L’Euro, angle mort de la présidentielle?

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25 ans après Maastricht, 15 ans après sa mise en circulation, l’euro se fait particulièrement discret dans les discours comme dans les programmes des candidats à la présidentielle. Que l’on soit eurosceptique ou europhile, la monnaie unique semble être l’un des grands oubliés de la campagne. Lacune volontaire?

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Aujourd'hui, nous célébrons les 25 ans du Traité de Maastricht, signé le 7 février 1992 par les douze membres de la Communauté économique européenne (CEE). Un double anniversaire, car en France nous célébrons aussi cette année les 15 ans de la mise circulation des premiers Euros.
La monnaie unique, à propos de laquelle bon nombre de candidats semblent rester bien discrets en cette période électorale. Déjà, lors des débats des primaires de la droite et du centre, fin novembre, Natacha Polony — chroniqueuse au Figaro — avait regretté lors d'un débrief que « passent à la trappe » des sujets importants tels que l'Europe. Il faut dire que les débats qui s'en sont suivis lui ont plutôt donné raison: même si l'Europe a été abordée durant les primaires de « La Belle Alliance Populaire », un aspect capital de ce sujet se distingue par son absence criante: sa monnaie, l'Euro.

L'euro serait-il ainsi l'angle mort de la campagne présidentielle? Un point de vue qu'approuve Franck Dedieu, professeur d'économie à l'IPAG et co-auteur — avec Benjamin Masse-Stamberger, Béatrice Mathieu et Laura Raim — du livre « Casser l'euro pour sauver l'Europe » (Éd. Les liens qui libèrent, 2 014).

S'il souligne « un certain progrès au niveau de l'objectivité de l'analyse » des économistes et de certains politiques quant au « vide de conception » de l'Euro, il évoque néanmoins le rapport « quasi-religieux » qu'entretiennent nos élites politiques avec la monnaie unique.​​

« Sur le diagnostic, la plupart des économistes et des politiques sont à peu près d'accord pour photographier et analyser le problème, en revanche en ce qui concerne les décisions à prendre, là effectivement, il y a encore des retenues qui sont liées je dirai au caractère très idéologique de cette monnaie. »

Ainsi, Emmanuel Macron ne remet-il pas en cause l'euro, tout juste donne-t-il des gages à ceux qui s'inquiètent de son évolution. Lors d'un récent déplacement à Berlin, il jugeait que « l'euro est incomplet et ne peut pas durablement fonctionner sans réforme majeure », un Euro « sorte de Deutsche Mark faible » qui a « profité à l'économie allemande » en boostant sa compétitivité. Sans prendre trop de risques, il ajoutait « Nous, Français, devons restaurer la confiance avec les Allemands en faisant des réformes sérieuses. »

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Un caractère « idéologique » de l'Euro auquel s'ajoute ce que la monnaie unique peut concrètement représenter, tant pour l'Union européenne que pour ceux qui en sont à l'origine. L'Euro, « le seul élément fédéral » de l'Union pour notre expert.

« C'est quand même l'œuvre d'une génération, d'hommes et de femmes politiques, hauts fonctionnaires et aussi patrons, qui considèrent que quelque part c'est leur œuvre. Donc se poser des questions fondamentales sur cette monnaie cela serait se délégitimer. »

Une monnaie, défendue par des élites, aujourd'hui sous le feu de candidats tels que Marine le Pen ou Jean-Luc Mélenchon. Du côté de Marine Le Pen, en effet, on prône la reconquête de la « souveraineté monétaire » et l'on qualifie l'euro de « deutschmark bis » (son seul point commun, finalement, avec Macron), qui représente « un obstacle majeur à la réindustrialisation de la France ».

Mais pour Franck Dedieu, sortir unilatéralement de l'euro, comme le suggère Marine Le Pen — avec toutefois de nombreuses réserves — ne serait « absolument pas efficace », soulignant les risques que cela représente pour l'Unité européenne. L'économiste met en avant l'importance d'inscrire dans un dialogue, avec nos partenaires européens, toute décision de désengager la France d'un tel mécanisme monétaire et économique.

Pour appuyer son propos, il rappelle un tout autre anniversaire, celui-ci d'un peu plus de 80 ans: lorsque Léon Blum, face aux conséquences budgétaires et économiques de ses lois sociales, pris la décision en septembre 1936 de retirer la France du « Bloc-Or » pour dévaluer le Franc de 25 %. Une décision qui, selon Franck Dedieu, ne put être prise sans risques par le vice-président du Conseil des ministres que grâce aux efforts consentis par les autres nations participantes au dispositif.

« Il l'a fait intelligemment parce que d'abord il s'est dit: "demandons à nos homologues britanniques et américains s'ils sont d'accord pour que nous dévaluions la monnaie." Les Anglais et les Américains ont dit oui, à condition que la dévaluation ne soit pas trop forte, ce qui rendrait le Franc de Blum trop compétitif, donc il y a eu une véritable coordination entre les chefs d'État. »

Mais bon nombre de candidats, étiquetés comme « eurosceptiques » pour leur discours souverainiste, ne veulent pas pour autant en finir avec l'Euro, ni même l'Europe. Dans la plupart des cas, ils remettent en cause son statut de monnaie unique au profit de l'instauration d'une monnaie commune. Une ligne prônée par le candidat de Debout la France, Nicolas Dupont Aignan, qui appelle à l'instauration d'euros nationaux (euro drachme, euromark, eurofranc…) pour plus de flexibilité.

Pour Franck Dedieu, ce manque de flexibilité de la monnaie unique présente un paradoxe. Afin de l'expliquer, il évoque le Prix Nobel d'économie Joseph Stiglitz, ancien économiste en chef de la Banque Mondiale:

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« Il a compris une idée qui est très difficile à appréhender et qui est même assez contre-intuitive, c'est de ce dire, au fond, cette monnaie européenne — qui est le seul acte opérationnel concret de l'Union européenne — très paradoxalement, elle fragilise l'Union européenne plutôt qu'elle favorise la cohésion entre Européens, c'est ça le grand paradoxe! »

D'ailleurs, depuis quelques années, on peut observer l'apparition d'un euroscepticisme à gauche, porté notamment par des personnalités telles que l'économiste Frédéric Lordon, qui n'entend pas laisser le monopole d'un tel sujet à la droite, ou encore l'essayiste Emmanuel Todd, qui se sont tous deux prononcés en faveur d'une sortie de l'euro.

Mais là où à droite on pouvait retrouver une certaine cohérence, par l'aspiration à recouvrer une certaine souveraineté nationale, la ligne suivie par les eurosceptiques de gauche semble bien moins claire. Il faut dire que remettre en cause l'euro peut heurter certaines aspirations internationalistes propres à la Gauche. Franck Dedieu, souligne quant à lui que l'amalgame entre la monnaie unique et l'Europe elle-même n'est pas rare:

« Quelque part, les gens se disent que sortir de l'Euro, ou passer à une monnaie commune, ce serait un recul de l'Europe, et par là même, ce serait moins de solidarité, du repli sur soi, etc. donc c'est quand même considérer comme mettant en danger la construction même de l'Europe. »

Une inquiétude qui expliquerait le manque de clarté du discours de Jean-Luc Mélenchon concernant justement une sortie de l'Euro. Si le candidat de « la France insoumise » a pu déclarer, le 23 août 2015, dans le JDD que « S'il faut choisir entre l'euro et la souveraineté nationale, je choisis la souveraineté nationale », alors qu'il avait voté « oui » à Maastricht en 1992, ses propos sont depuis plus mesurés: la sortie de la France de l'Euro ne devant s'opérer qu'en cas de refus de l'Allemagne de renégocier les traités européens et les priorités de la BCE.

Il faut dire que la gauche est traversée par de nombreux courants aux accents fédéralistes prononcés, qu'ils s'agissent des écologistes ou des radicaux. Une ligne fédéraliste que l'on retrouve toujours dans les partis dits de gouvernement, malgré la défiance grandissante au sein d'une partie de l'électorat vis-à-vis des institutions européennes. Rien d'étonnant pour notre expert, qui y voit une coherence: en effet les problèmes inhérents au processus de construction européenne renforcent tant les souverainistes que les fédéralistes.

« Il y a quelque chose qui a mon avis est assez fondamental, c'est que vous avez une réponse au vice de conception de l'Euro, qui traverse à peu près tous les partis — non-souverainistes — qui est de ce dire qu'au fond, le vice de conception de l'euro pourrait être surmonté grâce à un fédéralisme européen: au fond, nous avons une Banque centrale qui est fédérale, mais le problème vient du fait que nous avons un budget qui n'est pas fédéral, ni de lois sociales et fiscales communes, à ce moment-là, faisons ce saut fédéral et mettons au diapason le caractère fédéral de la monnaie avec un caractère fédéral du budget et mêmes des lois sociales et fiscales. »

Pour Franck Dedieu, si ce désir d'aller vers plus de fédéralisme demeure cohérent afin d'apporter des solutions aux problèmes actuels, celui-ci lui semble en revanche difficilement applicable face à l'urgence de la situation.

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« Pour faire des progrès de mise en commun de normes sur le plan de l'épargne nous avons mis 25 ans et encore ce n'est pas terminé! Cela fait des années et des années que j'entends parler d'une assiette commune pour l'Impôt sur les Sociétés et cela ne se fait toujours pas. Donc, j'imagine que ce grand saut fédéral, qui a une certaine cohérence, pour le coup cela serait une façon de répondre au problème de l'euro, or il me semble être l'œuvre d'un temps extrêmement long. Or aujourd'hui, l'urgence est réelle et elle doit aboutir à des réponses extrêmement vite. »

Un temps d'action, à l'échelle européenne, qui semble incompatible avec celui du quinquennat de nos présidents. Autre point à mettre en lumière, sans doute déterminant quant à la teneur des discours et programmes de nos candidats et qui n'est autre qu'un énième paradoxe: si les Français demeurent avides de changements — tant dans leur classe politique que dans le « Système » — ils restent en revanche particulièrement frileux à l'idée de voir les règles du jeu changer. Le spectre d'une dévaluation importante en cas de désarrimage de la France de la zone euro est certainement, en cette période de crise, tout sauf rassurant et peu porteur électoralement parlant.

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