Brexit: quelles conséquences pour l'économie française?

© AFP 2024 Chris J RatcliffePro-Brexit flags fly from a fishing boat moored in Ramsgate on June 13, 2016.
Pro-Brexit flags fly from a fishing boat moored in Ramsgate on June 13, 2016. - Sputnik Afrique
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Et si le Brexit était une bonne affaire pour la France? Catastrophe ou planche de salut pour l'Angleterre, selon les opinions, le Brexit aura des conséquences pour les autres pays de l'Union européenne, et notamment la France. Analyse.

Brexit or not Brexit? Jeudi, les Britanniques seront appelés aux urnes pour se prononcer sur l'appartenance du Royaume-Uni à l'Union européenne. Si le résultat du vote demeure indécis, l'inquiétude elle semble bien présente: outre chez les principaux intéressés, c'est sur le continent que des voix s'élèvent pour mettre en avant les conséquences — aussi bien directes qu'indirectes — que pourrait avoir le fameux Brexit sur les économies nationales.

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Il faut dire que la Grande-Bretagne est un pays-membre de choix: si elle n'est que la 2e puissance économique de l'Union, derrière l'Allemagne, elle est sans conteste la première place financière européenne, voire du monde sur certains marchés. De plus, la capitale britannique accueille 40% des sièges sociaux européens des 250 plus grandes multinationales.

Et en cas de Brexit, une partie de ce beau monde pourrait déménager… à Paris et à la Défense — littéralement phagocyté par Londres ces dernières années. En bref, suivre l'invitation d'Arnaud Montebourg qui déclarait en 2014 qu'"En cas de Brexit nous déroulerons le tapis rouge aux investisseurs britanniques qui vont fuir leurs pays", un leitmotiv qu'il répétait au micro de Patrick Cohen — sur France Inter — le 8 juin dernier. Une pique à l'encontre de David Cameron, qui voulait lui, dérouler le tapis rouge aux investisseurs français fuyant la fiscalité à la française.

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En tout état de cause, la perspective réjouit la Chambre de Commerce et d'Industrie de Paris, qui en déploie déjà une campagne de communication pour pousser les entreprises à venir —ou revenir- en France. La ville de Paris n'est pas en reste, son secteur immobilier et la perspective d'entrées fiscales fraîches la fait saliver d'avance. Paris, dont les prix ont toujours été bien plus bas que Londres, verrait déjà les prix de ses plus beaux biens frémir à l'approche de la date butoir.

Le cabinet de notation américain Standard & Poor's, étude à l'appui, pense même que Paris pourrait remplacer Londres au sein de l'Union comme première place financière européenne. Et ce n'est pas HSBC qui contredira, le groupe bancaire britannique a annoncé qu'il ferait venir 20% de ses effectifs à Paris en cas de Brexit.

Sur le plan industriel, avec le rétablissement possible de frais de douane, des entreprises anglaises pourraient bien être tentées de traverser la manche. Une idée que soutiennent d'ailleurs plusieurs économistes de la London School of Economics (LSE). Mais il y a encore loin de la coupe aux lèvres, comme le souligne Xavier Timbeau, directeur de l'Observatoire Français des Conjonctures économiques (OFCE): en cas d'une victoire du "non", la sortie du Royaume-Uni ne serait pas immédiate, la législation actuelle — entre Londres et les capitales européennes — continuera à s'appliquer pour deux ans:

"L'autre point, qui est très important à comprendre, est que si aujourd'hui la City fonctionne à Londres, c'est non seulement parce qu'il y a des régulations qui sont plus intéressantes, ou parce qu'il y a quelques infrastructures qui sont adaptées, mais c'est surtout parce que tout le monde est réuni à Londres: les avocats d'affaires, les banquiers et que tout le monde peut se rencontrer dans le restaurant du coin ou au pub le soir et que cette proximité elle permet d'être très efficace dans les affaires et c'est ça qui conduit à cette spécialisation géographique, c'est quelque chose qui ne va pas se défaire en un jour".

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Le marché européen ne finirait-il pas par se fermer aux Anglais, à coups de sanctions contre les "déserteurs" de l'UE, au plus grand profit des producteurs continentaux? Certains pays membres pèsent déjà dans ce sens, soulignant qu'en plus de perdre ses avantages — tel le passeport financier — le Royaume uni devrait subir les foudres de la réglementation de Bruxelles:

"Au-delà des droits de douane, ce qui compte, c'est ce qu'on appelle les +barrières non douanières+ c'est-à-dire ce qui ne passe pas par des tarifs, mais qui est lié à tout un tas de choses qui ont trait à la réglementation, à la régulation… Quand vous construisez une voiture, aujourd'hui vous bénéficiez d'un environnement réglementaire européen qui fait que les normes sont européennes et donc quand vous construisez une voiture au Royaume-Uni, si l'usine est conforme à la réglementation européenne, la voiture est certifiée conforme et vous pouvez la vendre n'importe où en Europe sans avoir besoin d'une autorisation particulière. Demain, si le Royaume-Uni sort de l'Union européenne, il n'y a aucune raison de conserver cet état de choses et donc la voiture que vous construisez au Royaume-Uni vous devez la certifier au moment où vous l'exportez vers l'UE — puisqu'à ce moment-là ce sera une exportation — et cela ça peut dissuader un fabricant de voitures d'aller installer son usine au Royaume-Uni".

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Si le "Brexit" semble présenter des inconvénients pour la Grande-Bretagne, pas sûr que ce soit la France qui réussisse à tirer les marrons du feu, selon le financier et économiste Charles Gave. Si la France perd ses entreprises, ce n'est pas vraiment pour des questions d'espace économique commun: l'hexagone demeure à ses yeux fondamentalement hors course en matière de compétitivité, difficile à concevoir pour lui que Paris puisse tirer une quelconque embellie économique d'un désarrimage de Londres de Bruxelles:

​"Je ne connais pas une seule entreprise financière qui va venir s'établir à Paris tant que l'inspection des finances sera là. Ces gens-là ont réussi à détruire la place de Paris depuis 30 ans avec beaucoup de constance et je ne vois pas pourquoi les gens devraient revenir ici […] La raison pour laquelle tout le monde est à Londres, c'est le droit Britannique — la Common Law — qui est un droit de jurisprudence, s'imaginer qu'on va se précipiter pour être géré par des droits de code comme on a en Europe me parait une idée un peu curieuse…"

D'autant que la fiscalité française n'est guère incitative, avec pour seul exemple la Taxe sur les transactions financières (TTF), mise en application à l'été 2012, de l'ordre de 0.2% sur chaque achat d'action d'une société française dont la capitalisation boursière dépasse un milliard d'euros. Une initiative franco-française, qui vient s'ajouter à celle sur laquelle planche, sans grande conviction, la Commission européenne: la taxe "Tobin", du nom du prix Nobel d'économie, James Tobin, qui avait fait cette proposition… dans les années 70.

Une taxe qui aux dernières nouvelles, devrait s'élever à 0,1% sur les actions et obligations et 0,01% sur les produits dérivés, à partir du moment où l'une des parties de la transaction est domiciliée dans l'un des 10 pays participant — depuis le retrait de l'Estonie —, parmi lesquels l'absence de l'Angleterre est criante.

Progressivement, la place financière de Paris s'est complètement délocalisée dans la banlieue de Londres, avec en point d'orgue le déménagement en 2009 des serveurs de NYSE Euronext, auquel les bourses de Paris, Amsterdam, Bruxelles et Lisbonne sont intégrées. Quant au Palais Brongniart, place de la Bourse à Paris, s'il continue d'illustrer les articles financiers de certains quotidiens, il sert aujourd'hui d'espace d'exposition, sa salle de marché a quant à elle été transformée en salle de cocktail. Dernier fait notoire de ce qui fut le palais du capitalisme français: En février 2016, le bâtiment a servi à battre le record mondial… de fondue.

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Paris est toujours la ville qui — au monde — fait le plus fuir ses millionnaires, comme le révèle le dernier rapport annuel du cabinet sud-africain New World Wealth, 10 000 français, dont 7000 parisiens, possédant un capital de plus d'un million d'euro ont quitté l'hexagone en 2015, c'est plus encore qu'en Chine ou qu'en Inde, qui demeurent pourtant les deux pays les plus peuplés de la planète. Première destination de ces contribuables à fort potentiel: Londres! Qui compte déjà 225 000 français établis, d'après les sources consulaires, des contribuables loin de vivre au crochet de l'état français, mais qui injectent leurs capitaux dans l'économie britannique à défaut de vouloir régler, par exemple, la note des cadeaux électoraux successifs ou de la compensation des pertes de la SNCF suite aux grèves à répétitions des cheminots.

Pour notre expert, Charles Gave, auteur du livre " L'État est mort, vive l'État! " (Editions François Bourin, 2009) qui épingle l'hypertrophie de l'État, penser que ce flot de capitaux, comme de forces vives vers la Grande-Bretagne, va se tarir avec la sortie du pays de l'Europe est, là encore, une belle illusion…

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"Ils vont continuer, il y en a de plus en plus qui vont y aller, l'idée que le flux vers l'Angleterre va s'arrêter parce qu'ils deviennent plus libre… il va s'accélérer. Ce n'est pas l'Europe qui a créé la croissance en Europe, c'est simplement le libre-échange pendant un grand moment, et puis maintenant comme car l'Union européenne est devenue une union douanière et non pas une zone de libre-échange, comme il n'y a plus de libertés, plus l'Angleterre deviendra libre, plus les autres européens iront en Grande Bretagne, c'est la vieille histoire des protestants français quand l'édit de Nantes a été révoqué".

Si Paris a de manière quasi-héréditaire toujours vu Londres se dresser devant elle, au cours des siècles passés, c'est aujourd'hui Francfort qui pourrait rafler les éventuels retombées positives d'un retour de capitaux européens, basés à Londres, sur le continent.

Un constat également dressé par Xavier Timbeau, d'autant plus que si Paris possède des sièges de grandes banques — attributs dont sa rivale outre-Rhin s'est également dotée ces dernières décennies — la configuration institutionnelle même de l'espace européen pourrait faire pencher définitivement la balance…

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"Ce qui est vrai c'est qu'il y'a quelques décennies, Londres et Paris étaient assez proches du point de vue de l'activité financière, c'est vrai qu'il y a, à Paris, et contrairement à ce qui se passe en Allemagne, une concentration de sièges sociaux et donc de cabinet de consultants, de cabinets d'avocats et donc de banquiers qui est assez importantes, il y a aussi quelques-unes des plus grandes banques du monde, en particulier la BNP Paribas, dont le siège est à Paris, donc tout cela ça constitue des premiers éléments d'agglomération en quelques sortes, donc Paris effectivement est un candidat, évidemment il y'a un deuxième candidat en Europe qui est Francfort, et là c'est le fait qu'il y ait quelques grandes banques allemandes qui sont installées à Frankfort, mais c'est surtout la banque centrale européenne et donc le régulateur du système banquier européenne: la proximité avec le régulateur est toujours quelque chose d'intéressant et d'important".

Autre point qui pourrait ne présage rien de bon pour Paris qui pourrait être écarté de la course: à la mi-mars, aboutissait le projet de rapprochement capitalistique entre la Bourse de Londres (London Stock Exchange) et celle de Francfort (Deutsche Börse). Et ce n'est pas le Brexit qui risque de faire capoter ce mariage au profit de la France. 

Les opinions exprimées dans ce contenu n'engagent que la responsabilité de l'auteur.

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