Les parties libyennes en conflit, qui dure depuis 2011, ont relancé le processus de paix. Le 30 juillet, le chef du gouvernement d'entente nationale (GEN) Fayez al-Sarraj s'est rendu en Algérie où il a parlé au premier ministre Abdelmadjid Tebboune de son entretien avec Khalifa Haftar, chef de l'armée nationale libyenne, à Paris le 25 juillet. Selon le quotidien RBC.
L'initiative de Paris a préoccupé l'Italie, qui occupe traditionnellement les premières positions dans les efforts pour rétablir la paix dans son ancienne colonie d'Afrique du Nord. Le ministre italien des Affaires étrangères Angelino Alfano a soutenu l'initiative de Macron, tout en indiquant que «les formats, les médiateurs et les initiatives sont devenus trop nombreux» dans le conflit libyen. Les politiciens de l'opposition italienne ont perçu les négociations à Paris comme une tentative de la France de priver l'Italie de son rôle traditionnel de principal médiateur dans les affaires libyennes.
Une Libye divisée
Après le renversement du dirigeant libyen Mouammar Kadhafi en 2011 le pays n'a pas réussi à établir un gouvernement central: le pouvoir se trouve entre les mains de plusieurs groupuscules. L'ouest du pays est contrôlé par le GEN créé en décembre 2015 sous l'égide de l'Onu et basé à Tripoli sous la direction de Fayez al-Sarraj. Il est soutenu par les pays occidentaux, ainsi que par la Turquie et le Qatar. A l'est et en partie dans le sud le pouvoir est détenu par la chambre des représentants de Libye élue en 2014, connue comme le «gouvernement de Tobrouk». Ce dernier est soutenu par l'Armée nationale libyenne sous le commandement du maréchal Khalifa Haftar, appuyé par les Emirats arabes unis et l'Egypte.
La Russie, étant membre du Conseil de sécurité des Nations unies, soutient officiellement le gouvernement de Tripoli et prône un règlement diplomatique du conflit. Cependant, Moscou est activement en contact avec Haftar, qui s'est rendu plusieurs fois à Moscou depuis un an, et en janvier 2017 il a rencontré le ministre russe de la Défense Sergueï Choïgou à bord du porte-avions Amiral Kouznetsov.
Hormis les deux gouvernements, il existe en Libye plusieurs groupes de rebelles qui créent des alliances situationnelles et contrôlent une partie des ressources pétrolières. Certains territoires au sud-ouest du pays à la frontière avec l'Algérie sont contrôlés par les minorités ethniques: les Touaregs et les Berbères. Les nomades vivent en autonomie et ne souhaitent pas négocier avec les autorités de Tripoli et de Tobrouk.
La bataille pour l'Afrique
L'Italie poursuit plusieurs objectifs en Libye. Rome souhaite régler la situation dans le pays car c'est depuis la Libye qu'arrivent depuis plusieurs années en Italie des migrants clandestins en traversant la Méditerranée. Pendant des années cet itinéraire était central pour les réfugiés d'Asie et d'Afrique. D'après l'agence Frontex, en janvier-juin 2017, 85.000 clandestins sont arrivés en Italie par la mer, soit près de 80% du flux de réfugiés en Europe.
Sans oublier les intérêts économiques considérables de l'Italie en Libye. «C'est notre principal actif en termes de production de pétrole. Depuis 2010, malgré tout, nous arrivons à maintenir la production à hauteur de 300.000 barils par jour», a déclaré en juillet Claudio Descalzi, directeur exécutif de la compagnie italienne Eni. D'après lui, les investissements en Libye sont un «actif à haut risque», mais la compagnie souhaite y rester à long terme.
Eni exploite en Libye le gisement d'al-Fil au sud-est du pays en partenariat avec la compagnie pétrolière nationale NOC, monopoliste d'Etat.
Plusieurs pays ont leurs intérêts économiques en Libye, qui plus est les grandes puissances de la Méditerranée, indique Oleg Boulaev du Centre d'études arabes et islamiques à l'Institut d'études orientales affilié à l'Académie des sciences de Russie. Ces dernières années la situation en Libye se présente comme imprévisible en termes de fragilité de tout accord conclu. Toutefois, d'après l'expert, bien que la diplomatie italienne n'ait pas obtenu de succès réel dans le règlement du conflit, il est trop tôt pour dire que Paris prend le leadership à Rome: il faut attendre des résultats réels pour évaluer la contribution française au processus de paix.
Une enclave féodale
La Libye fait partie des cinq pays africains membres de l'Opep. D'après les informations du cartel pour 2016, les exportations du pétrole libyen s'élevaient à 9,3 milliards de dollars, soit près de 77% de l'ensemble des exportations libyennes. Cependant, ces chiffres ne reflètent pas la situation dans le secteur pétrolier libyen pour l'année dernière, quand le niveau de production moyen était de 390.000 barils par jour, soit quatre fois de moins par rapport aux indices d'avant-guerre. A la fin du règne de Kadhafi le pays produisait environ 1,6 million de barils par jour, dont plus de 1,1 million de barils par le monopoliste public NOC et ses nombreuses filiales. La Libye et le Nigeria n'ont pas adhéré aux engagements de réduire la production de l'Opep de l'an dernier.
La NOC a été fondée en 1970 et à l'époque de Kadhafi elle contrôlait plus des deux tiers de la production pétrolière. Le holding possédait entièrement ou partiellement les corporations pétrolières régionales. Après la reprise de la guerre civile en 2014 le réseau de la NOC s'est scindé en deux.
Seulement deux ans plus tard, en juillet 2016, la direction des parties est et ouest de la NOC a réussi à s'entendre sur l'unification de la compagnie. Le siège de la compagnie unifiée s'est installée à Benghazi, à l'est du pays, sous la présidence du directeur de la moitié ouest Mustafa Sanalla, alors que le chef de l'autre parti, Naji al-Maghrabi, est entré au conseil d'administration du consortium unifié.
Au printemps 2017, la production a diminué à nouveau jusqu'à 500.000 barils par jour, mais depuis fin avril elle reprend et s'élève en juin à 852.000 barils par jour — pratiquement la moitié du niveau d'avant-guerre.
Dans la liste des partenaires de la NOC pour l'exploration et l'exploitation figurent 23 compagnies étrangères — tous les plus grands groupes européens, ainsi que des compagnies russes, américaines et asiatiques. Les principaux gisements au sud-ouest du pays sont contrôlés par les Européens. Hormis la collaboration avec Eni à al-Afil, la NOC exploite le gisement de Charara avec un conglomérat de compagnies européennes — l'espagnole Repsol, la française Total, l'autrichienne OMV et la norvégienne Statoil. Alors que le principal gisement de l'est, Sarir, n'est exploité que par AGOCO, une filiale à 100% de la NOC.
La baisse de production pendant la guerre, sa reprise et les perturbations dépendent directement de la situation autour des gisements. Par exemple, fin août 2016 la compagnie AGOCO a annoncé le retour d'investisseurs étrangers dans le pays après une étude de la sécurité dans la région. Après cela, pour la première fois depuis 18 mois, a été relancé le gisement de Sarir, l'un des plus grands dans le pays, qui apportait en octobre déjà 320.000 barils par jour.
Alors que la baisse de printemps s'expliquait par les affrontements près de la région pétrolière de Mazrouk au sud-ouest du pays, où se trouvent deux autres grands gisements: Charara et al-Fil. Des affrontements y ont eu lieu entre les partisans des autorités de Tripoli et de Tobrouk. En parallèle, comme l'a déclaré le directeur de la NOC Mustafa Sanalla, le travail sur le site a été suspendu à cause d'une mutinerie du service de sécurité des sites pétroliers libyens (PFG). En mai la production de Charara et d'al-Fil a complètement repris pour afficher une hausse.
En juin 2017, Sanalla a publié un article dans le New York Times pour critiquer non seulement les gardiens du PFG, les qualifiant de «féodaux provinciaux», mais également tous les belligérants qui empêchent par leurs actes de relancer le secteur crucial du pays. Sanalla souligne que de 2013 jusqu'en septembre 2016 les combattants du PFG bloquaient pratiquement tous les principaux ports pétroliers libyens pour obtenir de l'argent et le pouvoir politique. «Cela a coûté au pays plus de 120 milliards de dollars de perte et la majeure partie des réserves financières», a noté Sanalla.
Tous unis par le pétrole
Les forces de Haftar contrôlent la plupart des ports libyens et tous les terminaux destinés à exporter le pétrole. Néanmoins, il ne peut pas vendre le pétrole légalement, car la résolution du Conseil de sécurité des Nations unies réserve ce droit au gouvernement «officiel» de Tripoli.
La position du directeur de la NOC est logique en tant que volonté du haut responsable d'assurer la rentabilité et l'expansion de la présence sur le marché, déclare Maxim Soutchkov. «Mais les tentatives d'unir la Libye sur le pétrole ont également des prémisses objectives — il n'est pas facile pour les compagnies étrangères d'exploiter ce marché sans la stabilité et la sécurité nécessaires», a-t-il expliqué. D'après l'expert, l'argument de Sanalla pourrait être un «facteur dégrisant» pour les belligérants, mais certainement pas une «base de réconciliation».
Les perspectives russes
Parmi les acteurs pétroliers russes qui travaillaient auparavant sur le marché libyen, la plupart ont suspendu leur activité. Rosneft a été la première à relancer les achats de pétrole. La compagnie a commencé à acheter et à exporter le pétrole en 2017, comme l'a annoncé le 10 juillet le directeur de la NOC. Selon Sanalla, un contrat d'un an a été signé avec Rosneft. «Ils prennent du pétrole en fonction de la production. Un à deux chargements par mois», a précisé le directeur de la NOC. Et d'ajouter que les deux compagnies ont créé un comité technique pour étudier une éventuelle coopération dans l'exploration, l'exploitation, le transport et le commerce de pétrole. En février, à Londres, dans les couloirs de la semaine IP Week, Sanalla et le patron de Rosneft Igor Setchine ont signé un accord-cadre pour la coopération posant les bases pour les investissements de la compagnie russe dans le secteur pétrolier de la Libye.
Cependant, Gazprom et Tatneft figurent sur la liste des partenaires sur le site de la NOC, tandis que Rosneft n'y est pas. Une source de cette dernière confirme la présence d'un contrat en vigueur sur l'achat de pétrole en Libye, sans préciser la quantité d'achat ni son délai. Elle explique que l'apparition de Rosneft dans la liste des partenaires de la compagnie libyenne n'est qu'une question de temps.
Tatneft n'a pas l'intention de relancer la production en Libye jusqu'à la stabilisation à part entière de la situation dans le pays, a déclaré le 23 juin pendant la réunion annuelle des actionnaires de la compagnie son président Naïl Maganov: «Tout est clair avec la Syrie et la Libye. Tous les travaux sont suspendus jusqu'à la stabilisation de la situation politique dans ces régions». Tatneft a travaillé en Libye par concession pendant 9 ans, de 2005 jusqu'à la reprise de la guerre civile en 2014.
La filiale de Gazprom, Gazprom International, travaillait en Libye sur quatre projets d'exploration géologique sur le plateau et à la surface. Selon un représentant de la compagnie, la plupart de ces travaux sont gelés actuellement. Mais le projet conjoint de la compagnie avec l'allemande Wintershall en Libye pour l'exploration et l'exploitation du pétrole sur les projets de la concession C96 et C97 (la filiale de Gazprom détient 49% du projet) exploite une certaine quantité de pétrole qui est exportée quand la Libye ouvre les frontières. La production a pu reprendre en septembre 2016 sur le gisement al-Sarah à hauteur de 35.000 barils par jours. Les exportations partent du port de Zueitina, près de Benghazi.
La compagnie Lukoil a entièrement fermé ses projets en Libye et ne compte pas les relancer, a noté un représentant de l'entreprise. Les compagnies comme Rostec et NOVATEK n'exercent aucune activité non plus en Libye — temporairement la représentation de Rostec ne fonctionne pas dans ce pays, indique un communiqué de Rostec.
Les opinions exprimées dans ce contenu n'engagent que la responsabilité de l'auteur de l'article repris d'un média russe et traduit dans son intégralité en français.