Les medias allemands ont depuis deux ans développé une véritable schizophrénie à l'égard de la Russie. Les propos de Medvedev lors de la Conférence sur la Sécurité ont été repris, mais on s'est focalisé en long et en large sur le terme de « 3ème Guerre Mondiale »; la paranoïa est-elle de retour?
Paranoïa ou pas, les services de renseignements allemands (Bundesnachrichtendienst, BND) ont pris en compte récemment l'influence des médias russes et russophones sur la politique allemande.
Le but des médias russes serait de déstabiliser l'Europe de l'intérieur (guerre hybride) en exagérant la gravité des agressions de la Saint-Sylvestre et en blâmant Merkel pour tous les maux que traverse l'Allemagne actuellement (crise des migrants, chômage des jeunes, affaire Volkswagen, musique de Stefan Raab). Nous avions déjà évoqué ce problème dans un de nos articles précédents.
En tout cas c'est ce que clament haut et fort les agences de presses (NDR, WDR) ainsi que les bloggeurs teutons « spécialistes de la Russie » (qui ont évidemment une connaissance approfondi du pays depuis leurs appartements à Francfort).
Mais cela ne concerne pas seulement la société civile. En effet, un haut représentant des Affaires Etrangères allemandes a déclaré dans la presse que la « déstabilisation systématique de la communauté occidentale » était le fait de puissances étrangères. La France et la Hongrie sont pointées du doigt régulièrement pour les formations et politiciens populistes, et l'influence de Moscou sur ces derniers (Front National, Victor Orban).
Un lien est fait entre ces médias et les mouvements et partis populistes que sont PEGIDA et AfD. Le gouvernement allemand se creuse la tête depuis des mois pour agir dans ce sens. Malheureusement pour l'Office Fédéral de Protection de la Constitution (Bundesamt für Verfassungsschutz), les autorités n'ont pas de mandat pour surveiller les groupes politiques précités.
« La Russie a compris les règles de communication; elle laissait le champs libre à d'autres en matière de communication, et elle est particulièrement active depuis quelques années. Mais de là à créer ou susciter des actions de partis politiques étrangers, ça me semble un peu gros, sauf s'il y a des preuves.
Regardez en France la polémique que nous avons avec le financement du Front National; la Russie n'a certainement pas encouragé ou suscité le Front National, bien qu'une banque russe ait participé au financement du Front National (parce que les banques françaises ont refusé). Mais la Russie ne fonde pas de partis politiques en Allemagne. »
L'Allemagne est une puissance européenne qui a toujours eu des relations spéciales avec la Russie; tantôt alliée, tantôt ennemie, tantôt partenaire, mais jamais indifférente. Une position de « Ost-Politik » ne serait-il pas un avantage pour l'Allemagne?
«Bien sûr! Cela rejoint la position géographique de l'Allemagne. La France a un rôle important dans le bassin méditerranéen, et tournée vers le Sud. L'Allemagne a toujours eu une forte influence à l'Est. Cela devrait être un atout pour l'Europe. »
Poutine est partout dans les medias allemands; Ukraine, crise des migrants, PEGIDA, le trafic routier et l'aménagement du territoire; tout est la faute à Poutine! Au point que même des journalistes du magazine « der Spiegel » (réputé pour son objectivité dans le traitement des informations) ont plus d'une fois dénoncé cette psychose et cette chasse aux sorcières.
Surnommé « Le Mad Man » dans le passé, et considéré par Merkel comme un « ermite vivant dans son petit monde », Poutine est le diable depuis 2014. La Russie en est réduite au rôle qu'elle avait au 19ème siècle: un pays barbare, à l'opposé d'une Europe éclairée.
C'est pourtant la conséquence de cette guerre des médias: en voyant l'ombre de Poutine partout, et en accusant la Russie de tous les maux, les médias et les responsables politiques prennent le risque de diviser la population allemande (ironie du sort, car c'est ce dont ils accusent les médias russes).
Cette division du pays et du peuple rejoint la carcasse de l'ancienne Ost-Politik (pratiquée de Willy Brandt à Gerard Schröder).
Cette Ost-Politik abandonnée permettait au pays (à la fois capitaliste et fortement social) de travailler et commercer avec les Etats-Unis et avec la Russie; cela permettait aussi à l'Allemagne de tenir une place sur la scène internationale, et de servir d'intermédiaire pour la Détente et la fin de la Guerre Froide.
A l'heure où deux blocs se reforment et s'affrontent indirectement (Ukraine, Syrie, Balkans), une Allemagne proche de l'Ouest et de l'Est aurait des conséquences importantes quant à apaiser les tensions actuelles.
L'Allemagne d'aujourd'hui, en choisissant un camp qui n'est pas le sien, perd sa force, et donc son droit d'accuser un autre pays de s'immiscer dans ses affaires internes.
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