Le mois d'octobre a ainsi été marqué par la plus forte hausse du nombre des demandeurs d'emplois depuis 2013. Derrière ces chiffres, il faut savoir qu'il y a de très nombreux drames humains, des familles qui se défont, des maladies, des suicides. Mais, ces drames ne font jamais les premières pages des journaux. Pour eux, pas d'hommage national, des drapeaux déployés, de Marseillaise. Pourtant, ce sont des femmes et des hommes dont les vies sont ainsi saccagées, voire détruites. Ils nécessitent tous autant notre attention, notre compassion, mais aussi nos décisions. En fait, nous vivons dans une situation économique et sociale qui relève, elle aussi, de l'état d'urgence. Mais, de cela il ne saurait en être question. La vie politique est ainsi faite qu'une chape de plomb est tombée sur ces drames silencieux.
L'accroissement de plus de 42000 demandeurs en catégorie « A » constitue ainsi une véritable douche froide pour le gouvernement après les espoirs que ce dernier pouvait nourrir avec les chiffres de septembre.
En fait, on s'aperçoit que la baisse de 23000 demandeurs d'emplois de la catégorie « A » de septembre dernier s'était accompagnée d'une hausse des catégories « C+E », soit des demandeurs d'emplois à temps partiel et des contrats aidés. Si les contrats aidés continuent de (faiblement) progresser, c'est la catégorie « C », soit le temps partiel subi, qui connaît la plus forte diminution. La hausse de ce mois d'octobre correspond largement à une baisse de ces deux catégories. De même voit-on baisser l'agrégat « B+D » qui est assimilé à la catégorie « A » (demandeurs d'emplois exemptés de recherche active de travail et personnes ayant un emploi partiel subi inférieur à un mi-temps).
Tableau 1
Cela traduit le fait que devant les nuages qui s'amoncèlent sur l'économie française, de nombreuses entreprises ont mis fin à ces contrats précaires, renvoyant les personnes vers la catégorie « A ». La véritable raison est donc « pourquoi »?
« L'alignement des planètes » et son manque d'effets sur l'économie française.
Depuis le début de l'année, une partie des commentateurs économiques, mais aussi des membres du gouvernement, insistent sur le fait que divers indicateurs annonceraient le retour de la croissance. Ces indicateurs sont: (1) la dépréciation de l'Euro face au Dollars et (2) sur la baisse des prix du pétrole. C'est ce que l'on appelle le fameux « alignement des planètes » qui était censé ramener la croissance en Europe. Or, les effets de ces deux facteurs, tout en n'étant pas négligeables, sont largement plus faibles que ce qui est affirmé.
Quant aux prix du pétrole, s'ils ont fortement baissé par rapport à 2014, l'impact sur l'économie dépend de la dépendance de cette économie aux hydrocarbures. Or, la France est l'un des pays européens les moins dépendants en raison de l'importance de la production d'électricité par des centrales nucléaires.
Ces deux effets e peuvent donc qu'avoir un impact très limité sur la croissance économique. Mais, d'un autre côté, le caractère erratique de la politique économique des divers gouvernements du Président Hollande n'établit pas un horizon de prévisibilité suffisant pour que les entreprises qui sentent une certaine amélioration se décident à embaucher, ou à transformer des emplois à temps partiels en emplois plein-temps. Bien plus que le soi-disant « rigidités » du marché du travail, c'est dans l'incapacité des entreprises à faire des anticipations solides sur les trois à cinq prochaines années qu'il faut chercher les raisons de la hausse régulière du chômage. En fait, l'incertitude est la principale ennemie de l'investissement et de l'emploi, comme l'avait montré Edmond Malinvaud dans les années 1980 (2). L'instabilité de la politique fiscale, les erreurs commises au début du quinquennat et qui n'ont été que partiellement, et tardivement, corrigées, jouent un rôle extrêmement délétère sur la décision d'embauche des entreprises.
Une pente néfaste
Cette hausse peut être lue dans la durée. Si l'on utilise l'agrégat des catégories A+B+D, que l'on a défini comme plus représentatif que la simple catégorie « A » des évolutions du chômage, il est intéressant de regarder comment cet agrégat évolue depuis février 2008. A cette époque, le nombre de demandeurs d'emplois des catégories « A », « B » et « D » était de 2,61 millions. Il est aujourd'hui de 4,58 millions.
Mais, en réalité, on peut penser qu'une large part de l'accroissement de 2008 à 2010 aurait pu être évité, voire rapidement effacé si la France n'avait pas fait partie de la zone Euro et si elle avait pu largement déprécier sa monnaie tant par rapport au Dollar que par rapport à ses partenaires commerciaux. L'Euro, ici, a protégé l'Allemagne mais a fortement pénalisé les pays de l'Europe du Sud et la France.
La progression régulière du chiffre des demandeurs d'emplois constitue donc une pente néfaste sur laquelle la France est engagée depuis quatre années et demie. Cette progression est le fruit amer du consensus de fait qui existe entre la politique du centre-droit et celle de la « gauche ». Toute poursuite de ce consensus ne pourra que produire les mêmes effets.
C'est donc bien un drame silencieux auquel nous sommes confrontés. Car, et les statistiques ici sont implacables, pour chaque millier de personnes sans emplois de plus, nous avons des familles qui sont détruites (séparations, divorces), des pathologies graves qui se déclarent, des suicides aussi (3). Comme le disait mon éminent confrère de l'Université de Pescara, Alberto Bagnai, « l'eau mouille et le chômage tue » (4). Ainsi, l'accroissement de 42000 personnes dans la catégorie « A » des demandeurs d'emploi pourrait, dans l'année qui vient, induire 420 suicides. C'est trois fois plus que le nombre des victimes du 13 novembre. Mais, de cette évidence, il est clair que nos dirigeants n'en sont pas convaincus ou n'en tiennent aucun compte. Il n'est de pire sourd que celui qui ne veut pas entendre.
Ils devront bien, un jour, répondre des misères qu'ils ont répandues sur la société française.
(1) Voir, à ce sujet, le chapitre 3 du World Economic Outlook publié par le FMI en octobre 2015: Adjusting to Lower Commodity Prices, World Economic Outlook — October 2015, IMF/FMI Publication Services, Washington DC, 2015.
(2) Malinvaud, E, « Profitability and investment facing uncertain demand », Document de travail de l'INSEE, n° 8303, Paris, 1983.
(3) Voir, sur l'impact du chômage sur le nombre des suicides,: Dr Carlos Nordt, PhD, Ingeborg Warnke, PhD, Prof Erich Seifritz, MD PD, Wolfram Kawohl, MD, « Modelling suicide and unemployment: a longitudinal analysis covering 63 countries, 2000-11 », in The Lancet Psichatry, Volume 2, No. 3, pp. 239-245, Mars 2015. Voir aussi, Nikolaos Antonakakis, Alan Collins, « The Impact of Fiscal Austerity on Suicide Mortality: Evidence across the ‘Eurozone Periphery' », Social Science & Medicine, Volume 145, Novembre 2015, Pages 63-78.
(4) http://goofynomics.blogspot.fr/2013/12/leau-mouille-et-le-chomage-tue.html
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