Pologne : l’acharnement européen

© AFP 2023 John ThysLa Première Ministre de Pologne Beata Szydło
La Première Ministre de Pologne Beata Szydło - Sputnik Afrique
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Mardi 19 Janvier le Parlement Européen de Strasbourg débattait en séance plénière sur « l’état de droit et l’indépendance des médias » en Pologne ; ce pays est une nouvelle fois sous les feux de l’actualité.

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La Commission Européenne avait entamé récemment à l'égard de Pologne la procédure de sauvegarde des valeurs dans l'Union. A la demande de la Commission, donc, ce débat (1) a eu lieu avec la participation de membres du gouvernement polonais (notamment la Première Ministre Beata Szydło). Ce dernier, à la suite des élections de 2015, avait entrepris des réformes législatives. Ces réformes avaient fait l'objet de nombreuses controverses.

Comme l'a indiqué M. Schulz en ouverture du débat, c'est la première fois qu'un Etat membre est directement mis en cause devant l'assemblée plénière. Le vice-Président de la Commission Frans Timmermans et le ministre des Affaires étrangères hollandais Bert Koenders (représentant le Conseil européen) ont ouvert les débats, en évoquant que les « valeurs ne sont pas acquises », qu' « un dialogue constructif » permettrait de « prévenir l'émergence d'une menace systémique à l'état de droit », tout en notant que le gouvernement polonais a été élu de façon démocratique.

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Mme Szydło a rétorqué que l'affaire entre la Cour Constitutionnelle polonaise et le gouvernement est « d'ordre politique », et que « le parlement polonais a la prérogative sur la nomination des juges, alors que la majorité des juges avait été appointée par le gouvernement précédent, minoritaire aujourd'hui », et que le but de la nouvelle législation visait à une « plus grande honnêteté et impartialité de la part des médias », en se basant notamment sur la Commission de Venise sur la représentativité dans les médias.

Pourquoi nous introduisons ces changements? Suite aux élections d'Octobre dernier, les citoyens polonais, dans leur décision démocratique, au moment du vote, ont décidé qu'ils veulent ces changements qui ont été proposés, par notre famille politique, par mon parti et politique, Droit et Justice; c'est bien la décision des citoyens polonais; je vous remercie de bien vouloir m'adresser cette audience aujourd'hui au nom du gouvernement polonais et également au nom des citoyens polonais, pour lesquels la liberté, l'égalité, la justice et la souveraineté sont des droits inaliénables.

(Traduction directe polonais-français de la déclaration de Mme Beata Szydło du 19 Janvier 2016)

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Des propos qui nous rappellent Mme Thatcher lorsqu'elle défendait l'agriculture britannique voici 30 ans.

Beau nombre de groupes politiques se sont exprimés sur les risques « d'une dérive autoritaire venant de l'intérieur » (Esteban González Pons, PPE), que l'indépendance des médias est une condition « sine qua non pour la démocratie » et que la gouvernance polonaise « ne respecte pas l'histoire du pays et ses luttes contre la dictature » (Gianni Pittella, S&D);

D'autres groupes ont noté que « les autorités polonaises n'ont pas l'intention de porter atteinte au pluralisme des médias » (Syed Kamall, ECR).

Enfin, Guy Verhofstadt, président du groupe ADLE, a déclaré « qu'abuser d'une majorité pour démanteler l'équilibre des pouvoirs va à l'encontre de la Constitution », et a exprimé sur son compte Twitter: « J'ai confiance dans le peuple polonais; il n'acceptera pas de céder leur démocratie à nouveau ».

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Le débat s'est poursuivi pendant près de deux heures, l'attention des questions portant principalement sur les « valeurs communes » européennes et sur le risque d'atteinte aux libertés, mais peu sur la procédure parlementaire qui a permis ces réformes. Comme on peut le constater, beaucoup d'intervenants ont utilisé des comparatifs historiques, bien qu'aucun d'eux ne soit de nationalité polonaise.

Ce débat, à la limite du lynchage politique, relance la place du droit de l'Union dans les ordres juridiques nationaux, et la place des Etats dans l'Union; c'est donc la nature de l'UE qui est en question ici: fédération d'Etats souverains, ou organe supranational? Pour en parler avec nous, M. Christophe Réveillard, professeur à Sciences-Po Paris.

A plusieurs reprises l'UE s'est autorisée à entrer dans les politiques des Etats membres, en s'appuyant sur 2 instruments: la jurisprudence de la Cour de Justice de l'Union Européenne (CJUE), qui a imprimé dans le droit constitutionnel des Etats la primauté du droit européen; le deuxième instrument est l'article 7 du Traité d'Amsterdam, qui permet à l'UE d'intervenir en suspendant les droits d'un Etat en cas de désapprobation de sa politique en matière de Droits de l'Homme, de l'Etat de Droit, etc…

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L'Union est donc en position pour dire à un gouvernement démocratiquement élu quel est l'Etat de droit normal et celui anormal, selon M. Réveillard.

Là on touche un point sensible: la capacité des Etats à pouvoir se restructurer, alors que c'est leur droit le plus stricte, surtout lorsqu'ils sont issus de la volonté populaire.

Quelles sont les conséquences à l'égard de la Pologne? La Commission dispose d'un véritable pouvoir à l'égard des Etats membres, selon le droit communautaire. Peut-elle imposer des sanctions?

C'est possible: en s'appuyant sur les deux instruments juridiques précités, et avec sa position de « gardienne des traités », elle peut saisir soit le Conseil Européen, soit la CJUE, si un membre ne respecte pas les critères des traités. Mais pour cela, il faut une opportunité politique, ce qui n'est pas le cas actuellement: l'UE est totalement discréditée (…); la Commission n'a donc pas intérêt à avoir du discrédit supplémentaire, en sanctionnant un pays dont le gouvernement élu veut imprimer une politique (qui n'est pas attentatoire aux libertés).

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En d'autres termes, la Cour de Justice n'entrera que difficilement dans le jeu de sanctions. En revanche le Parlement Européen est une vraie tribune verbale, où tous les excès sont possibles, bien que les déclarations à l'emporte-pièce ne sortiront pas de Bruxelles ni de Strasbourg.

Beata Szydło connait mieux l'histoire de la Pologne que beaucoup d'intervenants. En venant défendre son pays face à un hémicycle aux deux tiers hostile, Mme Szydło a su faire preuve de courage, que l'on soit d'accord ou pas avec la politique de son gouvernement. Une nouvelle Dame de Fer dans l'arène européenne? L'avenir nous le dira.


(1) L'intégralité du débat est disponible sur cette adresse: http://www.europarl.europa.eu/ep-live/fr/plenary/video?date=19-01-2016

Les opinions exprimées dans ce contenu n'engagent que la responsabilité de l'auteur.

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