Le conflit armé en Syrie a éclaté à la mi-mars 2011 et a déjà tué plus de 220.000 personnes selon les données de l'Onu.
Pour en venir à bout, pratiquement toutes les puissances mondiales — notamment la Russie et les États-Unis — ont uni leurs forces. Vendredi, le ministre russe des Affaires étrangères Sergueï Lavrov et son homologue américain John Kerry sont parvenus à s'entendre sur la voie à suivre en vue de la résolution de cette crise longue de cinq ans et demi. Les négociations entre les deux diplomates ont duré 14 heures.
Le lendemain de cette rencontre, on fait le point sur les principales forces en présence en Syrie et dans la région.
La moitié du royaume d'Assad
Les autorités syriennes sont impliquées dans le conflit depuis son déclenchement. Il y a un ou deux ans, il semblait que les jours du pouvoir du président Bachar el-Assad étaient comptés: l'opposition et certains groupes extrémistes occupaient plusieurs villes majeures, contrôlaient tous les gisements pétroliers du pays et les sites principaux d'infrastructure. Des rumeurs indiquaient même qu'Assad négociait un asile politique à l'étranger. L'armée gouvernementale a subi des pertes colossales depuis le début du conflit: ses effectifs ne comptent plus que 100.000 soldats contre 325.000 avant la guerre.
Cependant, le soutien de la Russie qui a lancé en septembre 2015 une opération aérienne à la demande du gouvernement syrien, a permis à Damas de renverser le cours des événements et d'organiser une offensive dans les régions stratégiques. Actuellement, l'armée syrienne contrôle 40 à 45% du pays, notamment les quartiers centraux de toutes les villes principales: Damas, Lattaquié, Tartous, Homs, Hama, Alep (60%), Deir ez-Zor et Deraa (50%).
Les autorités syriennes ne bénéficient d'un soutien militaire direct que de la part de la Russie, de l'Iran, du mouvement Hezbollah libanais et des chiites irakiens. Qui plus est, Téhéran affirme qu'il n'a pas envoyé ses troupes régulières et ses unités spéciales sur le territoire syrien mais seulement des conseillers des Gardiens de la révolution, et la Russie souligne régulièrement qu'elle ne soutient pas Bachar el-Assad personnellement, mais la lutte antiterroriste de Damas et le maintien de l’État syrien.
La deuxième vie de l'Armée syrienne libre
Le Royaume-Uni, le Qatar, l'Arabie saoudite, les États-Unis, la Turquie et la France avaient ouvertement exprimé leur soutien à cette opposition syrienne dite "modérée". Les rebelles syriens ont bénéficié d'un soutien considérable et auraient reçu des armes, des équipements et des véhicules pour plusieurs centaines de millions de dollars selon les estimations.
Ce soutien étranger n'a cependant pas permis de maintenir l'unité au sein de l'opposition syrienne. Au fil des années, elle s'est scindée en groupes isolés et a cédé son rôle d'adversaire principal du régime aux groupes extrémistes et terroristes. Suite à l'apparition de l’État islamique (Daech) et du Front al-Nosra (qui s'est récemment rebaptisée en Front Fatah al-Sham), l'opposition "modérée" et l'ASL ont de fait cessé d'exister en tant que groupes armés autonomes dotés d'un commandement centralisé. Actuellement, l'ASL réunit plus de 60 unités et selon le renseignement militaire syrien, pratiquement tous ces groupes sont alliés au Front al-Nosra terroriste ou sont contrôlés par ce dernier.
Récemment, les médias se sont rappelés de l'ASL après le lancement de l'opération militaire des forces terrestres turques dans le nord de la Syrie. En effet, l'offensive turque se déroule en coopération avec des unités de cette armée non-officielle et d'autres groupements armés pro-turcs. L'agence Anadolu a déjà annoncé que c'était l'ASL qui avait "libéré de Daech un territoire frontalier entre les villes d'Azaz et de Jarablus à l'aide de l'armée turque", selon une source militaire turque.
Les groupes terroristes
Les ennemis les plus sérieux des forces gouvernementales syriennes sont les groupes terroristes interdits dans toute une série de pays, y compris en Russie, tels que Daech et le Front al-Nosra.
Daech, créé en 2006 sur la base de la branche irakienne d'al-Qaïda, est devenue l'une des menaces principales pour la sécurité internationale en seulement quelques années. Ses combattants ont occupé des territoires considérables en Irak et en Syrie et Daech est l'une des organisations terroristes les plus riches avec un budget de 2,3 milliards de dollars — elle gagne quotidiennement un million de dollars en spéculant sur le marché noir du pétrole.
Le nombre exact de combattants de Daech actuellement présents sur le territoire syrien est inconnu. Selon les estimations, il s'agirait de 250.000 à 400.000 personnes. Ce groupe contrôle de 35% à 40% du pays — en majorité des régions désertiques —, notamment le nord de Homs, une partie de Raqqa, de Deir ez-Zor et de Hassaké.
Selon les données actuelles, le nombre de combattants de ce groupe est comparable à celui de Daech. Aujourd'hui, il contrôle près de 25% du territoire syrien: toute la province d'Idlib, une partie des banlieues de Damas, une partie du territoire situé à la frontière turque au nord de Lattaquié, près de la moitié des provinces de Deraa (sud) et de Quneitra (frontière syro-israélienne), ainsi que près de 40% de la province de Hama. Le Front al-Nosra chapeaute pratiquement tous les groupes radicaux en Syrie actuellement.
Comme l'opposition "modérée", ces groupes radicaux ne concertent pas leurs actions. Selon le ministère russe de la Défense, les terroristes connaissent des divergences de plus en plus considérables autour du contrôle des flux monétaires et du territoire. Les combattants de Daech ont même déjà lancé des attentats contre leurs "collègues" du Font al-Nosra.
Les trois fronts kurdes
Les milices kurdes sont leur principal bras armé. Selon certaines estimations, elles représentent près de 50.000 personnes. L'un des accomplissements les plus marquants des forces kurdes a été la libération de la ville de Manbij de combattants de Daech à l'aide de l'aviation de la coalition internationale menée par les Américains. Aujourd'hui, les Kurdes sont à l'offensive dans le nord de la province d'Alep. Ils ont connu certains succès près de la ville de Mari en libérant notamment plusieurs localités de Daech. Les milices kurdes poursuivent leurs combats et avancent actuellement vers la ville d'Al-Bab (30 kilomètres au nord-est d'Alep).
La situation des Kurdes est compliquée par le fait qu'ils sont obligés de combattre sur trois fronts: contre les djihadistes, l'ASL et les forces turques qui considèrent les unités kurdes comme terroristes.
La Russie, partie pour rester
Au cours de l'opération militaire russe — de septembre 2015 à mars 2016 — l'aviation russe a effectué plus de 9.000 vols. Ses frappes ont permis de freiner considérablement voire d'arrêter l'approvisionnement des terroristes, d'éliminer des milliers de criminels et de détruire 209 sites d'extraction et de traitement de pétrole. L'aviation russe a aidé les forces syriennes à libérer 400 localités — notamment l'ancienne ville de Palmyre — sur plus de 10.000 kilomètres carrés de territoire. L'opération russe en Syrie a également poussé l'opposition à mener des négociations de paix avec les autorités syriennes afin de trouver une solution politique au conflit.
Qui plus est, les efforts du Centre russe pour la réconciliation en Syrie ont permis de multiplier le nombre de localités ayant rallié la trêve: elles sont désormais 592. 69 groupes armés ont également annoncé leur attachement au respect des conditions du cessez-le-feu entré en vigueur le 27 février dernier.
Par ailleurs, la partie russe souligne en permanence sa volonté de coopérer avec tous ceux qui souhaitent résoudre le conflit syrien. Cela concerne évidemment tout d'abord les États-Unis.
La coalition
Pour le moment, les États-Unis préfèrent agir dans le cadre de la coalition internationale qu'ils ont créée contre l'EI en septembre 2014. Moscou, pour sa part, souligne qu'on ne peut pas considérer les actions de cette dernière comme légitimes du point de vue de la législation internationale car les Etats-Unis n'ont obtenu l'approbation ni du Conseil de sécurité de l'Onu ni de Damas.
Quoi qu'il en soit, ce format a été soutenu par plus de 60 pays dont certains — principalement des États de la région — participent aux frappes aériennes en Syrie. Les activités de cette coalition sont très bien financées: selon les données disponibles, le coût de la campagne contre Daech se chiffrait à 3,87 milliards de dollars au 31 août 2015, bien que son efficacité réelle soit inconnue.
Les divergences au sein de la coalition freinent également son efficacité. Ces derniers temps, les contradictions qui la traversent sont de plus en plus visibles — notamment entre la Turquie et l'Arabie saoudite. Les experts n'excluent pas que certains pays quittent prochainement la coalition.
"La coalition proaméricaine a déjà perdu ou pourrait bientôt perdre l'Arabie saoudite car l'opération turque réduit l'influence des Saoudiens et de leurs agents", estime Dmitri Evstafiev, professeur à l’Ecole des hautes études en sciences économiques, expert en conflits de moyenne et de faible intensité.
"L'avenir de la coalition est incertain. La crise qu'elle traverse actuellement a déjà atteint les limites tolérables par ses membres", souligne-t-il.
Or, vendredi les chefs de la diplomatie russe et américain ont convenu de coordonner leurs frappes aériennes dans certaines régions. Au terme de l'entente, en accord avec les dirigeants syriens, seules les Forces aérospatiales russes et la Force aérienne des Etats-Unis auront le droit de travailler dans certaines régions. En ce qui concerne les Forces armées syriennes, elles opéreront dans d'autres régions non concernées par la coopération russo-américaine.
La Turquie
Les autorités syriennes ne valident pourtant pas les initiatives turques. Damas considère cette opération comme une violation de sa souveraineté et souligne que les militaires turcs ne ciblaient pas les positions de Daech, faisant des victimes au sein de la population civile. Des représentants des forces kurdes ont quant à eux qualifié les actions de l'armée turque "d'agression visant notamment la population kurde".
Le ministère russe des Affaires étrangères a publié un communiqué soulignant son inquiétude face à l'avancée des forces turques et des groupes armés soutenus par ces dernières vers le centre du territoire syrien. D'après le ministère russe, les actions de la Turquie pourraient compliquer davantage la situation déjà difficile sur le plan politique et militaire dans le pays, et se répercuter sur les efforts internationaux visant à créer une plateforme de règlement du conflit en Syrie.