Ankara a accueilli avec enthousiasme le "printemps arabe", en y percevant la possibilité de "maîtriser le vent de changements au Proche-Orient", mais le conflit syrien a tout changé, écrit le spécialiste de la Turquie Henri Barkey dans un article pour Foreign Policy.
Tout récemment encore, la Turquie nouait énergiquement des liens avec ses voisins, grignotant toujours plus de terrain jusqu’à devenir un acteur dominant dans la région. C'était un exemple classique d'usage de "soft power" par le biais de la démocratisation et de réformes à l'intérieur du pays, combinées avec une diplomatie omniprésente qui permettait à Ankara de jouer un rôle d'intermédiaire dans les conflits régionaux.
"Maintenant, cette politique gît en ruines, victime d'un revirement inattendu dans le +printemps arabe+, surtout en Syrie, ainsi que de la condescendance et des mécomptes (d'Ankara, ndlr) dans la politique intérieure et extérieure", relève M.Barkey.
Quand en 2010, le "printemps arabe" a éclaté dans la région, la Turquie a décidé qu'elle pourrait devenir la principale puissance de la région, mais son euphorie n'a pas duré longtemps. En Egypte, par exemple, où les Frères Musulmans, soutenus par Ankara, étaient arrivés au pouvoir, ont été vite balayés et les Turcs n'ont toujours pas réussi à établir de bonnes relations avec les nouvelles autorités (militaires).
"Mais c'est justement en Syrie où le régime du président Bachar el-Assad s'oppose fermement à la rébellion, soutenue énergiquement par Ankara, que les ambitions politiques de la Turquie ont été pulvérisées", indique l'auteur.
Et d'ajouter qu'avant le "printemps arabe", les présidents turc et syrien avaient entretenu d'étroits rapports d'affaires et même personnels. Néanmoins, après les troubles de 2011 qui ont dégénéré en guerre civile en Syrie, Recep Tayyip Erdoğan s'est détourné de son ancien alliée et amie.
Il a publiquement qualifié Bachar el-Assad de dictateur qui ne se maintiendrait au pouvoir que quelques mois tout au plus. Pire, Erdogan a appelé à renverser le président syrien.
Par ailleurs, le président turc s'est mis à critiquer les Etats-Unis pour leur refus de s'ingérer dans le conflit syrien qui a, en outre, porté un "coup mortel" au processus de paix entre Ankara et les Kurdes.
Henri Barkey attire également l'attention du lecteur sur le rôle qu'a joué la Russie dans la baisse d'influence du président turc.
"Bien que le conflit avec les Kurdes ait sérieusement affecté les positions d'Erdogan dans le pays et sur la scène internationale, celui-ci s'est retrouvé effectivement dans l'impasse quand la Russie est intervenue en Syrie aux côtés d'Assad", fait-il remarquer.
La destruction en novembre d'un bombardier russe par un chasseur turc dans le ciel syrien a entraîné des mesures de rétorsion, adoptées par Moscou dans les domaines économique, politique et militaire.
"Erdogan a sous-estimé (le président russe Vladimir) Poutine. Sa décision d'abattre l'avion russe s'expliquait sans doute par les échecs de la Turquie en Syrie et les succès remportés par la Russie et l'Iran, qui sont venus au secours d’une armée syrienne épuisée par des mois de lutte contre les alliés d'Ankara en Syrie", estime l'expert.
Sa conclusion est que la politique turque n'a plus aucun rapport avec la Turquie, mais ne relève que de la volonté de Recep Tayyip Erdoğan.