CGT versus Valls: une guerre sans vainqueur

© AFP 2024 Francois Lo PrestiDes blocages et manifestations de grande envergure secouent la France
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Les actions de la CGT tournent à la guerre ouverte contre le gouvernement et l'organisation radicalise son discours en vue de reprendre la main dans le syndicalisme. Les deux adversaires campent sur leurs positions, au risque de se couper complètement de la population.

"La CGT ne fait pas la loi." C'est ce qu'a déclaré Manuel Valls ce jeudi 26 mai devant l'Assemblée nationale lors de la séance des questions posées au gouvernement. Le gouvernement ne cède donc pas sur la Loi Travail. Le Premier ministre a aussi fustigé une "organisation minoritaire" en parlant de la CGT et des actions qui se sont multipliées ces derniers jours.

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En effet, mercredi soir, les représentants de l'organisation syndicale ont décidé de bloquer la diffusion des journaux; dernier avatar d'un bras de fer qui voyait déjà depuis plusieurs jours les salariés des raffineries et des dépôts pétroliers bloquer l'approvisionnement en essence, avec pour résultat qu'au moins 1 500 stations-service se retrouvent proches de la pénurie.

Si, selon le chef du gouvernement, "la CGT ne peut pas faire la loi", que peut faire le syndicat dans le respect de la loi? Maître Christophe Noël, avocat, nous explique ce qui relève du licite et de l'illicite dans les grèves et les blocages récents:

"Le gréviste n'a pas de droit de bloquer l'entreprise, n'a pas droit de l'empêcher de fonctionner, on n'a pas droit de se mettre devant les grilles de l'entreprise pour empêcher par exemple les non-grévistes de venir travailler. Vous avez droit de cesser votre travail, vous n'avez pas le droit d'empêcher les autres de travailler. La difficulté, c'est que dans des raffineries, dans des centrales nucléaires, les grévistes restent malgré tout minoritaires. Donc ce qu'ils font, c'est qu'effectivement ils exercent une grève qui n'est pas une grève licite.

Donc dans ce cas-là effectivement lorsqu'il y a un trouble caractérisé dans l'entreprise on peut faire appel aux services de police, aux services de gendarmerie pour effectivement rétablir l'ordre."

Que se passerait-il si la CGT parvenait à convaincre l'ensemble du personnel de faire grève?

" Si demain la CGT arrivait à convaincre l'ensemble de salariés de faire grève, on ne pourrait pas remplacer ces salariés grévistes et les raffineries ne fonctionneraient plus. Et là, on n'aura le droit de ne rien dire. Imaginons, dans une raffinerie à qui il faille 90% du personnel pour que ça tourne, si 90% de ce personnel se met en grève, la raffinerie ne tourne plus.

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Dans ce cas-là, le gouvernement a quand même le droit de faire ce qu'on appelle une réquisition des grévistes parce qu'il pourrait invoquer le fait qu'il y a une atteinte à l'ordre public et qu'il y a une mise en péril de la société. Ça s'est déjà passé d'ailleurs en 2010. Je prends un décret et les salariés qui sont grévistes, je les réquisitionne pour qu'ils aillent bosser. Mais dans ce cas-là la CGT évidemment, ce qu'elle ferait, c'est qu'elle saisirait le tribunal administratif."

Il semble bien que l'organisation syndicale et le gouvernement soient installés dans un dialogue de sourds. Sur le plan juridique, que devrait faire la CGT afin de se faire entendre?

" Le seul conseil juridique que je pourrais donner à la CGT c'est peut-être de ne pas mener une guérilla urbaine, une guérilla politique marginale, mais plutôt d'essayer de convaincre la base et l'ensemble du personnel de ces entreprises de faire grève. Parce que si demain tous les salariés des raffineries, tous les salariés des centrales se mettent en grève, elles ne fonctionneront pas. Et là, c'est parfaitement normal, c'est parfaitement licite.

Comme on est parti là, comme il y a une telle confrontation, après l'opinion publique, elle peut tourner. […] Je veux dire qu'à force d'être dans une confrontation permanente, le mouvement peut s'étendre et s'élargir.

Le gouvernement passe en force au parlement. Il passe en force au niveau de ses propres partis. Il passe en force au niveau des entreprises. Et il risque de passer en force demain en réquisitionnant les salariés grévistes. À force de se mettre tout le monde à dos, il joue un jeu dangereux quand même."

Voici quelques années, la CGT avait mis en place une politique tournée vers le consensus. Les derniers évènements et la nouvelle direction du syndicat montrent un revirement total de stratégie. Quel intérêt pour la CGT d'opérer une telle radicalisation? M. Dominique Andolfatto, chercheur en sciences politiques et spécialiste du syndicalisme, nous explique:

" Il y a des raisons qui sont externes à la CGT et il y a d'autres raisons qui lui sont propres, qui sont internes à la CGT. La raison officielle, c'est que la CGT est contre cette réforme qu'on appelle le projet de loi de Travail.

Martinez, il vient d'arriver, il vient d'être légitimé à la tête de la CGT et on a l'impression qu'il veut imposer son leadership, montrer qu'il est maintenant le Secrétaire général et peut-être même il a l'ambition d'être le dirigeant de l'opposition au gouvernement français alors que l'opposition est un peu mal perçue, un peu divisée."

L'entêtement des deux côtés semble davantage peser sur la vie de tous les jours. De nombreux élus de gauche refusent la Loi Travail et les divisions au sujet de ce projet traversent même le PS. De son côté, La CGT s'enferme dans une voie qui l'isole du reste des courants sociaux.

D'un côté, nous avons une minorité syndicale qui représente de moins en moins de travailleurs et d'un autre côté, nous avons un gouvernement qui est isolé au sein de son propre camp politique, voire un épouvantail pour la gauche. Peut-on dire que nous avons deux minorités qui tiennent la majorité en otage?

" Ces deux minorités ont chacune de leur côté leur légitimité en quelque sorte. La CGT est un syndicat représentatif, donc en France il dispose d'une certaine marge d'action dès lors qu'il est reconnu. Et de l'autre côté le gouvernement, il est issu des urnes, des élections, il est également légitime. 

Mais c'est vrai que tant le gouvernement que la CGT au fur et à mesure des années ont vu leurs soutiens s'éroder. Il y a deux logiques qui s'affrontent, qui semblent a priori plutôt minoritaires sur le papier."

La CGT ne chercherait-elle pas à surfer sur des vagues de contestations et de jouer la carte de la surenchère?

" Je pense que Philippe Martinez en fait il est conscient et la CGT, ils sont conscients de l'impopularité, en fait tout le monde est conscient du gouvernement. Actuellement, le gouvernement français est très impopulaire et je pense qu'il a dû se dire, la CGT a dû se dire, que la direction a dû se dire que c'était l'occasion d'essayer de frapper une espèce de grand coup contre le gouvernement pour notamment faire échec à cette réforme.

On va savoir très vite comment l'opinion publique évolue, il y a des enquêtes qui vont le montrer, etc. L'opinion va se retourner probablement. Là, il est déjà retourné contre le gouvernement, elle va se retourner contre la CGT."

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La CGT est en perte de vitesse dans élections syndicales face à la CFDT, tandis que la FO semble adopter une attitude ambiguë en se tenant dans tous les camps, comme nous l'indique M. Andolfatto. En effet, la CFDT a réussi à discuter avec le gouvernement avant la parution de la Loi Travail, et FO fut laissée de côté; la tactique de la CGT relève-t-elle d'une volonté stratégique de redevenir le représentant syndical n° 1?

"La CGT a connu ces derniers mois certaines difficultés. Il y a eu un problème de direction, parce que le prédécesseur de Philippe Martinez a été mis en cause parce qu'il aurait été payé trop chèrement, il y avait un problème avec sa rémunération. Et puis il manquait de leadership également, donc on l'a poussé dehors. Donc il y a eu un problème de direction.

Philippe Martinez veut montrer qu'il a repris la main. Et la CGT est un peu déclinante depuis quelques années, c'est-à-dire qu'elle perd petit à petit de l'audience dans les différentes entreprises, notamment dans les entreprises publiques. Avec ce mouvement social, on a l'impression que la CGT veut montrer qu'elle va réussir à se réimposer dans les entreprises, dans la société française."

La question actuelle est donc de savoir qui sera le leader d'une gauche actuellement morcelée, qu'elle soit militante ou partisane. Le débat est lancé et le jeu démocratique est ouvert à tous.

Les opinions exprimées dans ce contenu n'engagent que la responsabilité de l'auteur.

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