Il s'agit de la 12e version de la munition principale de la composante aérienne des forces de dissuasion stratégique du Pentagone, dont le premier test remonte à 2015. Les bombes ont été lancées par des chasseurs légers F-16 et F-15E, et non par des bombardiers stratégiques lourds, ce qui signifie que les Américains ont réussi à transformer leurs avions tactiques — qu'ils ont par milliers — en vecteurs à part entière de l'arme nucléaire. Où ces bombes peuvent-elles être utilisées et représentent-elles une menace pour la Russie?
Une illusion de sécurité
La mise au point d'une nouvelle version de cette arme reflète l'intention des USA de moderniser leur arsenal d'armes tactiques nucléaires. La particularité de la 12e version de la B61 est son empennage et son système de navigation, qui permettent de rendre la bombe guidée et plus précise en vol pour la lancer à une distance éloignée de la cible, et non directement au-dessus d'elle. Le programme de modernisation prévoit essentiellement une modification des anciennes versions. De la même manière, les Américains ont ajouté de nouvelles capacités opérationnelles aux bombes à chute libre en les modernisant dans le cadre du programme JDAM pour en faire des bombes guidées. Une autre particularité de la B61-12 est sa construction renforcée, qui permet de la transporter sur les attaches extérieures des avions supersoniques. Les nouvelles bombes devraient faire partie de l'arsenal des chasseurs furtifs F-35 et F-22, mais l'installation des munitions en dehors des compartiments intérieurs réduit considérablement leur furtivité et vitesse. La mise en service de la 12e version n'est pas attendue avant 2019-2020.
D'un coup
Par ailleurs, certains experts militaires doutent que la nouvelle arme nucléaire puisse représenter une menace pour un État technologiquement développé. Pour se rendre dans la zone visée, l'avion devra très certainement franchir la défense antiaérienne de l'ennemi et quelle que soit la portée de la B61-12, elle reste inférieure à celle des missiles sol-air. Par conséquent, l'avion qui la transporte risque d'être abattu.
«Si un État possède des armes de pointe et des radars capable de détecter un avion près de leur frontière, ce dernier n'atteindra pas sa cible, a déclaré le politologue Sergueï Soudakov, professeur à l'Académie des sciences militaires et spécialiste des USA. La Russie dispose de tels moyens avec ses systèmes antiaériens S-300, sans parler des S-400. Abattre un avion n'est pas un problème. La conservation de ces bombes en Europe est plutôt une démarche politique. De cette manière, les USA apportent un soutien moral à leurs alliés de l'Otan. Les B-61 ne représentent pas une menace directe pour nous. Mais ils peuvent représenter une menace indirecte.»
D'après l'expert, l'élaboration de la 12e version de la bombe nucléaire vise plutôt les pays qui ne représentent pas de sérieuse menace à l'aviation stratégique et tactique des USA. On pense, par exemple, à la Corée du Nord, dont le noyau de la défense antiaérienne est constitué des systèmes antiaériens soviétiques S-75, S-125 et S-200. De plus, l'armée de l'air de ce pays dispose d'au moins huit missiles sol-air KN-06, présentés pour la première fois pendant un défilé à Pyongyang en 2012 mais dont les caractéristiques techniques sont inconnues. De toute façon, ils ne sont pas à même de faire face à l'armada aérienne américaine.
«Supposons qu'une bombe nucléaire tombe sur la capitale nord-coréenne, explique Sergueï Soudakov. Il est fort probable qu'après cela le régime de Kim Jong-un cesse d'exister. Il est très tentant de régler d'un coup un conflit qui perdure depuis des années. Mais le nuage radioactif de l'explosion pourrait se déplacer en direction de l'Extrême-Orient russe — quelques dizaines de kilomètres séparent Pyongyang de la frontière russe. Et, dans ce cas, cela affecterait la Russie. Actuellement, la rose des vents ne dispose pas à un tel scénario, mais on ignore ce qu'il en sera à terme. Ce n'est pas un scénario si fantastique. Au tout début de l'invasion américaine en Afghanistan en 2001 le secrétaire d'État Colin Powell suggérait d'utiliser l'arme nucléaire tactique contre les talibans. Heureusement, il n'a pas été soutenu à l'époque. Sinon le sud de la Russie aurait pu être significativement touché par les retombées radioactives. Nous ne devons donc pas craindre les bombes en elles-mêmes, mais l'éventualité que les Américains frappent nos voisins. Il faut employer tous les efforts diplomatiques pour empêcher une telle catastrophe.»
Le rédacteur en chef du magazine russe Défense nationale Igor Korottchenko n'est pas de cet avis et pense que la nouvelle version de la B61 pourrait être «potentiellement une arme d'agression contre la Russie». Selon lui, la configuration et les scénarios des manœuvres de l'Otan près des frontières russes parlent en faveur de cette version.
«Pendant ses exercices réguliers, y compris dans les eaux de la mer Baltique, l'armée de l'air des pays de l'Otan a plusieurs fois travaillé des missions prévoyant des frappes nucléaires tactiques contre des sites au nord-ouest de la Russie, a déclaré Igor Korottchenko. Trois bases aériennes améliorées ont été réaménagées en Lituanie, en Lettonie et en Estonie pour accueillir l'aviation tactique de l'Otan. En cas d'aggravation de la situation militaro-politique, des unités conséquentes de l'aviation de l'Alliance pourraient y être projetées.»
Néanmoins, cette menace peut encore être parée. Les missiles tactiques Iskander-M basés dans la région russe de Kaliningrad peuvent atteindre ces bases avec une forte probabilité. Et la 6e armée des forces aérospatiales russes, qui protège le ciel à la frontière ouest de la Russie, est l'une des plus puissantes unités militaires du pays.