France 2 : décryptage de la soirée spéciale Russie

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Hier soir France 2 proposait une programmation 100% Russie, ou plutôt 100% Poutine, avec deux documentaires « Le mystère Poutine » et « Poutine, le Nouvel Empire ». Deux documentaires radicalement différents, contradictoires même, dans le premier d’entre eux, de nombreuses approximations sont à souligner. Analyse.

La grille de France 2, Jeudi 15 décembre au soir, était placée sous l'étoile du Kremlin. En effet, deux documentaires sur le président russe ont été diffusés coup sur coup. En première partie de soirée, présenté par Laurent Delahousse, une émission avec plusieurs interviews et un documentaire intitulé « le mystère Poutine » s'attardant sur l'ascension au pouvoir de Vladimir Poutine et sur sa personne, le tout suivi du documentaire réalisé par Jean-Michel Carré « Poutine, le Nouvel Empire ».

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Une programmation qui n'a pas laissé indifférent Jean-Robert Raviot, professeur de civilisation russe contemporaine à Paris Ouest Nanterre La Défense, qui a été « très agréablement surpris du ton général de la soirée ». Jean-Robert Raviot, auteur de « Démocratie à la russe » (Ellipses, 2008) était d'ailleurs interviewé dans le documentaire de Jean-Michel Carré.

Toutefois, dans le documentaire diffusé en première partie de soirée, plusieurs approximations sont à relever, des passages qui s'en retrouvaient même contredits par le documentaire de Jean Michel Carré qui suivait.

Il faut dire que Jean-Michel Carré est rodé à l'exercice, il est l'auteur de nombreux films-documentaires sur la Russie de Vladimir Poutine tels que « Le Koursk, un sous-marin en eaux troubles » en 2004 ou encore « Le Système Poutine » en 2007. Mais sa connaissance du sujet peut-elle expliquer la différence notoire entre son documentaire et celui de la chaine publique ? Si Jean-Michel Carré ne manque pas de critiquer Vladimir Poutine dans son documentaire, il s'attarde néanmoins sur la logique et sur la vision qu'ont les russes de leur Président, n'oubliant jamais d'évoquer le contexte dans lequel se sont déroulés les différents épisodes de sa présidence.

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Un aspect détaillé, contextualisé, qui fait cruellement défaut au documentaire de France 2, qui donne l'impression de ressasser des idées reçues, voire des clichés, sur le président russe sans rien apporter de nouveau sur lui ou la Russie. Un vide que l'on observe dès le début du film, lorsqu'on présente un Vladimir Poutine pantin des oligarques se partageant le pouvoir dans l'ombre d'un Boris Eltsine au bord de l'impotence… et qui aurait profité des attentats de Moscou pour lancer l'armée russe dans le Caucase, contre Grozny.

Un épisode qui manque cruellement de contexte, pour Jean-Robert Raviot, qui vivait à cette période à Moscou. Il en garde « un souvenir très vivant ». S'il évoque « une zone d'ombre, qui n'a jamais clairement été levée » concernant cet attentat, il s'étonne qu'on continue « à l'isoler » des autres, car il faut dire qu'à ce moment précis, Moscou n'était pas la seule ville frappée.​

« Les attentats de Moscou se déroulent dans un contexte plus large d'attentats, puisqu'il y a l'attentat à Bouïnaksk quelques jours avant et une reprise de l'offensive et des combats au Daghestan […] il y a vraiment une reprise de cette tension avec les forces tchétchènes indépendantistes ou même islamistes dans le nord Caucase.  »

En effet, alors que les attentats secouent Moscou et d'autres villes russes fin août, des milliers de combattants tchétchènes déferlent depuis le début du mois sur le Daghestan, une république fédérale russe du Caucase qui sombre alors dans le chaos. Des combattants des Brigades internationales islamiques menés par le tchétchène Chamil Bassaïev et par le saoudien Ibn al-Khattab qui n'avaient pour d'autre intention que de créer un « Emirat » taillé dans le sud de la Russie (du Caucase à la Volga). Face à ces évènements, l'opinion russe est outrée, Jean-Robert Raviot se questionne donc sur la nécessité pour le FSB de commettre un attentat… d'autant plus un attentat à un tel endroit.

« Pourquoi cet immeuble ? Un immeuble d'habitation dans un endroit assez éloigné du centre-ville. Si le FSB avait voulu monter un coup pour vraiment justifier le redéploiement des forces russes dans le nord Caucase et relancer la guerre, pourquoi on n'aurait pas organisé cet attentat dans un lieu beaucoup plus passant, beaucoup plus symbolique ? Je me suis tjrs posé cette question. »

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Jean-Robert Raviot rappelle également que si des tensions dans le Caucase précèdent cette série d'attentats, d'autres attentats surviendront bien après le début de l'opération militaire russe.

« À la suite de cet attentat il y a eu une poursuite du terrorisme tchétchène et islamiste du nord Caucase : il y a eu Beslan, il y a eu une série d'attentats dans le métro de Moscou… C'est toujours étrange d'isoler cet attentat-là. »

Un autre exemple de l'approche approximative du documentaire est donné, celle de la politique extérieure russe, rapidement survolée dans une infographie intitulée « 3 minutes pour comprendre » vers la fin de l'émission, juste après l'interview de l'ambassadeur de Russie à Paris, Alexandre Orlov. Si notre expert souligne les impératifs des rédactions, étant donné le cadre très précis de ces apartés, logiquement de 3 minutes tout au plus, on relèvera toutefois un passage qui laisse à désirer quant au sérieux des auteurs de la vidéo. En seulement 19 secondes, France Télévision résume 7 années de politique étrangère russe.

Partant du postulat que, grâce aux revenus de la male pétrolière, Vladimir Poutine a décuplé les dépenses militaires pour doter la Russie d'une armée digne de ce nom, une « nouvelle puissance » dont le président « n'hésite pas à se servir» :

« C'est ce qu'il fait en août 2008 lorsque la Russie envahit une partie de la Géorgie pour l'empêcher de se rapprocher de l'OTAN. »

Exit, donc, l'Abkhazie et l'Ossétie du Sud. Ces deux régions de facto indépendantes, n'ayant jamais acceptées d'être intégrées à la Géorgie lors de son indépendance à la chute de l'URSS, donnant lieu à une guerre avec Tbilissi. L'Abkhazie et l'Ossétie du Sud, des territoires où le président géorgien Mikhaïl Saakachvili avait annoncé vouloir rétablir « l'ordre constitutionnel » par la force.

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Le début de l'offensive géorgienne eut lieu dans la nuit du 7 au 8 août, alors que Vladimir Poutine (Premier ministre) était en déplacement à Pékin pour assister à la cérémonie d'ouverture des JO. Les bombardements géorgiens sur les villages frontaliers tuèrent plusieurs soldats de la force de maintien de la paix de la Communauté des Etats Indépendants (CEI), à prédominance russe.

Jean-Robert Raviot trouve réducteur de limiter l'entrée des troupes russes en Abkhazie et en Ossétie à la seule vision macro de la perspective d'adhésion de la Géorgie à l'OTAN.

« La Russie est intervenue après que Tbilissi ait envoyé des troupes en Ossétie du Sud, c'est une réponse […] Cela se déroule effectivement un mois après le sommet de l'OTAN à Bucarest où les américains avaient clairement annoncé leur volonté d'accepter que la Géorgie face partie de l'OTAN, donc on peut y voir une interprétation un peu macro, politique… mais je suis toujours un peu géné quand on mélange les niveaux d'analyse. »

« C'est ce qu'il fait en 2012 lorsque la Russie envahit une partie de l'Ukraine pour l'empêcher de se rapprocher de l'Union européenne. »

Explique le commentateur, qui prend pour argent comptant l'intervention directe russe dans la crise ukrainienne, dont on attend les preuves, tandis que le soutien américain et occidental au camp de Maïdan est lui, assumé. Pour sa part, Jean-Robert Raviot souligne:

« Pour l'Ukraine et la Crimée c'est vraiment un raccourci à nouveau, c'est vraiment aller très vite que de dire ça, y'a beaucoup de choses à dire sur la manière dont la Crimée a été rattachée à la Fédération de Russie, après annexion etc. Je ne crois pas que la Russie ait récupéré la Crimée pour damer le pion à l'Union Européenne, la question des partenariats orientaux me semble assez secondaire là-dedans »

« C'est ce qu'il fait, enfin, en Syrie depuis 2015 en apportant son soutien au régime de Bachar al-Assad, pour contrer l'influence américaine dans le conflit. »

Là aussi, le raccourci est rapide, occultant le fait que les russes sont intervenus à la demande officielle d'un pays souverain, tandis que la coalition menée par les américains « combat le terrorisme » sans mandat, tandis que certains de ses membres USA en tête, soutiennent des mouvements terroristes.

Comme le souligne l'expert, étonné qu'on puisse mettre la Syrie dans le même lot que la Géorgie ou l'Ukraine — des anciennes républiques soviétiques avec laquelle la Russie partage des frontières — la Russie intervenant loin de son territoire :

« Pour le coup c'est une projection de puissance de manière tout à faire différente et si la Russie intervient en Syrie, c'est aux côtés du président Bachar al-Assad et contre les islamistes et ce n'est pas du tout directement contre l'Occident ou l'OTAN. À moins de considérer que les islamistes d'al Nosra, l'Occident et l'OTAN soit la même chose, mais je ne pense pas que ce soit exactement ce qu'a voulu dire le film. »

Bref, des apartés, révélateurs de la ligne du documentaire de France 2: approximative et assez cliché. Il apparait également que le portrait dressé par la chaine public du président russe s'appuie sur des épisodes précis, ou plutôt des frasques, entrées dans la postérité de manière plus ou moins justifiée…

« Tu continues sur ce ton, je t'écrase »

Une sortie prêtée à Vladimir Poutine lors de sa fameuse rencontre avec un Nicolas Sarkozy fraichement élu et où ce dernier était apparu transpirant, blême, le visage traversé de rictus et tenant un discours approximatif à l'assemblée des Journalistes. Alors qu'on prêta à Nicolas Sarkozy l'ivresse, pour le journaliste Nicolas Hénin, celui-ci aurait en fait été mis KO debout par le président russe qui l'aurait menacé. Un « élément qui fait mauvaise coupe, pas très crédible » sur lequel revient Jean-Robert Raviot :

« Je regrette simplement une chose, je pense que c'est dommage car ça fait un peu tâche au milieu de ce film, c'est cette affaire de Nicolas Hénin rapportant les propos de Vladimir Poutine, d'ailleurs on ne sait pas très bien comment il a pu les rapporter ? Car il rapporte les propos qu'on lui a rapportés d'un entretien entre Sarkozy et Poutine en Allemagne en 2007, en marge du G8, au cours duquel Poutine aurait menacé Sarkozy de manière grossière. »

« Si les terroristes sont dans un aéroport, nous irons les chercher là-bas et s'il le faut nous irons les buter jusque dans les toilettes! »

Une phrase extraite, par les journalistes d'alors, de la réaction de Vladimir Poutine aux attentats de Moscou. Pour Jean-Robert Raviot, il ne fait pas de doute que la vulgarité et la violence du propos avaient été exagérées.

« Le ton sur lequel il dit ça est assez clame, il dit ça de manière très factuelle : " ils ne pourront se cacher nulle part, on les poursuivra partout ". La traduction qu'on a donné, ça donne l'impression que c'est dit sur un ton extrêmement agressif et vindicatif et ce n'est pas le cas du tout, on le voit dans la vidéo, il dit ça comme on dirait autre chose, d'une manière extrêmement froide. »

Une pseudo-vulgarité qui est peut-être, selon notre expert, à la base du mythe « mauvais garçon » de Vladimir Poutine en Occident.

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