« Nous avons 85 000 ventes !» L'institut für Zeitgeschichte, un centre de recherche d'histoire contemporaine de l'université de Munich, semble le premier surpris du succès rencontré en librairie de « Mein Kampf » (mon combat). Initialement tirée à 4 000 exemplaires, leur publication d'une édition du seul livre du futur dictateur, en est à sa sixième réédition. Le tout un an seulement après sa parution, les droits d'auteurs étant tombés dans le domaine public le 31 décembre 2015, soit 70 ans après la mort de son auteur.
Vont-ils couper l'herbe sous le pied de Fayard ? En effet, cette filiale du groupe Hachette travaille depuis 2011 à une édition similaire de Mein Kampf. Elle devrait notamment comporter une longue introduction et un important appareil critique. Rien que la traduction mise à jour de ce pavé de près de 800 pages dans sa version originale, paru en Allemagne en deux volumes, en juillet 1925 et décembre 1926, est un travail de titan.
Une publication en français du « texte intégral et non censuré » qui avait énervée en premier lieu… Adolf Hitler, qui avait saisi la justice française. En effet, la traduction de l'ouvrage, sans passages édulcorés par la maison d'édition du Führer (Eher-Verlag), permettait à un public français un tant soit peu curieux d'apprendre les fondamentaux de l'idéologie de l'ancien putschiste. Le prisonnier autrichien qui allait devenir Chancelier puis Führer y dévoilait notamment le sort peu enviable qu'il réservait aux français.
Pour en revenir à l'édition commentée du texte qu'envisageait Fayard, l'éditeur pensait la sortir en 2016. Mais si son pendant outre-Rhin fut accueilli « de manière très positive par la communauté scientifique » —soulignait en juin dernier le Point — la perspective d'une telle publication en France ne réjouissait pas tout le monde, loin de là. Dès octobre 2015, Jean-Luc Mélenchon adressait une lettre ouverte à la maison d'édition afin qu'elle renonce à son projet, sobrement intitulée Non! Pas « Mein Kampf » quand il y a déjà Le Pen!
Une lettre qui n'avait pas laissé indifférent Christian Ingrao, historien du nazisme et chercheur au CNRS, qui s'était insurgécontre une démarche contre-productive, une démarche visant à« empêcher un projet scientifique de venir à terme ». Il rappelait que « le livre est immédiatement disponible à quiconque veut le trouver », soulignait par ailleurs que « la recherche « Mein Kampf PDF » est la deuxième plus populaire quand on tape les premiers mots du titre dans Google ». L'historien déclarait dans les colonnes de Libération:
« Editer Mein Kampf, c'est précisément lutter contre cette mise en tabou, c'est refuser de sacraliser négativement ce texte si pataud. C'est lui opposer le savoir et l'éclairage historiens en muselant véritablement un texte dont on sent bien que son halo excède de très loin l'effet de sa lecture. »
C'est pourtant bien ce qui se passera, suite à ce report obtenu par la levée de boucliers d'une partie de la bien-pensance. Une version brute, c'est exactement ce que souhaitait la maison d'édition bavaroise, Schelm-Verlag, proche de l'extrême droite,qui avait annoncé mi-mai 2016 une version du livre « sans commentaires ennuyeux des braves gens ».
Et si finalement, l'engouement des allemands pour « Mein Kampf » n'était pas dû à la montée de l'extrême droite dans le pays, dans un contexte de crise migratoire, mais simplement dûà une volonté des allemands de comprendre. Comprendre pourquoi et comment était né ce chaos, qui après avoir emporté l'Europe, de Brest aux faubourgs de Moscou, avait fini par emporter, aussi, leur pays.
Les pays arabes ne sont pas en reste. Les Frères Musulmans, qui déjà lors de la Seconde Guerre mondiales trouvèrent chez les Nazis de généreux mécènes, continuent encore aujourd'hui de publiquement faire l'apologie de l'ancien dictateur. Le Point rappelle une anecdote éloquente : le 30 janvier 2009, sur Al-Jazeera, Youssef Qaradawi, figure emblématique des Frères Musulmans, avait qualifié l'extermination des juifs par les nazisde « châtiment divin », espérant qu'avec « l'aide de Dieu » l'épisode se reproduise de la « main des croyants ». Le site de l'hebdomadaire français soulignait que suite à ces déclarations« Aucune des 27 organisations islamiques européennes, notamment l'Union des organisations islamiques de France (UOIF), n'a pris ses distances avec ce théologien. »
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