Russie : Décriminalisation et non dépénalisation des violences domestiques légères

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Les médias occidentaux reprennent en boucle l’information : la Douma aurait légiféré et dépénalisé les violences domestiques. Un cas de désinformation. Il s'agit en réalité de décriminalisation des violences les plus légères.

En effet, la loi tant décriée par les médias occidentaux est passée sans encombre à la Douma, 380 voix pour, 3 voix contre. Un score écrasant donc, ce qui rend les choses encore plus contre-intuitives.

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Rappelons qu'hier Le Monde titrait « La Russie dépénalise les violences domestiques ». Comment cela se fait-il? La majorité de l'assemblée russe est-elle barbare? C'est un peu ce que certains croient et voudraient nous faire croire. La correspondante du Monde à Moscou voit les choses simplement: il s'agit « d'une pression de l'Église orthodoxe » pour rétablir « une société traditionnelle ». The Economist joue à peu près la même rengaine, avec la caricature d'un pope tendant un martinet à des parents tyranniques.

Ainsi semblent-ils imaginer une armée de popes barbus, chantant des cantiques pieds nus par —30 et shootés à l'encens — car l'encens est l'opium du peuple poutinien, n'est-ce pas — pour faire pression sur la Douma et permettre aux maris de battre leurs femmes. Ainsi les Russes se voient-ils transformés en salafistes d'un coup de baguette magique…

Les choses sont cependant plus complexes. Essayons d'écarter ce manichéisme et d'accorder quand même à la Russie le bénéfice du doute, au lieu d'en faire comme Le Monde, l'incarnation du Mal et de l'impunité des coupables.

De quoi s'agit-il donc ? Cette Loi reclasse les coups légers, qui causent une douleur, mais ne portent pas du tout atteinte « à la santé de la victime ». Ces coups légers ne seront plus jugés comme un crime, mais comme un délit.

Concrètement, un délit puni d'une amende de 5 à 30 000 roubles ( soit de 78 à 470 €, c'est-à-dire davantage qu'un SMIC moscovite ), de 60 à 120 heures d'intérêt général ou encore d'une détention de 10 à 15 jours.

À l'heure actuelle, les coups légers sans aucune atteinte à la santé étaient jugés comme des crimes, passibles de 2 ans de prison. Les coups graves et la récidive demeurent dans cette catégorie de crimes.

Donc non, le Monde propage de fausses nouvelles: il n'y a pas de dépénalisation de violences domestiques. Mais une décriminalisation des violences domestiques légères. Entre les parents, sur les enfants, etc. De surcroît, ce sont toujours les mêmes juridictions, à la fois pénales et administratives, qui demeurent compétentes pour juger et punir ces délits dits « administratifs ».

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Exemple, pour que les choses soient claires pour nos auditeurs: une mère qui frappe sa fille et porte atteinte à sa santé sera toujours accusée d'un crime et risquera deux ans de réclusion. Deux ans. Une mère qui frappe sa fille, mais ne porte pas du tout atteinte à la santé pourra toujours être accusée d'un délit et risquera 30 000 roubles, 120 heures d'intérêt général et une détention de 15 jours. Si elle récidive, alors nous rebasculons dans la catégorie criminelle, alors elle pourra de nouveau être accusée de crime. 

Pourquoi la Douma a-t-elle voulu légiférer en ce sens ?

C'est la Cour suprême de la Fédération de Russie qui, en fait, est à l'origine de cette dynamique: les juges ont décriminalisé l'été dernier les coups légers dans le cadre de violence de rue, pour réduire le volume d'enquêtes pénales, et donc de travail policier et judiciaire, et vider des prisons surpeuplées. Un argument donc plutôt laxiste.

Des associations de parents ont donc réagi: selon elles, il était aberrant que des parents puissent être davantage condamnés, que ceux-ci se retrouvent des barreaux avec une peine potentielle de deux ans pour une gifle.

L'inquiétude de voir des enfants confiés à un orphelinat par une bureaucratie un peu trop tatillonne a aussi circulé. Ceci générait l'argument d'un État intrusif, dans la vie privée des familles. La violence brute entre deux inconnus serait moins punie que celle ( qui relève de la punition ) entre, par exemple, une mère et sa fille. Donc des arguments à la fois plus conservateurs et libéraux.

C'est donc sur cette base que la Douma a légiféré ?

En effet. Le Sénateur conservateur, plus controversé, Elena Mizoulina, a corédigé la proposition d'amendement. Peut-être est-ce cela — ou elle — qui a mis le feu aux poudres, puisqu'Elena Mizoulina est aussi une militante pro-vie/anti-IVG, et l'auteur d'une loi contre la « propagande homosexuelle ». Le député Olga Batalina a cependant retravaillé la forme du texte.

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Les associations des Droits de l'homme ou féministes dénoncent une « dépénalisation » de la violence domestique qui serait donc impunie. Mais encore une fois, il ne s'agit pas de « dépénalisation », mais de « décriminalisation ». Or, de nombreux médias ne tiennent compte que des arguments de ces associations.

Évidemment, cela ne veut pas dire que la violence domestique n'est pas un problème considérable en Russie. Selon le Ministère russe de l'Intérieur, 12 000 femmes meurent chaque année des coups de leurs maris, soit une femme toutes les 40 minutes. En même temps, 97 % des affaires de ce genre n'arrivent pas jusqu'au tribunal.
À cela s'ajoute le problème des violences à l'égard des enfants: 26 000 d'entre eux en sont victimes chaque année, 10 000 mineurs fuient de leur domicile chaque année.

Donc indéniablement, il y a un vaste problème, un problème profond. Depuis 1993, 40 projets de ce type ont été examinés par la Douma. Aucun n'a été pour l'instant adopté. Le pays recherche une réponse, il est donc au moins conscient du problème.

Selon certains experts, il y a du laxisme, selon d'autres, il appartient évidemment aux services de police de servir le peuple russe et ses victimes. En menant l'enquête plutôt qu'en laissant aux victimes la charge de la preuve — qui n'est pas toujours facile à apporter.

Mais pour pousser l'analyse, nous avons interrogé un avocat pénaliste, Professeur associé à l'Université Paris XI, maître Dassa, qui nous a expliqué l'état du droit français en matière de violences conjugales. Selon lui, le droit français fait « l'effort de la cohérence », mais « les juges ne font pas preuve d'une sévérité exemplaire en la matière ». En cas de récidive, un mari tyrannique risquerait de six mois à un an de prison ferme. Je vous propose donc de l'écouter:

Les opinions exprimées dans ce contenu n'engagent que la responsabilité de l'auteur.

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