La sortie de l’euro et le «projet peur» d’une partie de la presse

© AFP 2024 Philippe HuguenLa bandera de la UE
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La question de la sortie de l’Euro est aujourd’hui entrée dans le débat public, ce qui est une bonne chose. Elle est portée par quatre candidats à l’élection présidentielle française, Nicolas Dupont-Aignan, Jean-Luc Mélenchon (qui l’envisage au travers de son « Plan B »), Marine le Pen et François Asselineau.

Mais, elle y entre à travers des articles qui font partie de ce que les britanniques avaient appelé au printemps 2016 le « projet Peur » (ou Project Fear) lors du débat sur le BREXIT, c'est à dire des articles visant à effrayer l'électeur en lui décrivant des scénarios apocalyptiques. Ce « projet Peur » a trouvé une première réalisation avec l'étude réalisée par l'Institut Montaigne (1), un « Think Tank » où l'on retrouve le Président d'AXA, qui soutient largement la candidature de François Fillon. Cette étude relève très largement de la désinformation, comme je l'ai montré dans ma note du 27 février (2).

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L’Europe, l’Union européenne, et les échéances électorales
L'institut Montaigne s'est fendu d'une réponse à cette note, initiative que je salue car elle montre, pour une fois, une réelle volonté de débat (3). Mais, ce débat est biaisée par la participation de cette institut à une campagne visant à peser sur les résultats de l'élection présidentielle à venir en affolant la population. Cela confirme que l'on est en plein « projet Peur », un projet qui s'est déployé une première fois au sujet du Brexit.

Le fond de cette réponse se réduit à une citation d'une agence de notation: « "Il n'y a pas d'ambiguïté (…) Si un émetteur ne respecte pas les termes du contrat passé avec ses créditeurs, y compris la devise dans laquelle les paiements sont effectués, nous déclarerions une situation de défaut", disait récemment Moritz Kraemer, directeur des notes souveraines chez Standard & Poors. On peut ignorer les agences de notation, il n'en reste pas moins que leurs avis sur le risque de crédit (donc de défaut) sont indispensables à une bonne gestion du risque par les investisseurs institutionnels (assurances, fonds de pension, banques). »

Rappelons qu'une longue jurisprudence de droit international, datant de l'entre-deux guerres, dit explicitement qu'un pays a le droit de changer sa monnaie et que, dans ce cas les dette libellées dans l'ancienne monnaie sont re-libellées dans la nouvelle monnaie, ce que l'on appelle la Lex Monetae. Que M. Kraemer affecte de l'ignorer est son affaire. Que M. Chaney prenne cette déclaration pour argent comptant, si l'on peut s'exprimer ainsi, est plus qu'étonnant. Nul n'ignore que certaines banques, certaines compagnies d'assurances et certaines agences ont intérêt au maintien de la monnaie unique. Ceci est parfaitement leur droit, mais implique de prendre avec des pincettes les déclarations de leurs dirigeants.

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L’euro, plus favorable à l’Allemagne qu’à la France?
Admettons qu'en cas de sortie de l'Euro, l'agence Standard & Poors décide de déclarer un « défaut » de la France, elle ne sera pas suivie par d'autres agences, et surtout elle ne pourra trouver aucun tribunal de stature international pour faire valider sa décision. Car, les juristes savent bien que ce qui s'est passé en 1999 se rejouerait alors. Personne ne s'est posé le problème de la conversion des dettes émises en droit français du Franc à l'Euro, justement parce que l'on savait que c'était le droit le plus évident, le plus strict, de la France en tant qu'Etat souverain. Il en sera de même si nous sortons de l'Euro.

Il n'aura pas échappé aux lecteurs que des institutions autrement plus respectables qu'une agence de notation se sont largement décrédibilisée à propos du Brexit. La Banque d'Angleterre (BoA) avait émis avant le vote référendaire des avis absolument apocalyptique, pour reconnaître, par la suite, l'exagération de ses propos. Elle ne fut pas la seule à être prise « la main dans le sac » comme l'on dit encore dans le « projet Peur » (ou « project Fear ») qui consiste à vouloir affoler les électeurs avant un scrutin où les intérêts de ces institutions sont menacés. En un sens, c'est très exactement ce que fait M. Kraemer, mais aussi l'Institut Montaigne et relayant, de manière a-critique ses propos. Je maintiens donc dans leur totalité les propos que j'ai exprimés dans la note du 27 février.

Dès lors, faut-il s'étonner que l'Institut Montaigne intitule sa réponse « A propos du monde imaginaire de ceux qui prônent une sortie de l'euro », et fasse semblent d'oublier que nous avons vécu de longues, et parfois heureuses, années hors de l'Euro?

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L’Euro, angle mort de la présidentielle?
On voit que les rédacteurs des notes de l'Institut Montaigne, instruisent systématiquement « à charge » sur cette question. Car, sur le point soulevé par la citation de M. Kraemer, ils auraient pu aller interroger d'autres personnes, par exemple travaillant dans des banques spécialisées. C'est d'ailleurs ce que l'on avait fait en 2013, lors de la préparation de la note de la Fondation ResPublica intitulée Les Scenarii de la Dissolution de l'Euro (4) en allant interroger des banquiers spécialisés. Or, ces derniers nous avaient confirmés qu'il n'y aurait pas de problèmes légaux et qu'une sortie de l'Euro, avec redénomination de la dette (émise en droit français) ne pouvait nullement être assimilée à un défaut.

Nous savons, de plus, que les agences de notation comme Standard and Poors émettent des jugements qui sont très politisés. Ce fait est d'ailleurs reconnu par de nombreux pays, dont ceux composants l'Union européenne, la Chine et la Russie, puisque tous entendent créer leurs propres agences de notation. Quelle est donc la fiabilité de la déclaration de M. Kraemer? Elle est très proche de zéro. Ce n'est pas un problème spécifique, mais il eut été bon que M. Chaney en informe ses lecteurs. Ce qu'il n'a pas fait. On comprend alors que cette réponse n'en est pas une. Le débat est toujours refusé par ceux qui prétendent avoir la science infuse et ce quand bien même une longue liste (plus de 170 noms) de scientifiques avec titres et patentes (et même Prix Nobel) les contredit. Le nombre de textes portant sur la faillite de l'Euro et la nécessité de sortir de cette zone, et de la dissoudre, s'enrichit de mois en mois (5). Certains de ces papiers traitent explicitement des points soulevés par M. Kraemer, mais de cela les lecteurs de M. Chaney n'en sauront rien. Car tel est bien la situation actuelle où n'importe qui depuis une position de prééminence auto-affirmée peut lancer les informations les plus biscornues et les plus fausses sans prendre la peine d'informer ses lecteurs de l'existence de travaux scientifiques les démentant. Si, du moins, M. Chaney avait eu le courage de dire à ses lecteurs « Je suis contre la sortie de l'euro et n'attendez pas de moi d'observations objectives », cela serait admissible. Ce qui ne l'est pas c'est qu'il se couvre du nom d'un institut de recherches (privé par ailleurs…) pour exprimer ses idées. Il faut avoir le courage de ses opinions, qui sont par principe honorables. Mais chercher à les faire passer pour « vérité » scientifique alors qu'elles sont démenties par tant de travaux est une faute grave.


(1) http://www.institutmontaigne.org/presidentielle-2017/propositions/marinele-pen-europe-et-international-engager-un-referendum-sur-la-sortie-de-lunion-europeenne et http://www.institutmontaigne.org/presidentielle-2017/propositions/marine-le-pen-europe-et-international-sortir-de-leuro-et-restaurer-une-monnaie-nationale-le-franc.

(2) Sapir J., « Une sortie de l'Euro », 27 février 2017, note publiée sur RussEurope. A cette note il faut ajouter la note du 28 février

(3) Voir Chaney E., « A propos du monde imaginaire de ceux qui prônent une sortie de l'euro », Institut Montaigne, 2 mars 2017

(4) Les scénarii de dissolution de l'Euro, (avec P. Murer et C. Durand) Fondation ResPublica, Paris, septembre 2013

(5) Avec

Costas Lapavitsas and Theodore Mariolis Eurozone Failure and a New Path for Greece, EReNSEP | December 2016

Durand C. et Villemot S., Balance Sheets after the EMU: an Assessment of the Redenomination Risk, Working Paper, 2016-31, Paris, OFCE

BAGNAI Alberto et Christian Alexander MONGEAU OSPINA, « BACK TO THE FUTURE: MACROECONOMIC EFFECTS OF READOPTING A NATIONAL CURRENCY IN ITALY » contribution présentée au colloque de la conference Euro, markets and democracy, Montesilvano (Pescara, Italy), 8-9 Novembre 2014.

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