Aujourd'hui autour du monde, c'est la Journée non-officielle de l'astéroïde consacrée au danger que représentent ces objets cosmiques pour notre planète. Cet événement se réfère à la chute de la météorite de la Toungouska en Sibérie le 30 juin 1908. L'idée de cette journée revient au cinéaste Grigori Rikhter et à Brian May, astrophysicien britannique et guitariste de Queen.
Alexandre Rodine, planétologue et directeur de l'École physique et technique de technologies aérospatiales auprès de l'Institut de physique et de technique de Moscou, explique pourquoi cette menace «spatiale» est actuellement prise au sérieux et étudiée non seulement par les hommes politiques, mais aussi par les chercheurs.
Sputnik: Compte tenu de l'approche médiatique habituelle de la menace des astéroïdes et du rapprochement de grandes météorites de la Terre, peut-on affirmer que ce danger est réel et qu'il faut l'étudier?
Une collision éventuelle entre la Terre et un grand astéroïde est justement un «black swan» lourd de conséquences dévastatrices. Qui plus est, l'histoire montre que même si ces événements peu probables n'ont pas lieu, ils sont en mesure de changer le paysage politique et scientifique par la seule force de leurs répercussions possibles.
Par exemple, on sait que la Russie a vécu pendant 50 ans en état de guerre froide, qui définissait à l'époque la vie de pratiquement toute l'humanité. La menace d'une catastrophe nucléaire a permis d'éviter des guerres de grande envergure entre les principales puissances de la planète.
De la même manière, une collision catastrophique avec un astéroïde est très peu probable dans un avenir prévisible mais la compréhension de la possibilité d'un tel événement pourrait influer sur notre vie de manière très considérable. On ne peut donc pas ignorer ce problème.
— Je voudrais souligner que l'étude scientifique des astéroïdes constitue une autre classe de problèmes qui, elle aussi, se rapporte au danger des astéroïdes. Comme on le sait, des météorites — même assez importantes — atteignent de temps en temps la Terre.
Elles tombent d'habitude dans des régions non-peuplées car la population de notre planète est répartie de façon assez peu homogène. De ce point de vue, la météorite de Tcheliabinsk constitue une exception car sa chute a provoqué des conséquences bien qu'elle n'ait — heureusement — fait aucune victime.
Outre le côté pragmatique des observations des astéroïdes lié à des cas similaires, les étudier comporte un aspect purement scientifique également. Les astéroïdes sont les objets les plus faciles à étudier à l'aide des méthodes de contact. Leur masse, leurs dimensions et leur champ de gravitation sont assez peu importants et on peut donc y prélever des échantillons de sol pour les transporter sur la Terre.
Quoi qu'il en soit, ces missions constituent un progrès considérable en ce qui concerne la conception et la mise en pratique des technologies d'atterrissage sur des objets cosmiques, le retour depuis leur surface, voire le contrôle de leur trajectoire.
— Vous mentionnez notamment la question du prestige: la Russie est-elle capable d'envoyer des sondes vers des astéroïdes et lancera-t-elle de telles missions compte tenu du fiasco de Phobos-Grunt et des remaniements du programme spatial russe ces deux dernières années?
— Nous avons actuellement un programme approfondi d'étude de la Lune, dont la mise en œuvre a été reportée il y a quelques années. De tels projets suscitent bien sûr toujours de l'intérêt de la part de Roskosmos et d'autres entreprises, ainsi que des organisations scientifiques, notamment de l'Institut de recherches spatiales, de l'Institut d'astronomie et de l'Institut de géochimie de l'Académie des sciences de Russie.
Il faut cependant avoir conscience du fait que les études fondamentales du système solaire constituent actuellement un analogue aux sports à grands accomplissements. Il y a en effet un élément de prestige national, mais si l'on examine tous les projets récents on constate qu'ils sont internationaux.
De ce point de vue, la communauté scientifique en général et les chercheurs russes en particulier sont acteurs de ces processus: nos appareils scientifiques fonctionnent actuellement sur l'orbite et à la surface de Mars. Nous participons également à l'étude d'autres objets du système solaire.
La Russie pourrait en principe mener ou organiser elle-même de telles missions, mais je ne pense pas que cela corresponde à nos priorités technologiques et scientifiques, au moins à court terme. La Russie a des objectifs et des problèmes plus importants à résoudre.
— Ces dernières années, on constate aux États-Unis et dans certains autres pays un boom de l'astronautique privée et des projets envisageant une exploitation commerciale des astéroïdes. Le législateur américain a même récemment mentionné un amendement possible au Traité de l'espace pour que des entreprises puissent s'approprier des astéroïdes et des terrains à la surface d'autres planètes. Ces initiatives sont-elles légitimes?
— Il faut bien comprendre que cette question a plusieurs facettes. Ceux qui parlent du développement de l'aspect commercial de l'espace entendent souvent par là la participation d'entreprises privées ou partiellement publiques au fonctionnement de toute la chaîne technologique liée à l'exploitation de l'espace. Les États-Unis sont en effet leader dans ce domaine, et le problème a un caractère plus administratif que conceptuel en l'occurrence.
Une telle coopération entre les entreprises publiques et privées est une perspective réelle et se développera partout, y compris en Russie. En ce qui concerne l'extraction de matières premières des objets célestes ou d'autres moyens de les exploiter commercialement, il est encore trop tôt pour en parler.
C'est pourquoi il faut, à mon avis, attendre le moment où les astéroïdes susciteront l'intérêt des militaires. On pourra alors parler sérieusement de l'exploitation des astéroïdes et de l'extraction de matières premières qu'ils renferment. Je ne sais pas ce qui pourrait susciter cet intérêt et je ne veux pas en discuter.
Il existe aujourd'hui aux États-Unis plusieurs entreprises telles que Deep Space Industries et Planetary Resources qui avancent activement ce sujet. Mais, à mon avis, ils ne commercialisent pas tant l'extraction même des matières premières que l'intérêt du public pour l'espace.
— C'est certainement justifié et il nous faut développer ces technologies. Il faut bien comprendre qu'il s'agit de modifier la trajectoire des astéroïdes au lieu de les détruire en les morcelant, de la même façon que les systèmes DCA éliminent les avions ennemis.
Le fait est qu'on peut obtenir un résultat similaire et éviter une collision entre un astéroïde et la Terre à l'aide d'un changement très peu important de l'orbite de tel ou tel objet céleste. Inversement, on pourrait également corriger l'orbite des astéroïdes intéressants pour qu'ils soient plus faciles à étudier.
A mon avis, le contrôle du mouvement des objets célestes va être un domaine très important de recherches et a un avenir non seulement scientifique, mais aussi pratique. Ayant maîtrisé la conduite des appareils spatiaux artificiels, l'homme passera inévitablement à celle de la trajectoire des objets cosmiques naturels.
— Ces deux dernières années, on a vu apparaître des théories liant toutes les grandes extinctions de l'histoire de la Terre, causées par la chute d'astéroïdes et de comètes, à la rotation du système solaire autour du centre de la galaxie. Ces scénarios sont-ils, d'après vous, plausibles?
— A mon avis, de telles affirmations relèvent du n'importe quoi. La possibilité d'une collision entre la Terre et de grands astéroïdes et météorites capables d'éliminer la vie à sa surface n'est en aucune façon liée à de tels facteurs.
Des chutes de ces objets sur la Terre ont plus d'une fois suscité des modifications importantes du paysage biologique et des extinctions massives. C'est pourquoi il est inutile, d'après moi, d'ajouter des facteurs extrasolaires supplémentaires pour expliquer ces processus.