Elle s'avère un cadre de réflexion prioritaire, que ce soit en France ou dans d'autres pays. L'approfondissement de la crise de l'Union européenne, déchirée entre la crise des réfugiés et les problèmes économiques de nombreux pays, rend cette perspective de plus en plus indispensable.
Il faut ainsi constater que ce cadre est largement partagé. Il en est ainsi en Espagne. Signalons que Pablo Iglésias, le dirigeant de PODEMOS, lors du discours qu'il a prononcé comme candidat du groupe de la Gauche Unitaire Européenne (GUE) à la présidence du Parlement Européen le 30 juin 2014, a utilisé ces termes: « la démocratie, en Europe, a été victime d'une dérive autoritaire (…) nos pays sont devenus des quasi-protectorats, de nouvelles colonies où des pouvoirs que personne n'a élus sont en train de détruire les droits sociaux et de menacer la cohésion sociale et politique de nos sociétés ». Ce sont des mots forts. Ils décrivent un processus de domination politique qui est de type quasi-colonial, établi sur les pays européens par les institutions européennes travaillant au profit de l'Allemagne et des Etats-Unis. Mais, plus important encore, ce processus induit des effets importants sur les élites politiques de chaque pays. C'est ce que l'on peut appeler le processus de « compradorisation » des élites nationales, processus qui les conduit à intégrer et à présenter comme leurs des intérêts qui sont en réalité ceux de puissances étrangères. Voilà ce qui justifie pleinement l'idée de Fronts de Libération Nationale. Les dernières élections régionales ont montré que le Front national continuait ses progrès, que le parti dit socialiste continuait de baisser et que ceux qui se font appeler les « républicains » avaient du mal à convaincre. On n'a pas assez relevé que le nombre de voix qui s'est porté sur les candidats du Front National est passé de 6 millions à 6,8 millions entre le premier et le second tour. Le nombre de voix exprimées s'est ainsi accru au total de 12,7% (avec 2,764 millions de voix) quand le nombre de voix pour le Front National a augmenté de 13,5% (811 523 voix). Le pourcentage du vote FN dans l'accroissement des votes entre les deux tours a ainsi été de 29,3% alors que le pourcentage des votes pour le FN ne représentait « que » 27,7% des voix exprimées au premier tour. En ce sens, il est incontestable que le Front National est le parti qui a le plus profité de la baisse du nombre des abstentionnistes entre le premier et le second tour. Mais, en même temps, ces élections ont confirmé que le Front National faisait toujours peur, et ceci moins en raison de son programme que de ce que l'on suppose de son programme. Cela explique la qualité des reports des voix de gauche sur les candidats de la droite traditionnelle, reports qui ont coûté la présidence de région aux candidats du Front National dans plusieurs régions.
Ainsi, le problème du périmètre de ce « front », ou de cette coordination de forces politiques, est toujours posé. On peut dire que, sur ce point, rien n'a changé. On a ainsi pu constater qu'un certain type de discours, justement le discours dit « identitaire », choquait profondément les français qui sont viscéralement attachés à une conception politique du peuple et de la Nation. Il faut y voir l'une des raisons à l'incapacité du Front National à concrétiser ses succès. Ainsi, si le Parti de Gauche continue sa lente évolution vers des thèses qui seraient plus ouvertement « souverainistes, chose dont il faut se réjouir, Le Front National n'a toujours pas évolué sur des points essentiels pour la délimitation du périmètre de ce « front ». Ces points sont connus. Il s'agit de la division du salariat (qui en période de crise et de chômage de masse aura des conséquences désastreuses tant pour les travailleurs français que pour les étrangers) qu'implique la « préférence nationale » dans les emplois du secteur marchand, ou de son rapport à la laïcité et à l'Islam. La balle est donc dans son camp.
Que ce soit sur la laïcité ou que ce soit sur ce qui constitue le peuple français, on connaît les lignes de fracture qui séparent ceux qui se réclament du souverainisme. Ces lignes ont été explicitées dans l'ouvrage que j'ai publié à la mi-janvier aux éditions Michalon, sous le titre Souveraineté, Démocratie, Laïcité. Eric Zemmour, d'ailleurs, ne s'y est pas trompé qui a réagi vivement sur certains points de ce livre. Si la question de la souveraineté est bien essentielle, ce que l'on affirme depuis des années, cette question implique d'avoir une pensée claire sur ce qui constitue le « peuple » et sur les conditions politiques de son unité. Si nous avons besoin de la notion de souveraineté pour fonder une démocratie, c'est parce que le « peuple » est une réalité hétérogène, qui ne prend sens que politiquement quand il définit des biens communs. Si cette vision permet de penser la démocratie, elle impose aussi de penser la laïcité, un point que les débats actuels rendent de plus en plus important.
En fait, les positions de type « identitaires » que certains défendent sont — quant à elles — parfaitement cohérentes avec une certaine vision de l'Union européenne et de l'Euro. En un sens, elles constituent même LA cohérence profonde de l'attachement politique à la monnaie unique à travers la construction de ce mythe d'un « peuple européen » que l'on ne peut définir hors de toute historicisation et de toute politique que comme « blanc » et comme « chrétien ». En réalité, la critique que j'articule depuis des années contre l'Euro et contre les dérives anti-démocratiques de l'Union européenne est aussi une critique contre les fondements identitaires de ces institutions. En effet, soit l'Euro et l'UE sont des constructions sans discours idéologique, et on sait que sur le plan purement technique ces constructions ne résistent pas à la critique, soit elles doivent se doter d'une traduction politique, qui entraîne nécessairement la production d'une idéologie qui lui corresponde, et la seule qui puisse correspondre est, en l'occurrence, le discours identitaire.
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