Khan Cheikhoun, énième provocation ?

© AFP 2024 Omar haj kadourA Syrian man collects samples from the site of a suspected toxic gas attack in Khan Sheikhun, in Syria’s northwestern Idlib province, on April 5, 2017.
A Syrian man collects samples from the site of a suspected toxic gas attack in Khan Sheikhun, in Syria’s northwestern Idlib province, on April 5, 2017. - Sputnik Afrique
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Les chancelleries occidentales ont vivement réagi suite à l’attaque chimique supposée dans la province rebelle d’Idlib. Toutes accusent Damas, appelant à une réaction internationale et réunissant d’urgence le Conseil de Sécurité de l’ONU. Pourtant, la date de ce drame soulève quelques questions. Première d’entre elles, à qui profite le crime ?

Le Conseil de sécurité de l'ONU s'est à nouveau réuni cet après-midi, à la demande des États-Unis, de la France et de la Grande-Bretagne, suite à l'attaque présumée chimique qui aurait tué — dans la matinée du 4 avril — des dizaines de personnes à Khan Cheikhoun, une localité située à mi-parcours entre Homs et Idleb, du même nom que cette province rebelle vers laquelle les djihadistes d'Alep avaient été évacués fin 2016.

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En effet, malgré le démenti catégorique de l'armée syrienne d'avoir eu recours à toute substance chimique, Damas a immédiatement été pointée du doigt par les chancelleries occidentales qui entendaient soumettre un projet de résolution afin de diligenter une enquête conjointe des Nations Unies et de l'OIAC (Organisation pour l'interdiction des armes chimiques).

Pour le député socialiste Gérard Bapt, Président du Groupe d'Amitié France-Syrie de l'Assemblée Nationale, « on est encore une fois dans la précipitation, avant d'avoir pu analyser froidement les choses ». S'il n'a rien contre l'idée même d'une enquête internationale, il espère néanmoins que celle-ci s'avérera équilibrée et objective:

« J'espère que cette initiative ne va pas être orientée, comme elle l'est presque à chaque fois — même si on ne le dit pas — contre un seul camp. »

Une objectivité qui ne semble pas à l'ordre du jour. Hormis l'emballement quasi immédiat des médias et de la classe politique européenne, qui ont rivalisé d'imagination dans les superlatifs afin d'accabler Damas, la résolution américaine semblait-elle aussi tirer ses conclusions et ce avant même que l'enquête n'ait débuté. Un manque d'impartialité flagrant du texte qui a provoqué son rejet par la Russie. Un texte que Maria Zakharova a présenté comme « catégoriquement inacceptable » lors d'une conférence de presse, expliquant que le « défaut » du texte est « d'anticiper les résultats de l'enquête et de désigner des coupables. »

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Face à l'horreur de ce drame, que nous ne remettrons pas en cause, une question subsiste pourtant, une question toute simple voire « élémentaire », mais que personne ne semble pourtant se poser dans notre classe médiatique — que ce soit aujourd'hui ou depuis le début même de ce conflit, il y a plus de 6 ans — est cette question est la suivante: à qui profite le crime?

En effet, lorsqu'on regarde les dernières dates clefs du conflit syrien, on ne peut être qu'interpellé: l'attaque survient exactement une semaine après la fin d'un cinquième round de négociations entre l'opposition et le gouvernement syrien à Genève, lui-même rendu possible par la conférence Astana III, qui s'est déroulé il y a deux semaines. Les deux premières conférences dans la capitale Kazakhe ayant permis — sans le concours des occidentaux — d'établir et de consolider un fragile cessez-le-feu, en vigueur depuis la fin décembre en Syrie. Une question que semble justement s'être posée le député Gérard Bapt:

« Le régime n'avait aucun intérêt à provoquer ce scandale contre lui-même, la veille d'une réunion à Bruxelles, ou justement il était question d'associer des éléments du régime pour discussion. […] Dans la communauté internationale, la crainte était que le régime syrien ne se voit légitimé. »

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Car, toujours la tête dans notre calendrier, on notera que l'attaque survient pile au moment où se tient à Bruxelles un sommet, organisé sous la présidence conjointe de l'Union européenne (UE) et des Nations unies, et réunissant depuis mardi 70 pays et organisations internationales afin de parler de la Syrie de demain.

« Je pense que ça tombe à point nommé, non pas pour le régime, mais contre lui. » Notre député rappelant par la même occasion la prise de distance des États-Unis, avec le dossier syrien: « Les déclarations américaines ont été très claires aussi récemment, comme quoi la chute du régime n'était plus la priorité. Donc en fait tous ceux qui veulent la chute du régime: les Français et surtout les pays du Golfe et la Turquie sont bien embêtés, car il n'est plus question de renverser le régime. »

D'autant plus que cette attaque n'est pas sans rappeler celle de la Ghouta, qui avait bien failli provoquer l'intervention militaire des États-Unis et de ses alliés de l'OTAN, au premier rang desquels la France. Une attaque survenue deux mois après que Barack Obama n'ait défini sa fameuse « ligne rouge » à ne pas franchir, l'utilisation d'armes chimiques.

En somme, alors qu'on assistait à une désescalade, pourquoi Bachar al Assad qui avait tendance à se faire oublier ces dernières semaines aurait eu-il subitement envie de refaire la Une de tous les journaux?

Autre facteur qui plaide en faveur de Damas, le gouvernement syrien a détruit ses stocks d'armes chimiques après l'attaque de la Ghouta. Une destruction assurée par des observateurs internationaux de l'OIAC. Le 18 août 2014, Barack Obama lui-même s'était félicité, dans un communiqué, de la destruction en Méditerranée par « des prof6essionnels civils et militaires en utilisant un mécanisme américain unique en son genre » des armes chimiques possédées par Damas.

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La Ghouta, une attaque qui avait choqué l'opinion publique internationale, lorsque le 21 août 2013, plusieurs centaines de personnes trouvaient la mort dans les faubourgs de Damas. Un point de non-retour qui devait justifier le déclenchement d'une nouvelle guerre de l'OTAN. Pourtant l'attaque — malgré les affirmations occidentales — s'avéra avoir été menée depuis des positions rebelles… et ce n'est ni la diplomatie damascène ou moscovite qui le dit, mais un rapport du prestigieux Massachusetts Institute of Technology (MIT).

En revanche, les principaux responsables politiques français continuent de brandir le rapport final de l'ONU. Un rapport des inspecteurs onusiens, qui comme le soulignait Le Point début 2014, confirmait certes l'existence de « preuves flagrantes et convaincantes de l'utilisation d'armes chimiques contre des civils, dont des enfants » mais se gardait d'accuser le gouvernement syrien ou les rebelles, faute d'être mandatés pour cela.

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Gérard Bapt rappelle d'ailleurs qu'« une commission américaine qui avait enquêté après la Ghouta avait elle-même certifié que les stocks d'armes chimiques étaient — avant la destruction par le régime — répartis "équitablement" des deux côtés. Il y avait autant de stocks d'armes chimiques chez les rebelles qu'au niveau du régime et que si le régime a vraiment détruit en grande partie ses stocks comme on l'avait dit, théoriquement il y aurait même à mon avis plus d'armes chimiques du côté des rebelles que du côté du régime. »

La problématique de ces arsenaux d'armes chimiques, détenus par de tels acteurs non-étatiques en Syrie fut d'ailleurs un point soulevé par Bahram Ghassemi, porte-parole du ministère iranien des Affaires étrangères « ignorer la nécessité de procéder au désarmement chimique des groupes armés terroristes nuit au processus de désarmement de la Syrie. »

Loin de cet esprit critique, la version occidentale des faits est visiblement toujours défendue, trois ans après, par François Hollande. Celui-ci ayant déclaré pas plus tard qu'hier dans une communiqué:
« Comme à la Ghouta le 21 août 2013 Bachar al-Assad s'en prend à des civils en utilisant des moyens bannis par la communauté internationale. Une fois encore le régime syrien va nier l'évidence de sa responsabilité dans ce massacre ».

En somme, le théâtre syrien nous offre décidément de bien curieuses coïncidences, qui risquent fort de se répéter pour le grand malheur des Syriens, tant qu'une majorité d'acteurs occidentaux, à commencer par les journalistes, continueront à verser sans recul dans le pathos.

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