Première réaction des autorités françaises et européennes après les attentats de Bruxelles: l'annonce du renforcement de la présence policière, voire militaire, dans les lieux très fréquentés. Mais patrouilles et contrôles ne suffisent pas. Sputnik a relevé les mesures appliquées dans certains pays et interrogé les experts. Revue de détail.
1) Privilégier le contrôle des bagages à l'entrée des aéroports et des gares
Si ces mesures rassurent l'opinion publique, elles montrent rapidement leurs limites. Rien n'empêchera un individu déterminé de se faire sauter au milieu d'une foule… ou de changer de cible si celle qu'il visait était trop bien protégée. Impossible de pénétrer dans un aéroport? Un bus fera l'affaire!
C'est ce que souligne le général Jean-Bernard Pinatel: augmenter la sécurité ne revient qu'à déplacer le problème. Il tient toutefois à insister sur la nécessité pour l'État de quitter une posture défensive inadaptée à la lutte antiterroriste, et de priver les terroristes de l'initiative dont ils jouissent aujourd'hui.
"Il faut quand même raisonner beaucoup plus par rapport aux terroristes: si vous protégez un lieu quelconque, ils iront frapper ailleurs. Vous ne pouvez pas protéger tous les sites sensibles en permanence au même moment. Donc la réponse au terrorisme ne peut pas être défensive, par la mise en place sur une politique globale, au niveau de la France puis de l'Europe, une politique étrangère efficace et qui fasse pression sur les pays qui aident ces terroristes".
2) Renforcer les patrouilles et faciliter les contrôles et fouilles
Deux mois après l'attaque déjouée à bord du Thalys reliant Amsterdam à Paris, les fouilles et inspections de bagages avaient été renforcés, mais restaient soumises au bon vouloir des passagers. Bernard Cazeneuve vient d'annoncer leur systématisation, une mesure immédiatement jugée "irréalisable" par la CFDT Transport Environnement.
Certains pays y arrivent pourtant, comme Israël, qui a une longue histoire de prévention des attentats. Malgré l'absence de scanners sophistiqués et la contrainte de devoir retirer ses chaussures, l'aéroport Ben Gourion de Tel-Aviv demeure une référence mondiale en matière de sécurité… et fonctionne. Les Israéliens s'appuient sur le profilage, l'intuition et l'expertise d'agents entrainés, qui interrogent discrètement les voyageurs pour en évaluer les intentions. À noter aussi que tous les véhicules pénétrant dans la zone aéroportuaire doivent passer un contrôle strict. Le résultat est là: aucun attentat depuis plus de 40 ans.
3) Lutter contre les zones de non-droits et la ghettoïsation
Si la commune bruxelloise de Molenbeek-Saint-Jean est aujourd'hui dépeinte comme la capitale européenne du djihadisme, après que les autorités locales aient fermé les yeux durant des décennies sur la ghettoïsation, de plus en plus de voix s'élèvent en France pour dénoncer ce même phénomène, déjà constaté dans plusieurs cités et quartiers sensibles, qui forment un terreau propice au terrorisme de demain.
"On ne doit pas laisser des zones de non-droit, où les trafiquants de drogues et d'armes s'installent, cela suppose là aussi des mesures de renforcement des forces de l'ordre, de renforcement des juges — parce que notre justice est totalement encombrée — et donc il faut que l'État, au lieu de faire du social, se concentre sur ses fonctions régaliennes. Les fonctions régaliennes c'est d'abord assurer la sécurité des gens. Or, l'État a diminué tous les moyens de ses fonctions régaliennes depuis longtemps au profit d'un rôle économique et social […] Aujourd'hui l'État n'est pas en mesure d'assurer la sécurité, parce qu'il ne s'en donne pas les moyens… et ça c'est le problème de base."
4) Se doter d'une politique pénale adéquate
Un renforcement des pouvoirs régaliens qui passe donc par la mise en place d'une politique pénale en adéquation avec l'enjeu de la lutte antiterroriste, insiste le Général Pinatel:
C'est la lutte contre la récidive que pointe du doigt le général: la plupart des auteurs des attentats de Paris et de Bruxelles, ainsi que de leurs complices, étaient défavorablement connus des autorités. Mais il ne faut pas oublier les volets de prévention et de déradicalisation, comme le souligne Alexandre Vautravers, spécialiste des questions de sécurité au Global Studies Institute de l'Université de Genève. À problème complexe, solution complexe, détaille-t-il.
"Je crois qu'il n'y a pas qu'une seule mesure ou une seule solution à ce problème. Il faut vraiment travailler en amont sur la prévention, sur un contre-discours pour essayer d'enrayer la radicalisation. C'est, je pense, le point essentiel. À partir du moment où des gens sont partis à l'étranger, partis en Syrie pour aller combattre, là il faut se rendre compte qu'actuellement les mesures sont très imparfaites et il faut trouver des solutions nouvelles. Beaucoup de pays sont aujourd'hui dans une phase d'expérimentation avec beaucoup de quartiers de sécurité, avec des programmes de dé-radicalisation, avec des suivis psychologiques. Il y a beaucoup d'expériences différentes qui sont en train d'être traitées."
5) Plus de moyens humains pour le Renseignement
Une tâche ardue, tant il est difficile de connaître avec précision les cibles des terroristes, comme le souligne amèrement Alexandre Vautravers. Il défend d'ailleurs les services de renseignement belges, injustement critiqués selon lui après les attentats de Bruxelles:
"Ils ont prévenu 24h à l'avance de l'imminence d'une attaque. J'entends beaucoup de personnes parler de failles dans le renseignement, mais ce n'est pas dans le renseignement qu'il faut chercher le problème […] On ne peut pas absolument sécuriser chaque lieu public. […] On le voit avec la situation récente en Côte d'Ivoire: même quand vous avez des informations très précises, vous ne savez exactement où l'attaque peut survenir."
6) Plus de coopération à l'échelle européenne
Une coopération qui se passe bien au niveau policier et judiciaire, selon Alexandre de Vautravers:
"Avec Schengen, dans le domaine des forces de police, du contrôle des frontières, de la justice, depuis plusieurs décennies maintenant, on est dans une situation où les échanges d'informations se font de manière routinière, très efficace, ça c'est quelque chose qui fonctionne très bien."
"Dans le domaine des services de renseignement, les échanges d'informations sont beaucoup plus difficiles… Déjà à l'intérieur d'un même pays, entre les services, et puis [entre pays], le phénomène est encore plus complexe.
Je sais qu'il est en train d'être discuté à Bruxelles la création d'une agence, d'une organisation nouvelle, pour pouvoir justement relier les différents services de renseignement, mais je crois qu'à Bruxelles on n'a certainement pas besoin d'administration supplémentaire, il existe déjà un certain nombre d'institutions qui peuvent reprendre cela au pied levé, mais il s'agit d'attribuer ces fonctions et c'est une question de volonté politique."
7) Plus de coopération entre les services… à l'échelle mondiale
Cependant ce n'est pas si simple pour notre expert en terrorisme, Alexandre Vautravers:
"C'est un problème plus vaste et plus compliqué, il faut se rendre compte que les services de renseignement protègent vraiment très jalousement leurs sources[…] Lorsque vous communiquez des informations […], cela donne des renseignements […] sur la manière dont les services de renseignement opèrent."
8) Une politique étrangère cohérente
"La première mesure que je dis depuis X temps, c'est de demander l'exclusion de la Turquie de l'OTAN. De dire aujourd'hui: la Turquie qui est un membre de l'OTAN, ou on l'exclu de l'OTAN ou elle stoppe complètement son affaire… la Turquie a une grande armée, si elle voulait bloquer sa frontière elle pourrait le faire, hors elle ne le fait pas, elle préfère aller tirer sur les Kurdes — qui représentent 15 millions de personnes et constituent 20% de sa population — on est totalement complice de ce qui se passe aussi avec la Turquie. Regardez Angela Merkel qui va discuter avec les Turcs et on paie les Turcs, alors qu'ils sont partie prenante de cette guerre".
À l'heure où les députés s'écharpent sur l'adoption de mesures symboliques, telles que la déchéance de nationalité, les responsables de la luttent antiterroriste s'alarment de la situation en Europe. En effet, ils soulignent que les attentats qui ont frappé Bruxelles surviennent quatre jours à peine après l'arrestation et l'incarcération du dernier auteur des massacres du 13 novembre encore en vie. L'escalade est dans l'esprit de tous les professionnels de l'anti-terrorisme. Le pire resterait à venir.
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