Lors du débat de l'entre-deux tours, l'opposant à Marine Le Pen, le candidat d'« En Marche! » a là encore employé ce terme dont il n'a pas le monopole, puisqu'il le partage avec Jean-Luc Mélenchon. Une expression qui surprend, tant les politiques internationales de ces deux présidents pouvaient parfois diverger.
Pascal Boniface, directeur de l'Institut de Relations Internationales et Stratégiques (IRIS), enseignant à l'Institut d'Études européennes de l'Université de Paris 8 et dont le dernier ouvrage s'intitule Je t'aimais bien, tu sais. Le monde et la France: le désamour? (Éditions Max Milo, 2017), répond à nos questions.
Sputnik: Lors du débat télévisé entre les deux candidats, Emmanuel Macron s'est réclamé d'une ligne « gaullo-mitterandienne » en matière de politique étrangère. Pourriez-vous nous dire ce que ce terme recouvre exactement? Car De Gaulle et Mitterrand n'avaient pas vraiment la même « approche » des relations internationales.
Pascal Boniface: « Si, ils ont eu une approche commune des relations internationales, mais une fois que Mitterrand a été élu Président, parce qu'initialement, effectivement, François Mitterrand lorsqu'il était dans l'opposition a critiqué la politique extérieure que mettait en place le général de Gaulle, qui s'éloignait de celle de la IVème République.
Sputnik: Comment comprendre ce qualificatif de « gaullo-mitterandien » dans le cadre des relations entre la France d'une part et les États-Unis et la Russie d'autre part? S'applique-t-il à la politique extérieure qu'envisage Macron et qui semble être dans la continuité de celle appliquée par François Hollande?
Pascal Boniface: « C'est quoi le "gaullo-mitterrandisme"? Avant tout, l'indépendance de la France, donc c'est de dire que la France est un pays occidental, mais qu'elle n'est pas qu'un pays occidental, qu'elle est beaucoup plus que cela et qu'elle doit avoir des relations d'amitié et même d'alliance et de partenariat avec d'autres pays.
Cela ne les a pas empêchés à de nombreuses reprises de critiquer très fortement la politique américaine, qu'il s'agisse de la politique de domination de l'Amérique latine par les États-Unis, par le Général de Gaulle. François Mitterrand en a fait de même, qu'il s'agisse de la politique des États-Unis au Proche-Orient, aussi bien de De Gaulle que de François Mitterrand, les deux ont soutenu la cause arabe et palestinienne ou qu'il s'agisse de la guerre américaine au Vietnam du temps du Général de Gaulle ou de certaines interventions américaines.
François Mitterrand s'est aussi très fortement opposé au programme d'Initiative de Défense Stratégique, baptisée "guerre des étoiles", dont on peut penser que l'actuel système de défense anti-missile que veut mettre en place Trump en Asie et qu'Obama a mis en place en Europe est la continuation. »
Sputnik: Emmanuel Macron ne se cache pas d'être soutenu par Barack Obama. En même temps, il a snobé une conférence à l'Assemblée nationale ou sept candidats à la présidentielle — ou leurs représentants — étaient venus présenter leur vision de l'avenir des relations franco-russes et des sanctions. Cette attitude peut-elle être qualifiée de « Gaullo-mitterrandienne »?
Je pense, personnellement, que François Hollande était moins allant dans le gaullo-mitterrandisme que ne l'ont été ses prédécesseurs et on verra si Emmanuel Macron redonne vigueur à cela. En tous les cas, le fait qu'il évoque la notion me paraît intéressant, car cela signifie entre autres que le gaullo-mitterrandisme n'est pas mort et que c'est bien un concept qui est opératoire même après la fin du monde bipolaire. »
Sputnik: Qu'en est-il de sa position vis-à-vis de l'Afrique et du Moyen-Orient? Vous avez évoqué la cause arabe et palestinienne tout à l'heure.
Pascal Boniface: « Là, on peut dire qu'il y a peut-être une petite contradiction de la part d'Emmanuel Macron, puisque dans un déplacement au Proche-Orient, il a dit qu'il ne reconnaîtrait pas unilatéralement l'État palestinien. Il a semblé prendre des positions, disons plus proches d'Israël que des Palestiniens, ce qui n'était pas le cas alors que De Gaulle par rapport aux pays arabes et Mitterrand — qui a été le premier président occidental à réclamer la création d'un État palestinien, à l'évoquer, et ce à la Knesset en 1982 — étaient plus allants sur cette cause-là.
Sputnik: Est-ce qu'Emmanuel Macron entend ressusciter la politique arabe de la France ou va-t-il rester sur la ligne actuelle, pro-israélienne et pro-pétromonarchies? Une ligne « Atlantiste » et « islamophobe » que vous dénoncez dans votre dernier ouvrage, comme nuisant à l'influence de la France.
Pascal Boniface: « Ecoutez, c'est au pied du mur qu'on verra le maçon. Rien ne l'obligeait à faire référence au Gaullo-mitterrandisme, donc il a pris en quelque sorte un engagement. Il a dans son entourage quelques personnes qui ne sont pas de cet avis, puisque certains d'entre eux ont soutenu la guerre d'Irak en 2003, ont réclamé des bombardements sur l'Iran par la suite, mais ils n'auront peut-être pas voix au chapitre, ils sont peut-être là juste dans l'entourage, ils ne seront pas décisionnaires.
Sputnik: Pour revenir sur la notion de « gaullo-mitterandisme », mais cette fois-ci à l'échelle de l'Europe, peut-on là-aussi parler de ligne « gaullo-mitterandienne », sachant que le Général de Gaulle et François Mitterrand avaient des visions différentes de la construction européenne? Dans quel héritage Emmanuel Macron se situe-t-il?
Pascal Boniface: « Il n'est pas certain qu'ils aient eu une conception si différente. Disons que l'époque n'a pas été la même, De Gaulle a connu une Europe a six et Mitterrand est arrivé Président le Royaume-Uni faisait déjà parti de l'Europe. Donc ce sont des temps tout à fait différents et disons que Mitterrand avait les mains moins libres parce que l'Europe avait plus de pays et que l'équilibre entre la France et l'Allemagne était très différent que du temps de De Gaulle.
Sputnik: Pensez-vous, comme près de 60 diplomates dans une tribune parue jeudi 4 mai dans le Figaro, qu'Emmanuel Macron soit le candidat le plus à même de redonner à la France sa stature internationale et à défendre ses intérêts, tant en Europe que dans le monde? Eux qui érigent en priorité pour un chef d'État « la capacité à mener une politique étrangère fidèle à notre histoire, mais adaptée aux réalités d'aujourd'hui. »
Pascal Boniface: « On peut dire que cette position des diplomates est autant un soutien à Emmanuel Macron qu'une opposition à Marine Le Pen, tant à sa personne qu'à son programme. »