L'Otan intervient dans la querelle entre Berlin et Ankara

© AFP 2024 Tobias SchwarzNato-Generalsekretär Jens Stoltenberg und Bundeskanzlerin Angela Merkel
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L'Otan tente d'apaiser la tension au bord d'un conflit entre la Turquie et l'Allemagne. La semaine dernière, le secrétaire général de l'Alliance Jens Stoltenberg a proposé de devenir médiateur dans l'organisation d'une visite de députés allemands à la base aérienne turque de Konya.

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Les autorités turques n'ont pas encore réagi à cette proposition. Alors qu'en Allemagne, à deux mois des législatives, la confrontation avec Ankara est devenue l'un des thèmes centraux de la campagne électorale. Le thème des relations avec la Turquie est d'autant plus pertinent après deux incidents tragiques survenus récemment — l'attentat dans un supermarché de Hambourg et la fusillade dans un club de nuit à Constance. Dans les deux cas les malfaiteurs étaient des migrants de pays islamiques — Emirats arabes unis et Irak. Etant donné que le flux principal des migrants arrivés en Allemagne a transité par la Turquie, la rupture avec cette dernière pourrait engendrer des difficultés supplémentaires pour Berlin dans les tentatives de restreindre le nombre de migrants.

Un nouvel acteur se joint au règlement du conflit diplomatique qui a éclaté entre la Turquie et l'Allemagne, comme en témoigne la déclaration de Jens Stoltenberg. La semaine dernière, il a proposé d'aides les députés allemands à visiter la base militaire turque de Konya: des soldats allemands participant à l'opération de l'Alliance contre les terroristes islamiques en Syrie voisine y sont déployés, mais les autorités turques ont refusé aux députés allemands le droit de rendre visite à leurs concitoyens.

«Le secrétaire général tente de trouver une solution et propose d'organiser une visite pour les députés à la base aérienne de Konya au sein d'une délégation de l'Otan», a déclaré le porte-parole de l'Alliance Piers Cazalet, en rappelant que la base de Konya était «vitale» pour la lutte contre le terrorisme. Ankara n'a pas encore donné une réponse officielle. Le ministère turc des Affaires étrangères a déclaré ne faire aucun commentaire à ce sujet. Par ailleurs, le membre de la délégation turque au sein de l'Assemblée parlementaire de l'Otan Aydın Ünal, député du parti Justice et Développement, a déclaré que son pays était prêt à accueillir les députés allemands «si tout se déroulait dans le cadre légal et conformément au traité de l'Otan». Et d'ajouter: «Mais c'est à notre président et au premier ministre de prendre une décision définitive».

Sachant que plus tôt Berlin a déjà décidé de retirer son contingent d'une autre base militaire en Turquie — Incirlik. Et ce, pour la même raison: les autorités du pays refusaient aux députés allemands le droit de visiter l'aérodrome.

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Rappelons que le 2 juin 2016 les députés allemands ont reconnu le génocide arménien par l'Empire ottoman. Le jour même la Turquie a rappelé son ambassadeur en Allemagne pour des consultations. Dans la nuit du 15 au 16 juillet une tentative de coup d'Etat a été perpétrée en Turquie. Par la suite, 35 diplomates turcs ont demandé leur asile en Allemagne, et Ankara a accusé Berlin de soutenir les organisateurs du coup d'Etat. En août, le vice-chancelier allemand Sigmar Gabriel a exigé de la Turquie de cesser le chantage de l'Europe par l'ouverture de la frontière aux migrants afin d'obtenir un régime sans visa. En mars 2017, près de 30.000 Kurdes en Allemagne ont manifesté contre le référendum en Turquie. Ankara a exprimé une protestation. Le même mois l'Allemagne a annulé les rassemblements avec la participation du ministre turc de la Justice Bekir Bozdag et du ministre de l'Economie Nihat Zeybekci. Recep Tayyip Erdogan l'avait comparé aux «agissements du temps des nazis». En mai, la Turquie a annulé la visite des députés allemands à la base aérienne d'Incirlik, après quoi Angela Merkel a déclaré que les militaires en seront transférés en Jordanie.

Toutefois, même si la médiation de l'Otan était efficace, le conflit entre Berlin et Ankara ne serait pas clos. Depuis mi-juillet les relations se sont détériorées à tel point que l'ambassadeur turc a été convoqué par le ministère allemand des Affaires étrangères. La police turque a arrêté au total 22 citoyens allemands soupçonnés de complicité avec les terroristes, dont 9 restent en détention.

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Une attention particulière a été attirée par l'interpellation d'activistes et d'employés de l'ONG Amnesty International, dont le militant allemand Peter Steudtner. Après cela le ministre allemand des Affaires étrangères Sigmar Gabriel a annoncé la révision de la politique de Berlin vis-à-vis d'Ankara. Sachant qu'il n'était plus uniquement question d'attaques verbales: le ministre a averti que le gouvernement allemand «ne peut plus garantir les investissements en Turquie» (ce qui signifie que les entrepreneurs allemands ne pourront pas obtenir de l'Etat des indemnisations d'assurance pour leurs investissements dans ce pays), tout en appelant les concitoyens à faire preuve de prudence lors des voyages en Turquie. Dans ces conditions, selon un sondage de Spiegel Online, 92% des Allemands interrogés ont déclaré qu'ils ne partiront pas en vacances en Turquie malgré la saison.

Selon le politologue Timour Akhmetov, expert du Conseil russe pour les affaires internationales, qui réside à Ankara, l'intervention de Jens Stoltenberg pourrait pousser la Turquie à accepter la visite des députés, mais pas dans l'immédiat.

«Si Ankara laissait entrer les députés tout de suite, le retournement à 180 degrés de la position des autorités pourrait sérieusement nuire à l'image du parti au pouvoir et du gouvernement, estime le politologue. Cela signifierait que toute la confrontation précédente était vaine.»

Et de poursuivre: les autorités turques pensent que la position de Berlin s'explique par des raisons politiques internes — les législatives qui approchent. «Les citoyens turcs ordinaires ne comprennent vraiment pas pourquoi l'Allemagne et les autorités de l'UE critiquent leur pays pour les méthodes choisies pour lutter contre le terrorisme, déclare Timour Akhmetov. La menace émanant du mouvement du prédicateur islamique Fethullah Gülen (considéré par Ankara comme l'inspirateur de la tentative de coup d'Etat militaire du 15 juillet 2016), selon eux, est parfaitement réelle.» Le président turc Recep Tayyip Erdogan a réagi à ces accusations en accusant à son tour Berlin du «deux poids deux mesures», de pression et de menaces, et a déclaré que l'Allemagne «envoie d'abord des espions dans le pays, puis se plaint de leur arrestation».

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Le porte-parole du président turc, Ibrahim Kalyn, a été le premier à déclarer que la critique d'Ankara par le ministre allemand des Affaires étrangères social-démocrate Sigmar Gabriel pouvait ne pas être orientée uniquement sur la politique étrangère. «De telles déclarations sont dues aux prochaines élections et à la tentative de faire passer le débat au niveau politique intérieur, a-t-il affirmé. C'est actuellement à la mode en Allemagne, les auteurs de telles déclarations pensent qu'ils peuvent ainsi marquer des points politiques.»

A deux mois des législatives prévues pour le 24 septembre en Allemagne, la confrontation avec Ankara s'est effectivement transformée en l'un des principaux thèmes de la campagne électorale. Le leader des sociaux-démocrates Martin Schulz a exigé de la chancelière Angela Merkel non seulement de condamner fermement Ankara, mais également de cesser d'ignorer un autre problème — l'affluence incessante de réfugiés et de migrants clandestins dans le pays. Selon les informations officielles, au premier semestre 2017 deux fois moins de réfugiés ont été enregistrés en Allemagne par rapport à la même période en 2016, et huit fois moins qu'en 2015. Cependant, cela représente tout de même plus de 90.000 personnes. Encore 111.000 personnes ont déposé de nouvelles demandes d'asile.

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Le thème des relations avec la Turquie est d'autant plus actuel au vu de deux récents incidents tragiques. Vendredi, un Palestinien né aux EAU, a attaqué au couteau les clients d'un supermarché à Hambourg en faisant un mort et sept blessés tout en criant «Allah Akbar». Et le weekend dans la ville de Constance un ressortissant d'Irak a tué une personne et en a blessé trois en ouvrant le feu dans un club de nuit. Dans le premier cas il est question d'un migrant illégal à qui l'asile a été refusé en Allemagne en 2016 déjà. Dans le second cas — un migrant qui vivait à Constance depuis 15 ans et, de toute évidence, qui n'a pas commis son crime pour des motivations islamistes. Néanmoins, dans les deux cas les malfaiteurs étaient originaires de pays islamiques, et de tels cas de violence peuvent alimenter les sentiments anti-migratoires en Allemagne.

Etant donné que le flux principal de réfugiés arrivés en Allemagne transitait par la Turquie, la rupture avec ce pays pourrait engendrer des difficultés supplémentaires dans les tentatives de limiter le nombre de migrants. Aucun des candidats à la chancellerie ne peut se permettre de se brouiller complètement avec Ankara.

«En dépit de tous les différends, la Turquie reste un partenaire important pour l'Allemagne, notamment dans les domaines comme la politique de sécurité, la lutte contre le terrorisme, la politique d'asile et la coopération économique», rappellent dans leur dernière note analytique les experts de la DGAP, Société allemande de politique étrangère.

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Néanmoins, la tentative de jouer sur le thème sensible pour les électeurs d'affluence de réfugiés et des relations avec Ankara peut contribuer à la popularité des sociaux-démocrates. Sachant que l'objectif des déclarations dures des sociaux-démocrates concernant l'échec de la politique de la chancelière dans le domaine migratoire ne vise pas tant à attirer de nouveaux adeptes du SPD, mais plutôt à faire baisser les votes pour la CDU, même si c'est au profit du parti populiste de droite et anti-immigration Alternative pour l'Allemagne.

«Avec la popularité du SPD de 22-25% la seule possibilité pour Gabriel et Schulz pour rester au pouvoir consiste à préserver une grande coalition avec la CDU sous la direction d'Angela Merkel», écrit le quotidien Frankfurter Allgemeine Zeitung. Il serait plus facile pour les sociaux-démocrates de conclure un accord de coalition avec la CDU affaibli.

Les opinions exprimées dans ce contenu n'engagent que la responsabilité de l'auteur de l'article repris d'un média russe et traduit dans son intégralité en français.

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