Comme l'a indiqué M. Schulz en ouverture du débat, c'est la première fois qu'un Etat membre est directement mis en cause devant l'assemblée plénière. Le vice-Président de la Commission Frans Timmermans et le ministre des Affaires étrangères hollandais Bert Koenders (représentant le Conseil européen) ont ouvert les débats, en évoquant que les « valeurs ne sont pas acquises », qu' « un dialogue constructif » permettrait de « prévenir l'émergence d'une menace systémique à l'état de droit », tout en notant que le gouvernement polonais a été élu de façon démocratique.
Pourquoi nous introduisons ces changements? Suite aux élections d'Octobre dernier, les citoyens polonais, dans leur décision démocratique, au moment du vote, ont décidé qu'ils veulent ces changements qui ont été proposés, par notre famille politique, par mon parti et politique, Droit et Justice; c'est bien la décision des citoyens polonais; je vous remercie de bien vouloir m'adresser cette audience aujourd'hui au nom du gouvernement polonais et également au nom des citoyens polonais, pour lesquels la liberté, l'égalité, la justice et la souveraineté sont des droits inaliénables.
(Traduction directe polonais-français de la déclaration de Mme Beata Szydło du 19 Janvier 2016)
Beau nombre de groupes politiques se sont exprimés sur les risques « d'une dérive autoritaire venant de l'intérieur » (Esteban González Pons, PPE), que l'indépendance des médias est une condition « sine qua non pour la démocratie » et que la gouvernance polonaise « ne respecte pas l'histoire du pays et ses luttes contre la dictature » (Gianni Pittella, S&D);
D'autres groupes ont noté que « les autorités polonaises n'ont pas l'intention de porter atteinte au pluralisme des médias » (Syed Kamall, ECR).
Enfin, Guy Verhofstadt, président du groupe ADLE, a déclaré « qu'abuser d'une majorité pour démanteler l'équilibre des pouvoirs va à l'encontre de la Constitution », et a exprimé sur son compte Twitter: « J'ai confiance dans le peuple polonais; il n'acceptera pas de céder leur démocratie à nouveau ».
Ce débat, à la limite du lynchage politique, relance la place du droit de l'Union dans les ordres juridiques nationaux, et la place des Etats dans l'Union; c'est donc la nature de l'UE qui est en question ici: fédération d'Etats souverains, ou organe supranational? Pour en parler avec nous, M. Christophe Réveillard, professeur à Sciences-Po Paris.
A plusieurs reprises l'UE s'est autorisée à entrer dans les politiques des Etats membres, en s'appuyant sur 2 instruments: la jurisprudence de la Cour de Justice de l'Union Européenne (CJUE), qui a imprimé dans le droit constitutionnel des Etats la primauté du droit européen; le deuxième instrument est l'article 7 du Traité d'Amsterdam, qui permet à l'UE d'intervenir en suspendant les droits d'un Etat en cas de désapprobation de sa politique en matière de Droits de l'Homme, de l'Etat de Droit, etc…
Là on touche un point sensible: la capacité des Etats à pouvoir se restructurer, alors que c'est leur droit le plus stricte, surtout lorsqu'ils sont issus de la volonté populaire.
Quelles sont les conséquences à l'égard de la Pologne? La Commission dispose d'un véritable pouvoir à l'égard des Etats membres, selon le droit communautaire. Peut-elle imposer des sanctions?
C'est possible: en s'appuyant sur les deux instruments juridiques précités, et avec sa position de « gardienne des traités », elle peut saisir soit le Conseil Européen, soit la CJUE, si un membre ne respecte pas les critères des traités. Mais pour cela, il faut une opportunité politique, ce qui n'est pas le cas actuellement: l'UE est totalement discréditée (…); la Commission n'a donc pas intérêt à avoir du discrédit supplémentaire, en sanctionnant un pays dont le gouvernement élu veut imprimer une politique (qui n'est pas attentatoire aux libertés).
Beata Szydło connait mieux l'histoire de la Pologne que beaucoup d'intervenants. En venant défendre son pays face à un hémicycle aux deux tiers hostile, Mme Szydło a su faire preuve de courage, que l'on soit d'accord ou pas avec la politique de son gouvernement. Une nouvelle Dame de Fer dans l'arène européenne? L'avenir nous le dira.
(1) L'intégralité du débat est disponible sur cette adresse: http://www.europarl.europa.eu/ep-live/fr/plenary/video?date=19-01-2016
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