. Il convient de rappeler ici certains principes qui devraient guider l'action des uns et des autres.
Quelle légalité?
On a beaucoup dit que ce référendum était «illégal», et que ce simple fait justifiait la répression massive qui a été employée. C'est ici faire très profondément erreur. En effet, la «légalité» ne peut servir de boussole dans cette situation. Non que l'état de droit ne soit pas une chose importante, mais il convient de ne pas oublier que le droit peut opprimer tout autant que libérer. On rappelle ici les études de cas qui sont proposées dans l'ouvrage de David Dyzenhaus, The Constitution of Law. À plusieurs reprises, l'auteur évoque ses propres analyses des perversions du système légal de l'Apartheid (2) en rappelant que cette jurisprudence avilissante tenait moins aux convictions racistes des juges sud-africains qu'à leur « positivisme», soit leur fascination obsessionnelle pour l'état de droit (3). La fidélité au texte tourne bien souvent à l'avantage des politiques gouvernementales quelles qu'elles soient.
Un conflit de souveraineté
La question de la souveraineté est ici au cœur même de cet affrontement. Il faut le comprendre, et comprendre donc la centralité de cette notion, ce que, à l'évidence, et M. Rajoy et M. Macron ne sont pas capables de faire. À l'évidence, on a un ici conflit entre la souveraineté espagnole et la souveraineté, ou du moins son aspiration, catalane. Mais, la souveraineté renvoie à la notion de peuple. Car, c'est le peuple la source de toute souveraineté.
La nécessité d'un double compromis
Dans ces conditions, et tenant compte de ce qui s'est passé ce 1er octobre, quelles sont les conditions probables pour une sortie démocratique de la crise actuelle? Car, et il faut en être conscient, cette crise peut dégénérer dans les mois qui viennent en une guerre civile.
Un second compromis porte sur le pouvoir à Madrid. M. Rajoy est aujourd'hui discrédité, que ce soit au niveau national ou international. Il doit donc se retirer si l'on veut que la tension baisse significativement entre Madrid et les catalans. Son retrait pourrait être l'occasion d'appeler à de nouvelles élections générales dont l'un des thèmes devrait être « dans quelle Espagne voulez-vous vivre ». On sent bien la nécessité de refonder le Pacte national. Cette refondation doit passer à la fois par la conférence constitutionnelle et une consultation de tous les espagnols.
Ces deux compromis pourraient ouvrir la voie à une solution pacifique et démocratique. Elle donnerait une ultime chance de refonder le Pacte national espagnol, et donc de préserver l'intégrité territoriale de l'Espagne. Elle laisserait surtout, et c'est le principal, le dernier mot au peuple.
(1) http://www.lcp.fr/afp/catalogne-macron-soutient-rajoy
(2) Dyzenhaus D, Hard Cases in Wicked Legal Systems. South African Law in the Perspective of Legal Philosophy, Oxford, Clarendon Press, 1991.
(3) Dyzenhaus D., The Constitution of Law. Legality In a Time of Emergency, op.cit., p. 22.
(4) Bodin J., Les Six Livres de la République, (1575), Librairie générale française, Paris, Le livre de poche, LP17, n° 4619. Classiques de la philosophie, 1993.
(5) Schmitt C., Théologie Politique, traduction française de J.-L. Schlegel, Paris, Gallimard, 1988; édition originelle en allemand 1922, pp. 8-10.
(6) Lukacs G., Histoire et conscience de classe. Essais de dialectique marxiste. Paris, Les Éditions de Minuit, 1960, 383 pages. Collection « Arguments »
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