Sputnik : L'année 2016 est terminée. Pour beaucoup, elle a été associée aux tensions montantes entre la Russie et les États-Unis, et plus globalement entre la Russie et l'Occident politique. Quelles sont les principales analyses que vous feriez de l'année passée?
Bruno Guigue :
L'élection de Donald Trump, en réalité, est le symptôme d'un profond malaise. À l'intérieur comme à l'extérieur de leurs frontières, les États-Unis ressemblent à un colosse aux pieds d'argile. En encerclant la Russie, en la diabolisant, les dirigeants américains renouent avec les pratiques de la guerre froide, mais cette agitation belliciste est un aveu de faiblesse. Si Washington provoque Moscou en mobilisant son armada, c'est pour tenter de conjurer, de manière pathétique, un déclin irréversible. Les USA sont une superpuissance chancelante qui joue au matamore parce qu'elle sait que ses jours sont comptés.
Sputnik : Cette opposition russo-étasunienne s'est traduite par une différence d'approche évidente en Syrie, qui restait largement à la Une de l'actualité. Quelles leçons en tirez-vous?
Bruno Guigue: Sur le théâtre syrien, il y a une énorme différence entre Moscou et Washington. Les Russes font ce qu'ils disent et ils disent ce qu'ils font. Les Américains ne font pas ce qu'ils disent et ils ne disent pas ce qu'ils font. La Russie intervient en Syrie à la demande expresse d'un État souverain qui est son allié historique dans la région. Elle combat la pègre mercenaire qui tente d'abattre cet État sur mandat des puissances occidentales et des pétromonarchies du Golfe. Avec 5 000 soldats et 70 avions, elle a aidé le gouvernement syrien à libérer la deuxième ville du pays et à restaurer sa souveraineté, peu à peu, sur une part croissante du territoire national.
De leur côté, les USA prétendent livrer bataille aux organisations terroristes, mais en réalité ils les utilisent contre Damas. Ils accréditent une distinction entre des rebelles « extrémistes » et « modérés » qui n'existe que sur le papier, et ils en fournissent eux-mêmes la preuve en les soutenant sans distinction! Chaque fois que Daech attaque les forces gouvernementales syriennes, par exemple, les avions de la coalition restent cloués au sol. Contrairement à l'intervention russe, l'intervention américaine est illégale en droit international et elle favorise les terroristes en prétendant les combattre.
Bruno Guigue: La coopération diplomatique entre la Russie, l'Iran et la Turquie en vue de mettre fin au conflit syrien est une gifle monumentale pour Washington et ses satellites. Les États-Unis sont éjectés comme des malpropres d'une scène syrienne où ils ont additionné les « false flags » et les coups tordus. Pour la première fois, une négociation sur un conflit majeur est engagée sans Washington, qui doit se résoudre à faire tapisserie pendant que Moscou mène la danse. L'avenir dira si les négociations inter-syriennes sous ce triple parrainage aboutiront à une solution négociée. Mais en attendant, les Occidentaux sont condamnés à approuver en public un processus qui les destitue de leur prééminence sur la scène internationale.
Sputnik: Une nouvelle administration, celle du président élu Donald Trump, prendra officiellement sous très peu le pouvoir aux États-Unis. Certains partagent un optimisme important au vu de certaines déclarations de M. Trump qui laissaient supposer une éventuelle normalisation des relations avec la Russie. D'un autre côté, sa rhétorique anti-chinoise, anti-iranienne et notamment anti-cubaine, des pays ayant des relations fortes avec la Russie, laissent supposer la poursuite de la confrontation. D'autant plus qu'au vu des déclarations récentes de certains représentants de son équipe, les risques d'une poursuite des tensions avec la Russie restent également d'actualité. Quel est votre avis sur la question?
Difficile de s'y repérer, mais M. Trump se déclare prêt au dialogue avec Moscou et affirme que les USA n'interviendront plus pour « changer le régime politique » chez les autres. C'est un désaveu explicite des politiques néo-conservatrices! En même temps, il adhère aux thèses israéliennes sur Jérusalem et envisage d'y déplacer l'ambassade US en violation du droit international. Il veut remettre en question l'accord péniblement négocié par son prédécesseur sur le nucléaire iranien. Enfin, il bombe le torse face à la République populaire de Chine.
Sputnik: Que pensez-vous, précisément, de ces déclarations peu diplomatiques à l'égard de la Chine?
Sputnik: On observe une montée importante des sentiments anti-atlantistes dans les pays européens. Entrevoyez-vous des changements importants en 2017 à ce niveau? Notamment en ce qui concerne le niveau de dépendance de certains pays européens vis-à-vis des USA?
Bruno Guigue : En fait, l'allégeance des pays européens à Washington n'a jamais été aussi caricaturale. Champions incontestés de la catégorie, la France et le Royaume-Uni font constamment de la surenchère. Comme si la gesticulation de l'appareil militaire atlantique aux frontières de la Russie ne suffisait pas, ces deux pays multiplient les accusations contre Moscou et prolongent des sanctions absurdes. Il est affligeant de voir le gouvernement français, par exemple, sacrifier ses propres agriculteurs sur l'autel de l'atlantisme en interdisant les exportations vers la Russie. Cette soumission volontaire des gouvernements européens est une honte, et elle finira par provoquer une exaspération légitime. La souveraineté a été bafouée par l'européisme et l'atlantisme, mais heureusement elle est de retour. L'aspiration à l'indépendance nationale — sans laquelle la souveraineté populaire est un leurre — est une constante historique. Chassez-la par la porte, elle reviendra par la fenêtre!
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