Eric Delbecque : « nous avons perdu l’habitude de ne pas être le jouet des autres »

© REUTERS / Christian HartmannFrench police secure the site near the Louvre Pyramid in Paris, France, February 3, 2017 after a French soldier shot and wounded a man armed with a knife after he tried to enter the Louvre museum in central Paris carrying a suitcase, police sources said.
French police secure the site near the Louvre Pyramid in Paris, France, February 3, 2017 after a French soldier shot and wounded a man armed with a knife after he tried to enter the Louvre museum in central Paris carrying a suitcase, police sources said. - Sputnik Afrique
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Alors que les attentats se multiplient, que l’insécurité semble omniprésente, la sécurité est absente du débat présidentiel. Pouvons-nous repenser et refonder notre approche à la sécurité et plus globalement à la puissance ? Éléments de réponse avec Eric Delbecque.

Insécurité dans les rues de certains quartiers, insécurité de nos données personnelles sur Internet, insécurité de notre Nation face au terrorisme islamique… Le constat est anxiogène mais le réalisme commande d'ouvrir les yeux:

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l'insécurité s'étale à longueur d'articles et de reportages, mais elle est aussi un sentiment pour de nombreux Français et, plus encore, elle se vit au quotidien. Que se passe-t-il ? Sommes-nous donc en danger ? Comment y répondre ?

Refonder notre approche à la sécurité : voilà le message d'Eric Delbecque, Directeur du département d'intelligence stratégique de SIFARIS, qui vient de publier Le Bluff sécuritaire, Essai sur l'impuissance française, aux éditions du Cerf.

« Bluff », le mot est donc lâché. Un bluff inquiétant selon notre invité, car systématique : il touche en effet tous les domaines, tous les plans de la sécurité de nos concitoyens.

Écouter l'émission dans son intégralité :

Extraits :

La classe politique apeurée

« Les véritables difficultés sont traitées de manière anecdotique: soit on fait un constat, par exemple sur le sentiment d'insécurité, soit on étale de bonnes intentions — "il faut que la République soit respectée", toutes les postures moralisantes. […] On peut reconnaître moins de politiquement correct [dans les analyses du Front national ou de l'extrême-gauche], mais je ne suis pas certain qu'expliquer en permanence que l'immigration est au cœur de tous les problèmes de sécurité ou que le sans-frontiérisme ne pose aucun problème est une solution. »

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« On n'a pas besoin de nouvelle loi. Il faut l'appliquer, dans les zones de non-droit le problème est qu'on ne l'applique pas. Ce qu'il faudrait surtout, c'est assumer les choix que l'on fait : quand on demande aujourd'hui à la police ou à la gendarmerie de rétablir l'ordre quelque part, c'est avec précaution (…). Sinon le politique fera ce qu'il fait d'habitude : il va se replier à cause d'un article dans Le Monde qui lui fera peur. »

Terrorisme : des débats byzantins

« J'éprouve beaucoup d'incrédulité quand j'entends des débats byzantins sur ce qu'est le terrorisme islamiste. On vous explique avec des trésors de subtilité qu'il y a les salafistes djihadistes et des salafistes quiétistes. Ils ont à peu près la même théorie, mais on a la vague espérance qu'ils resteront toujours calmes. Cette distinction n'est pas opérationnelle dans la mesure où l'on sait que ceux qui sont passés à l'acte ont baigné dans ce climat mental, salafiste. Ce sont des mouvances qui posent problème et se posent en adversaires de la République. »

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« On vaincra le terrorisme à travers un combat long et douloureux. Surtout, on le vaincra si on tarit la source du recrutement: le dernier chiffre parle de 16 000 radicalisés. Pourquoi le sont-ils ? Je pense que c'est dû à l'affaiblissement de ce fameux "roman national", de notre incapacité à faire rêver avec un modèle. On peut parler de communautarisme, d'emploi, de difficultés culturelles — quand nous avons nous-mêmes du mal à être fiers de notre propre histoire. Il faut juste affirmer un modèle et notre pays, notre République ne doit pas avoir peur de dire que certaines règles ne se négocient pas. J'ai été très agacé quand des membres haut placés de notre Éducation nationale déclaraient qu'il fallait en finir avec notre récit national. Si on commence à détricoter nos symboles d'appartenance, comment s'étonner que certains soient en rupture de ban ? »

Big Brother ?

« L'idée qu'une société de surveillance pourrait détecter les intentions criminelles et de voir ceux qui briseraient la loi avant qu'ils ne commettent le moindre acte répréhensible est une idée fausse. Il y a des moyens de renseignement qui seront tout à fait utiles. La question est que pour cela, il faut avoir sélectionné une population. La surveillance de masse 1. démocratiquement pose problème et 2. n'est pas efficace : c'est l'idée de chercher une aiguille dans une botte de foin. Il y a souvent un mauvais usage de la technologie: on pense que cela va nous libérer du facteur humain, de l'analyse humaine et on pense qu'on fera l'économie des moyens de l'intelligence. »

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« Il suffit de se brancher sur l'actualité pour voir que les GAFA — Google, Amazon, Facebook, Apple, sont véritablement les titans de la surveillance numérique. On leur livre tellement d'informations qu'ils sont capables de faire des profils d'individus beaucoup plus performants que les services d'État. Il y a aux États-Unis un complexe militaro-industriel-sécuritaire où le privé a autant de part que le public, et il y a une alliance objective d'intérêts. »

Le poids des idéologies

« Le clivage droite-gauche est un défilé de masques : chacun veut essayer de faire prévaloir une perception. À gauche, on va éviter une certaine manière de poser certains débats, car on a peur de perdre un crédit idéologique — on est pour les libertés individuelles. Le psychodrame autour de la déchéance de nationalité s'est plus polarisé à gauche sur "on ne peut pas faire ça", d'un point de vue intellectuel plutôt que "c'est inutile, c'est absurde". On n'a pas raisonné en termes d'efficacité du dispositif, mais en termes d'idéologie (…) on ne parle pas opérationnel, on parle image. »

« Nous sommes dans une incapacité à vouloir notre propre puissance. La France a du mal à penser que la souveraineté est légitime : décider par soi-même ; nous avons perdu l'habitude de ne pas être le jouet des autres. On trouve ça logique de ne pas être nos propres maîtres. »

Les opinions exprimées dans ce contenu n'engagent que la responsabilité de l'auteur.

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